Ce 8 mars 2019… Grève internationale des femmes ?

Par Pinar Selek

Curieu­se­ment pas encore très visible en France, une nou­velle action fémi­niste se pré­pare à secouer plu­sieurs pays, dans les dif­fé­rents coins de la pla­nète. Je parle de la grève inter­na­tio­nale des femmes, ce 8 mars. Vous allez me dire : « Tu parles de la grève ? C’est ça la ‘nou­velle action’ ? On la connait depuis une éter­ni­té ! »
Oui, mais on ne parle pas de la même chose. Cette fois-ci, ce ne sont pas les syn­di­cats qui tiennent la barre : les mou­ve­ments fémi­nistes sont en train de trans­for­mer une forme d’action tra­di­tion­nelle pour qu’elle cor­res­ponde au contexte actuel.

Vous connais­sez Non Unas de Menos (Non Une de Moins) ? Née d’abord en Argen­tine, en 2015, contre les fémi­ni­cides, ce mou­ve­ment s’est élar­gi, assez rapi­de­ment aux pays d’Amérique du sud, ensuite vers l’Europe : d’abord en Espagne, puis à l’Italie (Non Una di Meno), en créant de nou­velles stra­té­gies de nar­ra­tion, d’action, de reven­di­ca­tions et d’alliance. Aujourd’hui, Non Unas de Menos pré­sente en son sein une grande plu­ra­li­té de militant.es de dif­fé­rentes géné­ra­tions, de milieux sociaux, d’appartenances mul­tiples et réus­sit à mobi­li­ser des cen­taines mil­liers de per­sonnes, pre­nant la rue, se réap­pro­priant la parole et l’espace public. Et depuis 2017, ce mou­ve­ment orga­nise la grève inter­na­tio­nale des femmes qui était très réus­sie, l’an­née der­nière, en Espagne. Ce 8 mars 2019, cette action prend de l’ampleur : les fémi­nistes ita­liennes, espa­gnoles, belges, alle­mandes, suisses attendent une très impor­tante par­ti­ci­pa­tion. Les fémi­nistes fran­çaises suivent aus­si cette mobi­li­sa­tion his­to­rique.

Mais on parle de quelle grève ?
Au début, les syn­di­cats de plu­sieurs pays ont éga­le­ment posé la même ques­tion : « Il y a déjà les pré­avis de grève, chaque 8 mars, nous deman­dons que le 8 mars soit un jour férié comme le 1er mai. Qu’est-ce qu’il veut de plus le mou­ve­ment fémi­niste ? » En plus, récem­ment, les pou­voirs publics à Ber­lin ont enten­du cette reven­di­ca­tion, en fai­sant du 8 mars un jour férié. Mais pour­quoi le mou­ve­ment fémi­niste alle­mand conti­nue-t-il à faire appel à la grève ? Quelle grève pour un jour de férié ?

Mais dans le contexte de « fémi­ni­sa­tion sym­bo­lique » du tra­vail, il n’y a pas de jour férié. C’est-à-dire ? La mon­dia­li­sa­tion de l’économie néo­li­bé­rale qui se tra­duit par la cen­tra­li­sa­tion des richesses, la déré­gu­la­tion des mar­chés, la pri­va­ti­sa­tion des ser­vices sociaux, la concen­tra­tion des entre­prises et leur trans­na­tio­na­li­sa­tion, a pour consé­quence de mettre à pro­fit les dis­pa­ri­tés qui existent à l’échelle mon­diale, en ren­dant plus vul­né­rables les groupes sociaux qui sont en bas de la hié­rar­chie sociale. Dans ce contexte, la fémi­ni­sa­tion sym­bo­lique du tra­vail des­sine la pré­ca­ri­sa­tion glo­bale de l’emploi et le vaste sous-sala­riat infor­ma­li­sé. Quant aux formes clas­siques de grève, elles ne répondent plus à ces nou­velles formes de ser­vi­li­té. Les fémi­nistes redé­fi­nissent alors le sens de cette notion de « grève », en élar­gis­sant ses champs d’action. C’est pour cela, à peu près dans chaque pays, au début, les syn­di­cats tra­di­tion­nels étaient embar­ras­sés : comme ils détiennent la barre de cette action, ils n’arrivaient pas à com­prendre sa redé­fi­ni­tion par le bas. Heu­reu­se­ment, ils com­mencent à trou­ver leur place dans l’organisation de cette action trans­na­tio­nale qui pro­met d’être de plus en plus forte et sub­ver­sive.

Mul­ti­pli­ca­tion des pra­tiques de grève
Il y a des petits manuels de « Pra­tiques de grève », en espa­gnol, en anglais, en fla­mand, en fran­çais, en ita­lien, en arabe…qui se dif­fusent dans les quar­tiers, dans les bars, les mar­chés, même dans les salons de coif­fure. Les femmes dis­cutent, car elles apprennent qu’elles peuvent la pra­ti­quer de diverses façons : « avec une petite affiche sur les fenêtres, une petite fuite vers les luttes. Cha­cune trou­ve­ra sa façon de faire ». Dans ces manuels, il y a plu­sieurs formes pro­po­sées : « Porte quelque chose et rends visible ton adhé­sion à la grève : recon­nais­sons-nous ! Si tu es sala­riée, fais valoir tes droits : Que ton syn­di­cat ait adhé­ré ou non à la grève fémi­niste, l’ap­pel à la grève a été relayé par toutes les orga­ni­sa­tions syn­di­cales et cela signi­fie qu’il existe une cou­ver­ture syn­di­cale géné­rale. Si tu es auto-entre­pre­neuse ne prête pas tes ser­vices, com­mu­nique ton choix à tes col­lègues et clients. Si tu ne peux pas t’abs­te­nir, ralen­tis ton tra­vail autant que pos­sible. Mets en place la grève des mails. Active la réponse auto­ma­tique qui fait réfé­rence à la grève fémi­niste. Si tu es au chô­mage abs­tiens toi de la recherche d’un emploi. Fais ren­trer la grève fémi­niste dans les lieux de for­ma­tion pour qu’on parle de notre action. Forme ton équipe de grève : au moins avec deux autres femmes. Mets en place la grève du sou­rire aux clients et usa­gers. Fais la grève du tra­vail domes­tique et de soin. Libère ton temps. Fais la grève de consom­ma­tion. N’achète rien ! »

Les fémi­nistes expé­ri­mentent une action insur­rec­tion­nelle, qui, dans quelques années, sor­ti­ra peut-être du cadre du 8 mars, pour durer trois, cinq, dix jours ou plus. Une réponse fémi­niste par le bas se construit, comme une réponse à la mon­dia­li­sa­tion des élites. Elle est acro­ba­tique et maline. Dif­fi­cile d’empêcher et de la contrô­ler.

Comme disait un dic­ton armé­nien : « L’eau coule et trouve son che­min ».

 

https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/050319/ce-8-mars-2019-greve-internationale-des-femmes

 

 





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