Sevil Sevimli : procès à la turque

Ouverture du procès d’une étudiante franco-turque à Bursa. Elle est soupçonnée d’avoir des liens avec une organisation interdite d’extrême gauche. Sevil Sevimli risque entre 15 et 32 ans de prison. La justice reproche à Sevil Sevimli d’avoir participé au grand défilé syndical du 1er mai à Istanbul, d’avoir manifesté en faveur de la gratuité de l’éducation en Turquie et d’avoir assisté, avec des milliers d’autres, à un concert de Grup Yorum, un groupe engagé à gauche et traqué par la justice. Après cette première journée d’audience, Sevil Sevimli a été autorisée à circuler librement en Turquie mais à ne pas quitter le pays. LA suite du procès a été repousée au 19 novembre. Mais depuis la divulgation de son arrestation, le cas de la jeune femme a suscité un large élan de mobilisation en France, où la pétition ouverte par son comité de soutien a déjà recueilli 120.000 signatures

Sevil Sevimli

Interview de Reynald Beaufort, fondateur et Vice-Président de « Turquie européenne »

ARTE Journal : Que s’est-il passé pour Sevil Sevimli ?

Reynald Beaufort : Sevil Sevimli a été arrêtée, le 9 mai dernier en Turquie alors qu’elle était sous un statut Erasmus. La nouvelle n’avait pas fait grand bruit, et puis il y a eu un article du Monde, qui a posé la question à Monsieur Erdogan: qu’a fait Sevil Sevimli ? Elle est en fait accusée de faire partie de ce qu’on appelle là-bas une organisation. En Turquie on ne précise même plus s’il s’agit d’une organisation terroriste ou armée. C’est passé dans les moeurs, c’est un délit suffisant, passible des tribunaux. C’est sous le coup des lois anti-terroristes qui sévissent en Turquie en ce moment. Ces lois sont utilisées à tort et à travers.

ARTE Journal : Que se cache-t-il derrière ces abus ?
Reynald Beaufort : Le gouvernement turc joue sur le fait que l’Union européenne avait publié à une époque, une liste d’organisations qu’elle considérait comme terroristes, dont fait partie l’organisation dont est accusée de faire partie Sevil Sevimli.
Le problème, c’est que cela sert à tout et à n’importe quoi. Il suffit de connaître quelqu’un ou de le rencontrer occasionnellement. Juste quelqu’un qui fait partie ou qui a fréquenté lui-même cette organisation, pour être soi-même accusé d’en faire partie. Donc, vous voyez, c’est une extension abusive de la définition de ce que c’est d’être terroriste.

ARTE Journal : Il y a un vrai tour de vis. Que cherche à montrer le gouvernement turc ?
Reynald Beaufort : C’est vrai qu’au départ, il semblait qu’avec l’arrivée d’Erdogan, il y avait un assouplissement, mais depuis quelques temps, assez récemment, depuis un an ou deux, Erdogan s’est beaucoup radicalisé, il s’est opposé à l’institution militaire pour asseoir son propre pouvoir. Et une fois que son propre pouvoir a été bien installé, il s’est s’attaqué apparemment tous azimuts à toutes formes d’opposition, particulièrement à l’opposition de gauche.

ARTE Journal : Il y une centaine de journalistes derrière les barreaux en ce moment…
Reynald Beaufort : Les journalistes sont en prison, mais il y a aussi les étudiants. Les chiffres disent entre 700 et 900, nous, on estime qu’en fait, le nombre est au dessus de 2 800. Il y a des journalistes, effectivement, des intellectuels, énormément de gens sont concernés par ces arrestations, toutes sortes de gens, pas seulement ceux qui sont liés aux Kurdes.

Depuis un an ou deux, Erdogan s’est beaucoup radicalisé

ARTE Journal : Pourquoi ce détournement de la loi anti-terroriste? Est-ce dû au contexte pré-électoral ?
Reynald Beaufort : L’historien Etienne Copeaux disait qu’ils ont mis en place un système de « prophylaxie sociale », c’est à dire qu’en fait , en maintenant une épée de Damoclès sur la tête des gens, on essaie d’empêcher les gens de s’opposer et de se révolter contre le pouvoir. On utilise la justice comme instrument de prévention. C’est très grave et c’est vrai qu’en France, la presse jusqu’à présent avait l’air d’ignorer les choses. Les hommes politiques sont aussi assez timorés sur cette affaire. Je ne sais pas pourquoi, certainement un peu par ignorance. Nous, cela fait des années qu’on suit les choses et on s’aperçoit que petit à petit, ce qui se passe en Turquie, ne va pas en s’arrangeant.

ARTE Journal : Est-ce que cela ne fragilise pas encore un peu plus les relations entre la Turquie et l’Europe ?
Reynald Beaufort : Si la Turquie s’obstine dans cette voie-là, cela me paraît évident que l’Europe ne peut pas accepter ou même continuer les démarches d’adhésion d’un candidat qui a une telle attitude. Nous-mêmes, notre association s’appelle « Turquie européenne » parce qu’on était partisan de cette adhésion, mais il est évident que le minimum, c’est déjà de respecter au moins les droits de l’homme pour y prétendre.

ARTE Journal : Avez-vous des inquiétudes concernant Sevil Sevimli?
Reynald Beaufort : Nous sommes un peu inquiets pour Sevil Sevimli (l’étudiante qui comparaît ce jour au tribunal de Bursa, NDLR). Nous avons vu ce qui s’est passé pour la sociologue Pinar Selek qui est harcelée par la justice turque depuis 1998. Bien qu’elle ait été innocentée trois fois avec des non-lieux et des acquittements, elle continue à être harcelée, car le système turc est particulier. Un procureur peut relancer la procédure plusieurs fois pour le même « délit ». Pour Pinar Selek, cela fait déjà trois fois que les procédures sont relancées. La justice organise des procès, ces procès sont systématiquement reportés en début d’audience, si bien que cela permet de tenir une pression sur quelqu’un, sans jamais le juger. On craint que la justice fasse la même chose pour Sevil Sevimli. C’est un peu notre inquiétude.

Interview : Sophie Rosenzweig / ARTE Journal
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