Solidarité féminine

Quatorze ans. Quatorze ans que Pinar Selek, sociologue turque engagée, subit un harcèlement judiciaire dans son pays. Aujourd’hui même, à Istanbul, le cas de cette féministe exilée à Strasbourg sera jugé pour la quatrième fois -après déjà trois acquittements.

« Ce qu’on lui reproche, c’est son travail de chercheuse »

« On attend avec beaucoup de fébrilité ce jugement », témoigne Irène Tabellion qui a cofondé le comité de soutien strasbourgeois de Pinar Selek l’an dernier. « Son histoire est absolument invraisemblable ! »

Pinar avait 27 ans, en 1998, quand elle a été arrêtée en Turquie, emprisonnée pendant deux ans et demi et torturée.

Officiellement, on l’accuse d’avoir posé une bombe sur unmarché d’Istanbul, elle, la militante pour la paix. L’accusation repose sur le témoignage d’un prisonnier torturé. Et 14 rapports d’expertise sur 15 certifient à 100% que « l’attentat » est en fait une fuite de gaz…

« Ce qu’on reproche [à Pinar Selek], c’est son travail de chercheuse », expl ique Martin Pradel, son avocat chargé demission pour la Fédération internationale des droits de l’homme. « Elle a parlé de la question kurde, des homosexuels, du droit des femmes, des Arméniens : des sujets qu’on n’aborde pas en Turquie. Ce qui en fait d’ailleurs de vrais sujets de recherche. »

Depuis sixmois, c’est à Strasbourg que Pinar Selek, 40 ans, termine sa thèse sur les mouvements d’émancipation en Turquie, en troisième année de doctorat de sciences politiques, Parler de son histoire la fait souffrir : « C’est trop kafkaïen. Et j’en aimarre d’expliquer, parce que moi non plus, je n’y comprends rien », confie-t-elle en riant malgré tout.

« Je ne sais pas où elle cherche toute son énergie », glisse Irène Tabellion. Peut-être dans des soirées comme celle de demain… « Depuis que je suis venue en Allemagne et en France, la solidarité me remplit avec un amour sans limite, sans frontière. Si tu te sens seule, tu perds toute ton énergie. Là, çame donne une force que les armées n’ont pas ! »

La forte mobilisation turque et internationale pourrait aujourd’hui faire reporter le jugement, estime son avocat. À moins que l’acquittement soit confirmé pour la quatrième fois… mais avec toujours le risque d’une nouvelle cassation. « Sans volonté politique, ça peut durer toute la vie ! », déplore Martin Pradel.

Mais ce qu’il redoute le plus, c’est le troisième scénario : la condamnation. « C’est vraiment une affaire politique. Et la situation est extrêmement tendue en Turquie, comme elle ne l’a jamais été depuis dix ans.Actuellement 70avocats sont en détention et des journalistes emprisonnés. » « J’aime beaucoup mon pays. Je veux croire que cette torture ne durera pas encore quatorze ans », souhaite Pinar. Et avec elle, les milliers de signataires de pétitions de soutien. R CHARLOTTE DORN Q@www.pinarselek.fr Q Jeudi 8mars à partir de 18h30, « Féministes sans frontières solidaires avec Pinar Selek », à la grande salle de l’Aubette, place Kléber. Au programme, chants avec Les Clandestines, lecture de la plaidoirie de Pinar Selek par la compagnie Calamity Jane, diaporama de femmes en lutte dans lemonde, danses collectives avec les Cemea.

Bientôt publiée en français ! Pinar Selek n’est pas seulement sociologue et militante ; elle est aussi écrivain. Certains de ses huit livres devraient bientôt paraître en français. Le premier texte sera disponible demain soir à l’Aubette, « Être loin de chez soi », avant-goût d’un recueil à paraître chez iXe. Son dernier roman, « Yolgeçen Hani » devrait voir le jour à l’automne aux éditions Liana Levi. Et L’Harmattan s’apprête à publier son livre sur la construction

CHARLOTTE DORN





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