Pour rêver un peu… et espérer

Trois semaines avant la prochaine audience du procès Pınar Selek, je vous propose l’article du quotidien Milliyet du 27 décembre 2000, qui annonçait la mise hors de cause de Pınar Selek dans l’attentat du Marché égyptien, et sa libération. On croit rêver..

(http://www.milliyet.com.tr/2000/12/27/guncel/gun04.html).

« Le rapport a sauvé Pınar : ‘Ce n’est pas une bombe qui a explosé au marché égyptien, mais une bonbonne de gaz’ »

Double fête pour la famille Selek

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Pınar a passé deux ans et demi en prison, pour rien. Pınar, qui s’est consacrée aux enfants des rues : « Je ne suis pas étonnée de cette décision. A mon avis, il n’y aura même pas de procès ».

Par Ümran Avcı, Semra Selek, Sükran Özçakmak, Istanbul, Milliyet, 27 décembre 2000

La sociologue Pınar Selek a été incarcérée durant deux ans et demi, sous la menace d’une condamnation à mort. Le rapport a contredit les accusations. Pınar Selek a été libérée à la majorité des voix. Son père, Alp Selek, a reçu la bonne nouvelle assortie d’un « Bonne chance ! » (hayırlı olsun) de la part du juge. « Que jamais aucun père ne vive une telle douleur », a-t-il ajouté.

Le rapport remis par l’Université technique et l’Université Yıldız d’Istanbul, qui a établi que « ce n’est pas une bombe, mais une bonbonne de gaz qui a explosé au Marché égyptien », a sauvé Pınar Selek. Vendredi dernier, le rapport avait été remis à la 4e section de la Cour de sûreté de l’Etat par Alp Selek, qui est aussi l’avocat de sa fille. Il a changé le cours du procès. Après avoir étudié les dossiers et le rapport, la commission a décidé hier la libération de Selek, à la majorité des voix. Apprenant la nouvelle assortie d’un « Geçmis olsun du juge Vedat Abdurrahmaoglu, Alp Selek a immédiatement téléphoné la bonne nouvelle à sa femme, Ayla Selek.

On a fêté l’événement avec des chocolats

En apprenant la nouvelle, la famille Selek a accouru à la prison pour femmes et enfants de Bakırköy, où elle avait été déplacée à la suite du mouvement des prisonniers d’Ümraniye. En attenant devant la prison, sa mère Ayla Selek a partagé sa joie avec les journalistes en leur distribuant des chocolats. Dans ses premières déclaration, Alp Selek a avancé que le procès était le résultat d’un complot, et que si le système judiciaire turc n’est pas réformé, il y aura d’autres Pınar. « Je souhaite qu’aucun père ne connaisse à nouveau cette douleur » a-t-il ajouté.(…)

D’autres personnes attendaient Pınar Selek devant la prison avec des fleurs : un groupe de l’ÖDP, le président de la Fondation pour la protection des enfants des rues, et des travestis qui avaient suivi toute la procédure.

« La Turquie est fière de toi »

A 17h30, c’est la mère de Pınar qui a été la première à l’accueillir. Les enfants des rues ont proclamé : « Nous avons beaucoup souffert pour notre grande sœur, nous l’aimons tant ! » Une ovation « La Turquie est fière de toi » a accueilli Pınar, clamée par tous ceux qui venaient pour l’embrasser, tandis que les enfants des rues se bousculaient parmi les journalistes.

Pınar Selek a déclaré qu’elle éprouvait des sentiments très mêlés, qu’elle était encore en train d’essayer de réaliser ce qu’elle vivait, et qu’elle déciderait de la suite lorsqu’elle aurait retrouvé le calme en elle-même. Elle a déclaré :

« Si vous me demandez si je vais bien, je ne peux pas vous répondre oui. Je porte trop de choses douloureuses en moi. Je ne peux pas simplement me réjouir pour moi-même. Je soufre beaucoup, tant dans ma conscience que pour tout ce que aboutit à la violence en Turquie. Je continuerai le combat, même s’il m’arrive d’autres malheurs, même si je suis victime d’autres complots… »

Grève de la faim

Selek a expliqué qu’elle a fait la grève de la faim durant 22 jours, pour soutenir le mouvement des prisonniers. Elle s’est interrompue avec sa libération. « Je ne sais pas si vous allez m’approuver ou non, mais l’opération qui a été décidée pour ces gens [les prisonniers grévistes] n’était pas juste », a-t-elle déclaré.

