Pinar Selek acquittée, mais dans l’attente d’un possible appel

Au terme de 16 années de per­sé­cu­tion poli­ti­co-judi­ciaire*, après 3 pro­cès et l’envoi de 5 délé­ga­tions pour la seule année 2014, la longue lutte de la socio­logue turque semble enfin devoir trou­ver une issue heu­reuse. Nous retien­drons cepen­dant notre souffle pen­dant un mois, le délai dont dis­pose le pro­cu­reur géné­ral pour faire appel.

Nous trem­blons un peu en écri­vant ces trois mots : Pinar Selek acquit­tée. Nous trem­blons parce qu’avec beau­coup d’autres nous rêvions de les écrire depuis trop long­temps. Nous trem­blons parce que la joie qui a trans­por­té tous les amis et sou­tiens de Pinar en appre­nant le 19 décembre au soir la très bonne nou­velle, est tein­tée d’une inquié­tude : Pinar a déjà été acquit­tée à trois reprises et à chaque fois les juge­ments ont été cas­sés par le sys­tème judi­ciaire turc qui reste sou­mis à des forces obs­cures – l’Etat pro­fond dont parle la socio­logue — et à un pou­voir poli­tique qui bafoue les liber­tés fon­da­men­tales.

Nous trem­blons bien sûr parce que le pro­cu­reur de la 15ème Cour pénale d’Istanbul dis­pose d’une semaine pour faire appel et que le pro­cu­reur géné­ral peut faire de même dans les trente jours qui suivent le juge­ment.  Selon les avo­cats de Pinar qui se sont expri­més lors d’une confé­rence de presse à l’is­sue du pro­cès dans une salle du res­tau­rant Dje­zaïr d’Is­tan­bul, si un tel recours était dépo­sé, il revien­drait à une assem­blée de juges de la Cour Suprême de Tur­quie de sta­tuer sur sa rece­va­bi­li­té.  Cette pro­cé­dure serait conduite à huis clos et n’au­to­ri­se­rait une défense des avo­cats de Pinar Selek que par écrit ; le cas échéant, la déci­sion de la Cour Suprême de Tur­quie pour­rait inter­ve­nir dans le pre­mier semestre de l’an­née 2015. Toute déci­sion contraire au juge­ment pro­cla­mé ce 19 décembre 2014 pour­rait méca­ni­que­ment fon­der un recours des avo­cats de Pinar Selek auprès de la Cour Euro­péenne des Droits de l’Homme.  Si un tel scé­na­rio devait voir le jour, les avo­cats de Pinar Selek estiment que la mobi­li­sa­tion d’or­ga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales de magis­trats et de juristes pour­rait jouer un rôle déci­sif. Et celle de tous ses sou­tiens en France et ailleurs. La mobi­li­sa­tion ne doit donc pas fai­blir.

Aujourd’hui l’observateur occi­den­tal n’imagine pas que le pro­cu­reur puisse faire appel, même si l’inimaginable est tou­jours pos­sible dans le sys­tème judi­ciaire turc, sur­tout dans le contexte poli­tique actuel de tour­nant auto­ri­taire et de forte répres­sion des liber­tés en Tur­quie. Nous ne l’imaginons pas parce que tous les chefs d’accusation ont été levés. La socio­logue n’a jamais appar­te­nu à une orga­ni­sa­tion ter­ro­riste. La fémi­niste anti­mi­li­ta­riste n’a pas posé la bombe du Mar­ché aux épices d’Istanbul qui a fait 7 morts en 1998, parce qu’il n’y a jamais eu de bombe, mais un dra­ma­tique acci­dent consé­cu­tif à une fuite de gaz pour lequel d’ailleurs aucune des familles des vic­times ne s’est por­tée par­tie civile. Tout cela, les avo­cats de Pinar l’ont une nou­velle fois démon­tré lors de l’audience du 19 décembre. Comme ils ont aus­si métho­di­que­ment démon­tré les fal­si­fi­ca­tions de docu­ments, la fabri­ca­tion de fausses preuves, les vices de pro­cé­dure et les mul­tiples inco­hé­rences de l’accusation.

Pinar Selek et Günter Wallraff à Strasbourg le 25 janvier 2013
Pinar Selek et Gün­ter Wall­raff à Stras­bourg le 25 jan­vier 2013 © DNA, Cédric Jou­bert

Pinar Selek est donc acquit­tée une qua­trième fois, au terme d’un com­bat qui est deve­nu une épo­pée col­lec­tive pour la jus­tice et les liber­tés. D’abord exi­lée en Alle­magne en 2011, elle a reçu le sou­tien de nom­breuses asso­cia­tions et per­son­na­li­tés, dont le jour­na­liste d’investigation Gün­ter Wall­raff. Arri­vée en France en 2012, elle ren­contre ses pre­miers sou­tiens à Stras­bourg dont l’université lui accorde la pro­tec­tion aca­dé­mique, mais aus­si à Paris, dans d’autres villes uni­ver­si­taires et désor­mais à Lyon, où Pinar enseigne à l’Ecole Nor­male Supé­rieure, après avoir été faite Doc­teure Hono­ris Cau­sa de cette ins­ti­tu­tion. Mais les sou­tiens de Pinar dépassent de loin le monde des cher­cheurs, même si celle qui a été per­sé­cu­tée pour avoir enquê­té sur des mili­tants kurdes est deve­nue le sym­bole de la défense de la liber­té de recherche.

Pinar, par ses qua­li­tés humaines excep­tion­nelles, dis­pose de cette rare facul­té de réunir pour une même cause de mul­tiples asso­cia­tions, des citoyens enga­gés, des mili­tants syn­di­caux et poli­tiques de tous bords, mais aus­si les femmes et le hommes qu’on dit ordi­naires et qui sont extra­or­di­naires. C’est d’abord pour ces der­niers, pour tous les oppri­més, toutes les mino­ri­tés, que Pinar se bat depuis tant d’années. Celles et ceux qui l’accompagnent dans sa longue lutte, ont appris à son contact trois choses essen­tielles : le cou­rage, la soli­da­ri­té par delà les fron­tières et la valeur de la liber­té.

Jean-Pierre Dju­kic et Pas­cal Maillard

Membres du comi­té de sou­tien uni­ver­si­taire (Stras­bourg)

PS : Jean-Pierre Dju­kic était pré­sent au pro­cès du 19 décembre, au titre d’ob­ser­va­teur du Comi­té de sou­tien uni­ver­si­taire de Stras­bourg. Il était accom­pa­gné de Mathieu Schnei­der, vice-pré­sident Sciences en socié­té et repré­sen­tant du pré­sident de l’U­ni­ver­si­té de Stras­bourg, ain­si que d’une nom­breuse délé­ga­tion du Col­lec­tif de soli­da­ri­té com­po­sée de repré­sen­tants de la Ville de Stras­bourg, d’as­so­cia­tions, de syn­di­cats et de par­tis poli­tiques. Pas­cal Maillard était pré­sent à l’au­dience du 5 décembre, au titre d’ob­ser­va­teur du SNESUP-FSU.

http://blogs.mediapart.fr/blog/pascal-maillard/211214/pinar-selek-acquittee-mais-dans-l-attente-d-un-possible-appel





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