Au nom de l’’université de Strasbourg, je suis est fier et honoré de participer à cette cérémonie pour honorer Pinar Selek.
La 12ème cour d’appel d’Istanbul a condamné Pinar Selek, doctorante à l’université de Strasbourg, à la prison à vie, pour un acte qu’elle n’a pas commis. La mobilisation de nombreux acteurs, dont celle de la communauté universitaire n’aura pas suffi à ce que les juges entendent notre appel au respect des droits fondamentaux et des valeurs de liberté et d’indépendance de la recherche. Car c’est bien ça qu’on lui reproche, c’est bien là le vrai motif: des sujets de recherche qui ne plaisent pas au pouvoir, un parler vrai qui s’oppose à une conception restrictive de la liberté de penser. En s’intéressant aux groupes sociaux opprimés sur la base du genre, de l’orientation sexuelle ou de l’appartenance ethnique, elle a choisi de travailler sur des sujets brûlants pour la Turquie. Elle est poursuivie par la justice turque depuis 14 ans, alors même qu’elle a été relaxée trois fois. Son innocence n’est plus à démontrer, puisqu’il est avéré et notoire que l’attentat dont elle a été accusée n’a jamais eu lieu. Seul son courage de vouloir travailler en chercheuse libre lui vaut cette terrible condamnation.
Cette décision suscite encore et toujours notre émotion et notre indignation. La communauté universitaire a pu constater la dignité, l’humanité et le courage qui caractérise l’une d’entre nous.
Mais cette réaction collective montre aussi que l’institution universitaire, fidèle à ses valeurs et à ses traditions, sait faire face!
Car la bête rode ! L’Université de Strasbourg, a, sur ce plan, un devoir de vigilance tout particulier, hérité de son histoire.
Ce combat pour la vérité mené par l’Université de Strasbourg s’engage lorsqu’en 1939, sans aucune décision, ou injonction d’aucune sorte, l’université fuit l’avancée allemande et décide de se replier dans le Puy de Dôme dans les locaux de l’université clermontoise qui l’accueille. Ce qui l’anime dans cet élan, c’est la volonté de ces femmes et de ces hommes qui la composent de continuer à oeuvrer pour la vérité et pour la liberté.
Lorsqu’elle refuse ensuite de rejoindre la Reichsuniversität en 1941, notre université apparait alors aux yeux de l‘occupant comme la rebelle et la résistante. Après une première rafle des étudiants dans la nuit du 24 au 25 juin, le 25 novembre 1943 la Gestapo envahit les locaux de l’université. Le professeur Paul Collomp et un étudiant sont abattus. 1200 personnes sont arrêtées, et 130 déportées, la plupart ne reviendront pas. L’Université de Strasbourg est profondément meurtrie mais poursuit son combat.
Tous les ans, le 25 novembre, nous rendons hommage au courage de nos camarades, et ravivons la mémoire de leur combat pour la liberté et la vérité. Ils ont écrit une page de l’histoire de l’Université qui lui a valu la médaille de la résistance, et dont elle est très fière.
Aujourd’hui il s’agit d’être dignes de cette mémoire, dignes de cette médaille de la résistance. La liberté académique est un privilège que les générations passées ont lutté pour défendre et reconquérir, parfois au prix de leur vie. Hier avec Marc Bloch ou aujourd’hui, avec Pinar Selek nous devons rester fidèles à nos valeurs fondamentale de fraternité, d’engagement, de courage et de rejet de la haine.
Sans cette résistance courageuse, sans les sacrifices, et sans l’asile que l’Université et la Ville de Clermont-Ferrand ont généreusement offert à notre communauté, aux heures les plus sombres de l’histoire, nous ne jouirions pas aujourd’hui des droits et des libertés qui sont les nôtres. L’asile que nous avons trouvé alors, c’est à notre tour de l’offrir à Pinar Selek.
C’est pour cela que j’ai symboliquement mis Pinar Selek sous la protection de notre université, en lui accordant l’asile académique. Ce néologisme se réfère à la tradition ancienne de toutes les universités, celle tout faire pour préserver une pensée libre, novatrice et créative !
La haute distinction que vous conférez aujourd’hui à Pinar Selek manifeste aussi, et au plus haut point, ce souci, ce devoir de protection. En la distinguant honoris causa, vous honorez Pinar Selek bien sûr,
mais vous vous honorez par ce geste
et vous honorez toute l’université française, vous nous honorez pour que vive la liberté académique !
Je vous remercie