Remise du Prix Veu Lliure 2024 à Pinar Selek

Chères et chers membres du PEN Cata­lan, chères amies, chers amis,

Je vous remer­cie de m’embrasser avec la lumière du Prix Veu Lliure. Incu­bée dans le grand savoir décou­lant des per­sé­cu­tions en Cata­logne, ani­mée par l’expérience du fas­cisme, de la Reti­ra­da et de la résis­tance, cette lumière couvre aujourd’hui une défen­seuse des peuples répri­més en Tur­quie. Elle me cou­vri­ra à vie…

Et je vous remer­cie sur­tout de m’avoir accueillie dans l’histoire de vos com­bats pour la liber­té dont le chant tra­verse les fron­tières, le plus sou­vent tra­cées et main­te­nues par la vio­lence. Face au man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal du pou­voir turc à mon encontre, qui m’empêche de sor­tir en dehors du ter­ri­toire fran­çais, vous avez inven­té une réponse forte et très poé­tique : si les déci­sions admi­nis­tra­tives prises dans des bureaux loin­tains m’empêchent d’aller à Bar­ce­lone où aurait dû se tenir la céré­mo­nie, c’est Bar­ce­lone qui se vient à moi.

Vous savez faire ça. Vous avez déjà trans­gres­sé les méca­nismes de pou­voir, vous avez mon­tré au monde entier qu’elles sont ridi­cules… Et le 13 novembre 2024, en nous retrou­vant à Per­pi­gnan, nous allons mon­trer encore une fois l’absurdité des lignes, des murs… Le 13 novembre, Per­pi­gnan ver­ra la grande retrou­vaille des lucioles.

Nous sommes des lucioles. Lucioles sans fron­tières. Le vent qui porte nos ailes ignore les murs. Notre désir est celui d’un monde sans fron­tières. Comme l’a si jus­te­ment expri­mé une des mer­veilleuses lucioles, Vir­gi­nia Woolf : « En tant que femme, je n’ai pas de pays, en tant que femme, je ne veux pas de pays. Mon pays à moi, c’est le monde entier. »

Les fron­tières ne sont que des cica­trices, tra­cées par la vio­lence et les guerres qui conti­nuent à déchi­rer notre monde, le bles­ser, le détruire. Aujourd’hui, les fron­tières tuent plus que jamais… Nous nous trans­for­mons alors en cerfs-volants.

Nous sommes des lucioles-cerf-volant. Notre lumière cir­cule par la force des mains qui nous tiennent. Et par la force de notre créa­tion. La créa­tion est notre réponse, notre élan, notre envol vers un espace où per­sonne ne pour­ra nous arrê­ter. À chaque page, chaque ligne, nous dépas­sons les limites impo­sées, nous détrui­sons leurs murs et nous construi­sons nos ponts, comme disait Ange­la Davis, une autre luciole mer­veilleuse.

Chères amies, chers amis, le prix Veu Lliure m’habille avec une nou­velle lumière magique qui vient de Cata­logne. Ce pays connaît, lui aus­si, la répres­sion, et qui sait com­bien la lutte pour la digni­té et pour la liber­té est pré­cieuse. J’ai com­pris le message…je vais la por­ter aux arménien.es, aux kurdes et à tous les peuples répri­més.

Je vais por­ter votre lumière, comme une luciole-cerf-volant. Fra­gile mais libre. Je sais que notre jeu conti­nue­ra, que je vien­drai retrou­ver vos cher.es lucioles-cerfs-volant, à Bar­ce­lone. Ensuite, nous irons ensemble plus loin, pour construire plus de ponts, de lumières, de miracles, pour ren­con­trer d’autres intel­li­gences, d’autres expé­riences … Et notre jeu magique devien­dra un espace fer­tile de conver­gences trans­na­tio­nales.

Tout ce qui se passe autour de ce prix est la mani­fes­ta­tion d’une force inté­rieure. De la sin­cé­ri­té. De la cohé­rence. C’est une véri­table force, pas seule­ment pour tenir bon contre la tyran­nie mais aus­si pour créer un autre monde, dans lequel nous aurons l’honneur d’habiter.

Mer­ci encore et encore.

PINAR SELEK





© copyright 2016  |   Site réalisé par cograph.eu