En Turquie, « il fallait que je choisisse entre la prison, l’exil ou la mort »

 Invitée de Géopolitis, la sociologue et dissidente turque Pinar Selek, exilée depuis 2011 en France, raconte son parcours de militante en Turquie, marqué par 19 ans d’acharnement judiciaire, et son combat pour la démocratie.

« Je savais que si je voulais continuer à m’exprimer et à militer, il fallait que je choisisse entre la prison, l’exil ou la mort », avec cette phrase, Pinar Selek pose immédiatement les enjeux de son engagement.

Née à Istanbul en 1971, cela fait fait 19 ans qu’elle est visée par des procédures judiciaires en Turquie. A l’âge de 27 ans, après des recherches académiques sur la question kurde, Pinar Selek est arrêtée par la police turque qui la torture pour obtenir les noms des personnes qu’elle a rencontrées. Elle refuse et est accusée d’avoir fomenté un attentat à la bombe à Istanbul. Pinar Selek est emprisonnée 2 ans, puis quatre fois acquittée. En janvier 2017, le procureur de la Cour de cassation requiert à nouveau une condamnation à perpétuité.

La répression s’est accélérée en très peu de temps.
Pinar Selek, sociologue turque

« Le poète que j’aimais le plus enfant, Nazim Hikmet, est resté 12 ans en prison dans les années 1950. Entre 1990 et 1995, plus de 10’000 intellectuels ont été tués », se rappelle Pinar Selek. « La répression a toujours existé, mais ces dernières années, elle s’est accélérée en très peu de temps. »

Après le coup d’Etat militaire manqué du 15 juillet 2016, le gouvernement Erdogan procède à des purges d’une ampleur sans précédent. Plus de 100’000 fonctionnaires sont limogés ou suspendus. Près de la moitié d’entre eux sont arrêtés.

Le référendum d’Erdogan, un tournant?

Il y a 15 ans, le président turc Recep Tayyip Erdogan incarnait un nouvel espoir. Son règne s’est transformé en personnalisation extrême du pouvoir. Le 16 avril prochain, Erdogan organise un référendum sur une réforme de la Constitution pour renforcer son emprise sur le pays.

Un tournant, donc? « La Turquie a vécu plein de tournants, le génocide, plusieurs coups d’Etat. Après chaque tournant, la société a su se réveiller. J’essaie de ne pas être pessimiste », souligne Pinar Selek.

La Turquie n’a jamais été démocratique.
Pinar Selek, sociologue turque

« Le système autoritaire, négationniste et nationaliste existe depuis très longtemps. Le nationalisme est un problème plus grave pour la Turquie que l’islamisme », précise-t-elle. « La Turquie n’a jamais été démocratique. »

Une lueur d’espoir

« Depuis 1985, de nouveaux mouvements sociaux émergent, féministes, LGBT, antimilitaristes, qui se sont adaptés au contexte », se réjouit-elle. « J’ai beaucoup d’espoir. (…) Le féminisme est ancré maintenant. Je pense qu’on verra les résultats dans 5-10 ans, parce que ces femmes sont comme des fourmis, elle sont partout, mais pas très visibles. C’était le cas des islamistes il y a 15 ans. »

Pinar Selek enseigne aujourd’hui à l’Université Sophia Antipolis à Nice. Elle s’intéresse notamment aux mouvements d’émancipation en Turquie. Elle publie son premier roman, « La Maison du Bosphore », en 2013 et en 2015, un essai relatant le génocide arménien « Parce qu’ils sont Arméniens ».

Mélanie Ohayon





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