Moi président, la France n’extradera pas Pinar Selek vers la Turquie

A quelques jours d’une visite offi­cielle de Fran­çois Hol­lande en Tur­quie, une ving­taine de cher­cheurs, par­mi les­quels Luc Bol­tans­ki, Annie Col­lo­vald, Edgar Morin, Gisèle Sapi­ro… et plu­sieurs asso­cia­tions de socio­logues inter­pellent Fran­çois Hol­lande sur la situa­tion de Pinar Selek, réfu­giée en France mais sous le coup d’une demande d’ex­tra­di­tion, et lui demandent de cla­ri­fier la posi­tion du gou­ver­ne­ment.

Mon­sieur le pré­sident, vous vous ren­dez les 27 et 28 jan­vier pro­chains en Tur­quie. C’est la pre­mière fois depuis vingt ans qu’un chef de l’Etat fran­çais se déplace à Anka­ra. Cette visite est cen­sée relan­cer le dia­logue autour d’importants dos­siers éco­no­miques et poli­tiques.

A cette occa­sion sera posé le pro­blème de l’extradition de notre col­lègue Pinar Selek que les auto­ri­tés d’Ankara ont deman­dée à la France. Cette socio­logue turque est per­sé­cu­tée depuis une quin­zaine d’années pour avoir refu­sé de don­ner les noms de mili­tants kurdes sur les­quels elle menait des enquêtes. Elle fait aujourd’hui l’objet d’une condam­na­tion à la pri­son à vie à la suite d’un pro­cès dénon­cé par les orga­ni­sa­tions de droits de l’homme et de nom­breuses asso­cia­tions de cher­cheurs dans le monde.

Injus­te­ment accu­sée de ter­ro­risme, Pinar Selek a été empri­son­née avant d’être lavée de tout soup­çon par plu­sieurs rap­ports d’experts et d’être acquit­tée à trois reprises par les tri­bu­naux d’Istanbul. L’acharnement de la jus­tice s’est tou­te­fois pour­sui­vi inlas­sa­ble­ment jusqu’aux récentes déci­sions la condam­nant à l’emprisonnement à per­pé­tui­té et exi­geant son extra­di­tion par la France.

Tenant compte des menaces qui pèsent sur elle, la France lui a accor­dé l’an pas­sé le sta­tut de réfu­giée. Pinar Selek ter­mine d’ailleurs actuel­le­ment une thèse qui sera sou­te­nue en mars pro­chain à l’université de Stras­bourg. Elle a éga­le­ment reçu l’an pas­sé un doc­to­rat hono­ris cau­sa de l’Ecole nor­male supé­rieure de Lyon contre­si­gné par le ministre des affaires étran­gères.

Alors pour­quoi cette tri­bune ? Mal­gré de mul­tiples demandes de cla­ri­fi­ca­tion de la posi­tion fran­çaise sur ce dos­sier, le silence de vos ser­vices devient gênant. Depuis que Pinar Selek a été mise par la Tur­quie sur la liste rouge des per­sonnes recher­chées par Inter­pol, le gou­ver­ne­ment n’a publi­que­ment mani­fes­té aucune réac­tion. Nous atten­dons tou­jours de la part du gou­ver­ne­ment fran­çais une prise de posi­tion publique claire et ferme : « Non, la France ne livre­ra pas Pinar Selek ». Cer­tains points de prin­cipe ne peuvent s’accommoder du cadre feu­tré qui régit habi­tuel­le­ment les rela­tions diplo­ma­tiques.

Défendre clai­re­ment, dès avant votre visite en Tur­quie, le droit de Pinar Selek de res­ter sur notre sol, c’est défendre la liber­té de la recherche tant pour les uni­ver­si­taires qui ont été obli­gés de fuir la Tur­quie que pour les cher­cheurs qui y sont régu­liè­re­ment empri­son­nés pour avoir osé dire la véri­té sur la socié­té turque à un pou­voir qui ne veut pas l’entendre.

Annon­cer clai­re­ment, et dès main­te­nant, la posi­tion du gou­ver­ne­ment sur le cas Pinar Selek serait dire ce que la France pense du trai­te­ment qui a été réser­vé aux jour­na­listes et citoyens ordi­naires qui ont osé se sou­le­ver sur la place Tak­sim en ins­cri­vant sym­bo­li­que­ment le nom de notre col­lègue sur cer­taines de leurs ban­de­roles.

Il reste encore quelques jours pour qu’une parole forte se fasse entendre sur ce dos­sier, encore quelques jours avant que les dis­cus­sions sur les liber­tés poli­tiques ne soient relé­guées en fin de liste pro­to­co­laire des « ques­tions diverses » à trai­ter.

Signa­taires :
L’association fran­çaise de socio­lo­gie,
L’association des socio­logues de l’enseignement supé­rieur ,
L’association Champ libre pour les sciences sociales,

Ain­si que :
Pao­la Bac­chet­ta (socio­logue, Ber­ke­ley, co-fon­da­trice du Cau­cus on Trans­na­tio­nal Approaches to Gen­der and Sexua­li­ty de l’American Socio­lo­gi­cal Asso­cia­tion) ;
Sté­phane Beaud (socio­logue, ENS) ;
Luc Bol­tans­ki (socio­logue, EHESS) ;
Annie Col­lo­vald (socio­logue, Nantes, IUF) ;
Anne-Marie Devreux (socio­logue, CNRS) ;
Jules Fal­quet (socio­logue, Paris 7) ;
Didier Fas­sin (pro­fes­seur à l’Institute for Advan­ced stu­dy, Prin­ce­ton) ;
Eric Fas­sin (socio­logue, Paris 8) ;
Aza­deh Kian (socio­logue, Paris 7, co-res­pon­sable fédé­ra­tion Ring) ;
Rose-Marie Lagrave (socio­logue, EHESS) ;
Fré­dé­ric Leba­ron (pré­sident de l’association Savoir / Agir) ;
Cathe­rine Mar­ry (socio­logue, ENS) ;
Oli­vier Mar­tin (pré­sident du Conseil Natio­nal des Uni­ver­si­tés de Socio­lo­gie-Démo­gra­phie) ;
Gérard Mau­ger (socio­logue, CNRS) ;
Edgar Morin (socio­logue) ;
Serge Pau­gam (socio­logue, EHESS) ;
Gisèle Sapi­ro (socio­logue, EHESS) ;
Fran­çois de Sin­gly (socio­logue, Paris 5) ;
Bever­ley Skeggs, (socio­logue, Gold­smiths Col­lege, Lon­don) ;
Loïc Wac­quant (socio­logue, Ber­ke­ley) ;
Laurent Wille­mez (pré­sident de l’ASES) .

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/240114/moi-president-la-france-n-extradera-pas-pinar-selek-vers-la-turquie





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