Récit d’un acharnement politico-judiciaire et d’une mobilisation internationale autour d’une féministe, antimilitariste, sociologue, écrivaine et militante : Pinar Selek.
Réfugiée politique en France depuis 2012, après avoir enseigné à l’université de Strasbourg, Pinar Selek, en exil, enseigne aujourd’hui à l’ENS de Lyon, où elle a été faite « docteur honoris causa » à 2 500 km d’Istanbul où vivent sa famille et les siens. En tant que sociologue, elle mène dès 1997 des recherches sur et avec les transsexuels et travestis. En parallèle, elle réalise des recherches sur la question kurde, et plus particulièrement sur la lutte armée des militants du PKK. Ces dernières recherches lui coûtent son arrestation par la police d’Istanbul le 11 juillet 1998. Emprisonnée, elle subit des interrogatoires, tortures, pour obtenir les noms des personnes qu’elle a interviewées. Elle résiste et c’est alors qu’elle se trouve accusée d’avoir posé un engin explosif le 9 juillet 1998 au marché des épices.
>> LE PARCOURS JUDICIAIRE D’UNE COMBATTANTE
C’est le début d’un imbroglio juridique qui dure maintenant depuis plus de 16 ans. Un premier mouvement de solidarité obtient sa libération en décembre 2000 après deux ans et demi de prison. Cependant les procès contre Pinar Selek ne cesseront ensuite de s’enchaîner. Entre 2006 et 2011 trois procès se succèdent. Chacun de ces procès débouche sur l’acquittement de Pinar Selek, démonstration étant faite que toute l’accusation est fabriquée et ne repose sur aucune preuve. A chaque fois, le procureur fait appel de ces décisions d’acquittement, créant des procédures inédites dans la justice turque. Mais le 24 janvier 2013, la 12e cour d’Istanbul annule sa propre décision d’acquittement et la condamne à la prison à perpétuité. Ses avocats font appel. Le 11 juin 2014, la 9e Cour de cassation renvoie l’affaire devant une nouvelle cour pénale le 5 décembre 2014. L’audience du 5 décembre est brève : elle se limite au réquisitoire du procureur réclamant la prison à perpétuité contre Pinar Selek. Les plaidoiries de la défense sont, à la demande des avocats de Pinar, renvoyées au 19 décembre 2014.
>> SOUTIEN INTERNATIONAL
Entre le 5 et le 19 décembre, en France, un important travail de mobilisation, à travers les collectifs locaux, a permis la constitution d’une délégation de 34 personnes venues de Strasbourg, Paris, Lyon, Nice, chercheurs, élus, féministes, syndicalistes, avocats, militants associatifs et politiques. La journée du 19 décembre commence à 9h30 devant l’imposant palais de justice d’Istanbul (nouveau bâtiment de 290 000 m2, 4 600 pièces dont 300 salles d’audience). Nous y sommes rassemblés, nombreuses et nombreux, de France, d’Allemagne et de Turquie, autour de deux banderoles témoignant de notre Manifestation de soutien à Pinar Selek à Istanbul lors du dernier procès du 5 décembre 2014solidarité avec Pinar Selek. Les discours au mégaphone se succèdent.
>> L’AUDIENCE
Les 23 avocats de Pinar Selek sont présents pour l’audience, dont le père et la soeur de Pinar, tous deux avocats. Les plaidoiries se sont succédé pendant la journée. Parmi les 23 avocats, quatre ont plaidé et n’ont eu de cesse de dénoncer que l’on se trouvait face à un procès politique, en lien avec les recherches de Pinar Selek sur les sujets sensibles que sont la question kurde ou les groupes sociaux opprimés, posant par là même la question de la liberté de recherche. Devant le refus de donner les noms des Kurdes qu’elle avait rencontrés, il avait fallu accuser Pinar Selek d’avoir commis un attentat et fabriquer des preuves de l’existence d’un engin explosif. Ils ont contesté, pièce par pièce, l’accusation avec à l’appui des schémas, une vidéo en 3 D, des photos, afin d’établir qu’elle était fabriquée et ne reposait en réalité que sur le témoignage extorqué sous la torture d’un prétendu complice. Or cette personne a depuis été acquittée, comme Pinar Selek, mais sans que cette décision ne fasse l’objet d’un appel. Ils ont démontré scientifiquement qu’il n’y avait jamais eu d’engin explosif au marché des épices mais une explosion de gaz accidentelle. A de nombreuses reprises, a été rappelé le principe fondamental du droit pénal garanti par la Cour européenne des droits de l’homme La rigueur des plaidoiries des avocats de Pinar Selek tranchait singulièrement avec le réquisitoire extrêmement bref mené par le procureur le 5 décembre 2014. Lors de l’audience du 5 décembre, le procureur avait en effet lu d’une voix lente et monocorde les chefs d’accusation. Il avait fait référence à l’explosion qui avait eu lieu au marché des épices le 9 juillet 1998, aux 7 morts et aux 127 blessés. Sans aucune autre démonstration ni explication, il avait conclu en moins de 10 minutes à un attentat, et sans démontrer le moindre lien de cause à effet, il avait demandé au tribunal la condamnation à perpétuité de Pinar Selek. Les observateurs que nous étions avaient eu l’impression d’assister à un procès en correctionnelle à la chambre des flagrants délits, en total décalage avec la peine de perpétuité demandée.
>> NOUVEL ACQUITTEMENT, NOUVEL APPEL !
Aux termes des plaidoiries développées par les avocats, devant l’absence manifeste de preuve, le président du tribunal, après seulement dix minutes de délibération, n’a pu que prononcer l’acquittement de Pinar Selek ! Ce quatrième acquittement a provoqué d’immenses cris de joie et de pleurs. Beaucoup ont fait le signe quatre de la main, signifiant quatre acquittements, du jamais vu. Une fois hors de la salle d’audience, un rassemblement s’est improvisé devant le palais pour applaudir les avocats dans la pénombre du début de soirée. Le soir même, nous avons appris que si sept jours plus tard, le procureur de la République ne faisait pas appel, le jugement d’acquittement serait définitif. Nous avons gardé cet espoir quelques jours. Mais le lundi 22 décembre 2014, nous sommes informés que le procureur a fait appel de l’acquittement. C’est donc dorénavant à la Cour suprême de trancher. Osera-t-elle renvoyer l’affaire une cinquième fois pour un nouveau jugement ? La cour suprême a la possibilité de juger elle-même en dernier ressort sans renvoi, mais dans ce cas, elle s’expose au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme en cas de condamnation. Un risque qu’elle n’a jamais pris jusqu’à présent. Durant toutes ces années, Pinar Selek n’a jamais baissé les bras. Elle n’a eu de cesse de poursuivre ses recherches sur les travestis, sur la construction masculine au sein du service militaire avec la publication de «Devenir homme en rampant », sur les moyens de la paix en Turquie et dernièrement sur l’Arménie. Elle s’est consacrée à l’écriture de roman comme « La maison du Bosphore », comme un moyen de faire partager sa réflexion. Enfin elle n’a jamais renoncé à son travail théorique au sein de la revue féministe Amargi qu’elle a fondée. L’acharnement judiciaire mené depuis 16 ans n’a pas réussi à la détourner de ses combats contre toutes les formes de pouvoir, de violence et d’exploitation. Tous ses combats nous les partageons, l’UGFF-CGT continuera à apporter tout son soutien à cette militante engagée courageusement en faveur des exclue- s, des opprimé-e-s et des discriminée- s et restera mobilisée à ses côtés ! Le combat, la solidarité internationale continueront.