Selek a également assuré qu’elle n’était pas étonnée de sa libération. « Je le savais de toute façon, la décision ne m’a pas étonnée. Je ne pense pas qu’il y ait un procès. Il ne serait pas facile de l’établir sur la base d’un seul fait. » Elle a ajouté que la Turquie, où des dizaines de milliers de personnes sont incarcérées pour des raisons politiques, ne pourra pas résoudre ses problèmes par la violence.

Alp Selek : « Je n’accuse personne »

Alp Selek, précisant qu’il n’accuse personne, a continué :

« En effet, ce sont les conditions actuelles qui donnent naissance à de tels événements. La Turquie a besoin de réformer sa justice. Nous continuerons de nous en préoccuper. Pınar a tracé sa route comme elle l’a voulu. Elle doit pouvoir continuer ses recherches paisiblement. Je crois que cela vaut mieux pour l’humanité. S’ils n’ont pas la conscience tranquille, ceux qui provoquent ces injustices ne recommenceront peut-être pas envers d’autres. Cela me suffirait s’il pouvait en être ainsi. »

Pour sa part Ayla Selek a déclaré : « J’avais confiance en la justice, et j’avais raison. Je suis heureuse de passer les fêtes avec ma fille. Mais je ne suis pas seule à ressentir tout cela. Nous avons été nombreux en Turquie, et finalement ce qui s’est produit n’était que justice. »

Ils ont accusé Pınar de « terrorisme »

Un mois et demi environ après l’explosion [de juillet 1998], c’est le Directeur de la sureté d’Istanbul de l’époque, Hasan Özdemir, qui avait déclaré : « C’est une bombe qui est à l’origine de l’explosion dans la boutiqueÜnlüoglu Büfesi, tuant sept personnes et en blessant 121 autres. Nous avons pu établir que ce sont des militants du PKK qui avaient préparé l’attentat. Outre 19 membres de l’organisation, nous avons arrêté Pınar Selek, dont le nom de code est ‘Leyla’, et Abdülmecit Öztürk, qui a placé la bombe dans la boutique. »

Un dossier plein de contradictions

  • Le 5 juillet 1999, lors d’une audience à la 4e Cour de Sûreté de l’Etat d’Istanbul, l’expert en explosifs Nazmi Nuri Çelik avait déclaré : « L’explosion du Marché égyptien résulte d’une accumulation de gaz qui fuyait de la bonbonne se trouvant dans la boutique ».
  • Le 18 août 1998, les déclarations de Seker Güler, qui assurait avoir reconnu Pınar sur une photo, avaient été acceptées. Deux ans plus tard, il s’est avéré lors d’une audience que ce Güler ne parlait pas turc. Par le biais d’un interprète, il a déclaré qu’il ne connaissait pas Selek.
  • Trois procès-verbaux établis par la police se contredisent entre eux. Le procès-verbal de la Direction des services d’identification (Kimlik Tespit ve Olay yeri Inceleme) a été établi onze heures avant l’arrestation de Pınar, et 22 heures avant les recherches dans l’atelier.

Nom de code : « Leyla » !

Pınar Selek, 26 ans, a été arrêtée, identifiée comme une militante au nom de code de « Leyla ». A huit ans, Pınar Selek avait déjà l’intention d’écrire des romans. Après des études secondaires au lycée Notre-Dame de Sion, elle est entrée à la section Sociologie de la Faculté d’histoire, de géographie et de langues d’Ankara. Un an plus tard, elle a rejoint la section sociologie de l’Université Mimar Sinan à Istanbul.

Elle ensuite préparé un mastère sur les enfants de la rue Ülker, et sur les travestis du même quartier. Puis elle a été invitée à l’université d’été de Sophia-Antipolis pour travailler sur les migrations et l’expansion de l’habitat précaire.(…)

Traduction : Etienne Copeaux





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