Pinar Selek : « je veux faire de mon procès une tribune »

Aux prises avec les autorités de son pays depuis 16 ans dans une affaire judiciaire emblématique de la répression que subissent intellectuels, universitaires étudiants, artistes et journalistes en Turquie, la sociologue exilée en France éclaire le contexte dans lequel s’ouvre son nouveau procès le 5 décembre prochain. Ardente militante féministe, elle sera particulièrement mobilisée ce 25 novembre pour la journée internationale contre les violences faites aux femmes. Interview .

Après plus de 15 ans de bras de fer avec la justice de votre pays, trois acquittements (2006, 2008,2011), suivis d’une condamnation à perpétuité (2013), le tout placé  sous le sceau de l’arbitraire, votre nouveau procès va s’ouvrir le 5 décembre, considérez vous cela comme une bonne nouvelle ?

Pinar Selek : Comme ce procès s’inscrit dans un contexte général de déni de justice en Turquie et que, bien malgré moi, je suis devenue une sorte de symbole de la résistance contre la persécution dont sont victimes de nombreux militants et intellectuels dans mon pays, je me dis qu’il s’agit d’un marathon et qu’il faut que je le courre jusqu’au bout et que je fasse tout pour le gagner.

Tous les militants pour la liberté sont menacés par la justice, donc le terrain judiciaire est devenu un lieu de manifestations et de lutte pour la démocratie. La bonne nouvelle c’est que mes avocats ont réussit à faire annuler  le 11 juin 2014 la condamnation à perpétuité qui avait été prononcée contre moi en 2013. Concernant le procès lui-même, il va se tenir devant un nouveau tribunal, qui a annulé la demande d’extradition me concernant et affirmé que si je venais en Turquie, je ne serais pas arrêtée, mais je reste très méfiante. En tout cas, la visibilité que mes soutiens vont donner à ce procès est une bonne chose.

Vous allez faire de ce procès une tribune ?

Pinar Selek : Mes procès sont toujours des tribunes ! Déjà, avant que je nesois obligée de fuir mon pays, ma cause réunissait, au niveau national, des groupes de militants très hétéroclites  allant des universitaires au Kurdes en passant par les enfants des rues ou encore les transsexuels ou les prostitué(e)s… Grace à toutes ces mobilisations, mon cas est devenu très médiatique, d’abord en Turquie, puis à l’international. Tous ces groupes différents me soutiennent car, en tant que sociologue, je me suis toujours intéressées aux « marges » de la société et j’ai passé beaucoup de temps au milieu de ces gens pour apprendre à les connaitre et faire connaitre leurs problématiques particulières. D’ailleurs, au moment de mon arrestation, je travaillais sur la question Kurde et tentais d’analyser le conflit qui oppose les militants kurdes à l’Etat Turc. Suis à une explosion, due à une fuite de gaz, sur le marché aux épices à Istanbul  le 9 juillet 1998 qui avait causé la mort de sept personnes et fait une centaine de blessés  7 morts et une centaine de blessés, les autorités policières ont produit des preuves falsifiées attribuant cette explosion à une bombe posée par des partisans du PKK. J’ai été arrêtée car soupçonnée d’avoir collaboré à ce supposé attentat. On m’a torturée et proposer de me relâcher si je donnais les noms des personnes rencontrées dans le cadre de mes recherches  sur les Kurdes. J’ai bien sûr refusé et depuis 16 ans, les nationalistes turcs ne qui ne me pardonnent pas cet engagement ni tous les autres s’acharnent sur mon cas ! C’est cela que nous allons, une fois encore, dénoncer.

Serez-vous présente lors du procès ?

Pinar Selek : Non, pour moi c’est trop risqué. Aujourd’hui j’ai obtenu le statut de réfugiée politique en France. Jusqu’à mon acquittement définitif, je ne retournerai pas dans mon pays. J’ai passé deux ans et demi en prison sans aucune justification. J’ai été torturée, je ne veux pas revivre ça. Mais plusieurs délégations, de différents pays vont me représenter sur place. Une trentaine de personnes vont partir de France, une dizaine, d’Allemagne. Leur mot d’ordre sera : « nous sommes tous Pinar Selek »

Mais je tiens à préciser que mon cas n’est pas unique, de nombreux militants sont actuellement emprisonnés en Turquie, qui est le pays le plus condamné pour détention de prisonniers politique par la cour européenne de justice (au même niveau que la Russie)

Le prétexte est toujours le même pour emprisonner des innocents : on les accuse de terrorisme. La France et les autres pays européens sont parfaitement informés de ce qui se passe en Turquie mais les intérêts économiques priment sur la défense des droits de l’homme. Personnellement je suis assez peu confiante.

Aujourd’hui le contexte international a changé : les Kurdes sont engagés contre l’Etat Islamique, alliés aux forces occidentales,  est-ce de bon augure pour votre procès ?

Pinar Selek : Je ne sais pas, je compte plutôt sur mes avocats (plus de 200 m’ont contacté pour m’apporter leur soutien) et sur la mobilisation pour faire pression. Mais je suis heureuse de cette mise en lumière sur le scène internationale des Kurdes et de la réalité de leurs combats et de leur mode de fonctionnement.

En Turquie, chacun sait depuis longtemps que les Kurdes sont vecteurs de transformations sociales, notamment en ce qui concerne la parité et l’égal accès aux responsabilités pour les femmes. Mais, à mon avis, la vraie liberté pour les hommes et pour les femmes sera effective quand aura cessé l’état de guerre.

En tant que sociologue, vous avez beaucoup travaillé sur le genre et vous vous revendiquez comme féministe, notamment à travers l’association et la revue Amargi … Quel  sens a pour vous la journée du 25 novembre ?

Pinar Selek : Effectivement, notre revue féministe Amargi, (liberté en sumérien) est vendue à 3000 exemplaires, ce qui est très satisfaisant pour un ouvrage théorique qui ressemble à un livre !

En turquie, les mouvements féministes sont assez foisonnants  et c’est le signe d’un dynamisme.

Ce 25 novembre j’interviendrai via Skype à différentes manifestations et conférences en Turquie. C’est vrai qu’en tant que féministe j’agis aussi en France, mais je tiens à le faire en Turquie car je ne veux pas m’éloigner de ce pays que je n’ai pas quitté de mon plein gré et qui a été le terrain de mes premières luttes. Du coup je divise mon temps en deux !

Pour moi, cette journée est symbolique. Certes, ce n’est pas en un seul jour que tout peut changer, mais c’est bien d’avoir des repères dans l’histoire. Cette journée, tout comme celle du 8 mars, inscrit la lutte pour les droits des femmes dans une forme de continuité.

Par ailleurs, ces journées particulières permettent de fédérer des mouvements féministes de différentes sensibilités et de créer des synergies. En cela, c’est très utile, je crois.

http://www.humanite.fr/pinar-selek-le-25-novembre-permet-dinscrire-les-luttes-des-femmes-dans-une-continuite-historique





© copyright 2016  |   Site réalisé par cograph.eu