Condamnée le 24 janvier par la 12e cour pénale d’Istanbul à la perpétuité après un acharnement judiciaire qui dure depuis bientôt quinze ans, Pinar Selek est le symbole de la résistance à l’arbitraire du pouvoir en Turquie.
Pinar Selek est une militante d’une famille engagée à gauche : son grand-père est un des fondateurs du Parti des travailleurs de Turquie ; son père, avocat, connut la prison après le coup d’État militaire de 1980. Sociologue, parce qu’il faut « analyser les blessures de la société pour être capable de les guérir », elle tisse dans les années 1990 des liens de solidarité avec les minorités opprimées : les enfants sans domicile, les femmes abandonnées, les transsexuels… Pour les accueillir, elle fonde l’Atelier des artistes de rue. Elle entame une recherche sur la question kurde, réalise une soixantaine d’entretiens dans un projet d’histoire orale pour montrer qu’une solution politique peut être trouvée à la question des droits du peuple kurde. C’est sans doute la ligne rouge que le pouvoir ne lui pardonne pas d’avoir franchie.
Le 9 juillet 1998, l’explosion d’une conduite de gaz dans le marché aux épices d’Istanbul tue sept personnes et en blesse une centaine d’autres. Le pouvoir transforme l’explosion, pourtant confirmée, en attentat à la bombe. Pinar Selek est arrêtée. Elle refusera de donner les noms des militants kurdes qu’elle a interviewés. Et paiera cher de n’avoir rien lâché : elle est torturée et restera deux ans et demi en prison.
Pinar Selek a subi ensuite trois procès (2006, 2008, 2011). Par trois fois, elle est acquittée. Et par trois fois, la cour fait appel. Un fait rarissime !
Qui interroge : quel est donc le crime de Pinar Selek ?
D’avoir tenu bon, d’avoir ainsi défié le pouvoir… Et aussi, sans doute, d’être restée elle-même : une militante. En 2001, elle fonde, avec d’autres l’association féministe Amargi, qui s’engage dans les mobilisations contre les violences faites aux femmes, contre toutes les oppressions et pour la paix. Une librairie est ouverte. Elle écrit des essais sur le militarisme et la paix, publie aussi des contes pour enfants.
Son quatrième procès fut une parodie de justice. La condamnation fut prononcée lors d’une audience qui en a camouflé les raisons politiques. Une mascarade, en quelque sorte. À un moment où la géopolitique – la frontière avec la Syrie – confère à la Turquie un rôle clé, l’occasion de ranimer le « péril kurde » ? En la présentant, par un montage politico-judiciaire, comme l’égérie du « terrorisme kurde »…
Il s’agit donc maintenant de s’opposer à ce verdict inique ! Et d’abord de protéger Pinar Selek puisque la condamnation est assortie d’un mandat d’arrêt. Réfugiée en France, poursuivant ses travaux de recherche à l’université de Strasbourg, elle est donc sous notre protection collective. On n’imagine pas le gouvernement français l’extrader ! Mais cela demande confirmation…
Ensuite, nous ne saurions tolérer qu’elle soit condamnée à l’exil ! Cette fois-ci, ce sont ses avocats qui ont fait appel du jugement. Elle est soutenue en Turquie par un réseau militant, efficace et chaleureux. Mais la pression internationale est décisive. Nous étions 50 venus d’Europe à Istanbul, le 24 janvier, pour témoigner de notre solidarité. De France, il y avait des militants de la CGT, de Solidaires, de la FSU, de la Marche mondiale des femmes, de son comité de soutien strasbourgeois…
Ce mouvement doit maintenant s’élargir pour que, tous ensemble, nous arrachions… justice pour Pinar Selek !