Appel du comité de soutien (Turquie) à Pinar Selek

Pour une ana­lyse poli­tique du pro­cès Selek

Le 24 mars 2011

Le pro­cu­reur de la Répu­blique a fait appel de la déci­sion d’acquittement que la Cour avait pro­non­cée, pour la troi­sième fois, en faveur de Pınar Selek. Cette déci­sion, une nou­velle fois, crée une situa­tion ambi­guë.

Tous ensemble, nous devons faire ces­ser cette tor­ture !

Alors que le pays connaît une actua­li­té char­gée, nous vou­drions par­ta­ger avec vous cette mise au point sur la situa­tion où nous sommes par­ve­nus et sur ce com­bat juri­dique qui a déjà duré treize ans.

Comme on le sait, la 12e haute cour pénale d’Istanbul n’a pas sui­vi les réqui­si­tions de l’Assemblée géné­rale de la Cour Suprême pour les Affaires Cri­mi­nelles, et, pour la troi­sième fois, a acquit­té Pınar Selek. Pınar Selek, écri­vain et socio­logue, mili­tante des droits de l’Homme, se bat­tait pour la jus­tice, quand elle a été prise dans le coup mon­té du Mar­ché égyp­tien [1998]. Le der­nier acquit­te­ment [le 9 février 2011] a mis en évi­dence de façon criante l’injustice qui était com­mise à son encontre pen­dant toutes ces années.

Pour­tant, après le ver­dict, le Pro­cu­reur de la répu­blique a fait appel de l’acquittement. Cette déci­sion est inter­ve­nue le len­de­main même du pro­cès, dans une hâte qui fait son­ger à un acte réflexe. Cette déci­sion, jusqu’à pré­sent, n’a pas été moti­vée. Le Pro­cu­reur a sim­ple­ment décla­ré que le juge­ment moti­vé serait ren­du après que la Cour ait fait une pré­sen­ta­tion détaillée de la pro­cé­dure. Désormais,l’affaire du Mar­ché égyp­tien doit être por­tée devant la Cour suprême des affaires cri­mi­nelles pour la der­nière fois, après la clô­ture de toutes les autres pro­cé­dures.

L’appel du Pro­cu­reur, qui annule une vic­toire juri­dique, est une épée de Damo­clès sur la vie de Pınar Selek. Cette longue période d’ambiguïté et d’incertitude est en elle-même une tor­ture. Ain­si, le 3 août 2010, l’Über­le­ben Treat­ment Centre for Vic­tims of Tor­ture de Ber­lin a publié un rap­port sur le cas de Pınar Selek, et le pro­lon­ge­ment indé­fi­ni du pro­ces­sus juri­dique a été pris en compte dans cet exa­men. Ce rap­port exprime clai­re­ment que « les tor­tures endu­rées par Mme Selek en juillet 1998 au quar­tier géné­ral de la police à Istan­bul ont déclen­ché un syn­drome de stress aigu, qui a évo­lué en un syn­drome de stress post-trau­ma­tique, et a lais­sé sur elle des effets soma­tiques per­ma­nents. Les évé­ne­ments trau­ma­tiques subis par la suite (les condi­tions de déten­tion, la réou­ver­ture du pro­ces­sus juri­dique, etc.) ont réac­ti­vé et aggra­vé les symp­tômes post-trau­ma­tiques. En consé­quence, le pro­ces­sus trau­ma­tique a empi­ré et est deve­nu chro­nique. »

Les droits de Pınar Selek ont été bafoués à de nom­breuses reprises. Ces entorses au droit ont été basées sur des témoi­gnages à son encontre obte­nus sous la tor­ture, et démen­tis par la suite au tri­bu­nal ; sur des rap­ports offi­ciels dont le carac­tère tru­qué a été ensuite recon­nu lors des pro­cès ; sur des rap­ports d’experts dépour­vus de vali­di­té scien­ti­fique ; sur des inter­ven­tions illé­gales, et même des menaces et agres­sions. Aujourd’hui, son cas devient sym­bo­lique d’une exi­gence de jus­tice par le public tant en Tur­quie qu’à l’étranger. Le cas Selek, par sa pro­lon­ga­tion, par la tor­ture qu’elle a subie et le déni de son droit à un pro­cès équi­table, est désor­mais à l’ordre du jour de la Cour euro­péenne des droits de l’Homme.

On a vou­lu que Pınar Selek passe, aux yeux du public, pour l’organisatrice d’un mas­sacre. Elle a ain­si été char­gée d’une res­pon­sa­bi­li­té insup­por­table. En réa­li­té, ce sont tous ceux qui veulent pen­ser et créer libre­ment qui sont visés à tra­vers sa per­sonne. C’est un cas qui ébranle la confiance de la socié­té dans son sys­tème juri­dique. Dans un pro­cès res­pec­tant la pro­cé­dure légale, per­sonne n’est tenu de prou­ver son inno­cence. Au contraire, pour qu’une sanc­tion légale soit pro­non­cée, il ne doit faire aucun doute pour les auto­ri­tés judi­caires qu’un crime a été com­mis, et de même ces auto­ri­tés doivent éta­blir par qui le crime a été com­mis. Dans le cas de Pınar Selek, une per­sonne est tou­jours pour­sui­vie, alors que son inno­cence a été prou­vée, que cette inno­cence a été éta­blie à plu­sieurs reprises ; dans un tel cas, il faut être atten­tif au contexte et à l’environnement poli­tique, au dis­cours et mes­sages qui cir­culent hors du strict cadre juri­dique. Le der­nier acquit­te­ment de Pınar Selek, et l’appel immé­diat du Pro­cu­reur de la répu­blique doivent être une base de réflexion pour une ana­lyse poli­tique.

Tout en adop­tant cette approche poli­tique, nous conti­nuons de suivre de près les déve­lop­pe­ments de l’affaire Pınar Selek jusqu’à son terme défi­ni­tif. Ce qui importe est que la cour locale a réité­ré l’acquittement. Désor­mais ce sont ces pro­cès inter­mi­nables qui doivent ces­ser, parce qu’ils sont deve­nus, en eux-mêmes, un méca­nisme de répres­sion.

Nous espé­rons mettre un terme à ce sup­plice fait d’ambiguïté et d’incertitude sans fin. L’écoute et la soli­da­ri­té qui nous lient nous y aide­ront. Nous sui­vons de près toutes les péri­pé­ties, et nous sommes déter­mi­nés à ce que l’épée de Damo­clès rentre dans son four­reau une fois pour toutes.

En exi­geant la jus­tice pour Pınar Selek, nous lut­tons pour une Tur­quie juste et libre pour nous tous.

Signé : le réseau turc « Nous sommes tous témoins »





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