La justice turque a condamné à la prison à vie, jeudi, la sociologue Pinar Selek pour sa participation à un attentat commis en 1998. « C’est comme si j’apprenais qu’un proche venait de mourir », confie-telle à FRANCE 24.
Exilée en France et accusée d’avoir participé à un attentat survenu en 1998 à Istanbul, la sociologue Pinar Selek espérait en finir avec l’acharnement dont elle est victime en Turquie. Mais lors de son quatrième procès, qui s’est déroulé jeudi 24 décembre devant un tribunal d’Istanbul, les juges l’ont condamnée à la prison à vie, et ce, après trois acquittements prononcés en sa faveur. Ses avocats vont faire appel de la condamnation.
« Je suis très choquée, c’est la première fois que je suis condamnée, c’est comme si j’apprenais qu’un proche venait de mourir », déclare-t-elle à FRANCE 24, quelques instants après avoir appris le verdict. Bouleversée par cette nouvelle, elle affirme vouloir être « une femme libre » et « continuer à se battre pour mettre un terme à ce cauchemar judiciaire ».
Après avoir délibéré pendant plus d’une heure, la cour a reconnu l’universitaire, qui n’assistait pas à son procès, coupable d’avoir aidé des rebelles kurdes à commettre un attentat à l’explosif contre un site touristique d’Istanbul, le marché des épices sur la Corne d’or, qui a fait sept morts en 1998.
« Je cherche toujours à comprendre la décision des juges, sachant que dans un système d’oppression, il n’y a pas de rationalité, ajoute-elle. Si j’avais arrêté de militer et suspendu mes recherches, je pense que je n’aurais pas eu autant de problèmes en Turquie. »
« Un symbole de liberté » à abattre
Aux yeux des autorités turques, la sociologue âgée de 41 ans a commis un crime impardonnable : avoir étudié la question kurde et le génocide des Arméniens à la chute de l’Empire ottoman. « Je suis devenue un symbole de liberté qu’ils voulaient abattre à tout prix », explique-elle
Faute de ne pas avoir sollicité le statut de réfugié politique en France, elle risque théoriquement l’extradition en cas de condamnation définitive, en vertu des accords franco-turcs.
Son cauchemar commence en 1998, lorsqu’une explosion se produit en plein cœur d’Istanbul. Sept personnes perdent la vie dans ce que le pouvoir turc considère comme un attentat perpétré par le PKK, l’organisation indépendantiste kurde. Pinar Selek est rapidement accusée, à la suite d’un témoignage obtenu sous la torture, d’avoir aidé les rebelles kurdes à commettre l’attentat.
Arrêtée, torturée et incarcérée à l’âge de 27 ans, Pinar Selek a payé son refus de livrer les noms des rebelles kurdes qu’elle avait rencontrés dans le cadre de ses recherches. Après la publication d’un rapport attribuant l’explosion à une fuite de gaz, elle est relâchée deux ans et demi plus tard. La justice turque, qui a par ailleurs pris en compte la rétractation du principal témoin à charge contre elle, l’avait même acquitté à trois reprises, en 2006, puis en 2008, et encore en 2011, mais à chaque fois la Cour de cassation avait invalidé le verdict.
Marc DAOU