Résistances non-violentes et solidarités transnationales

Table ronde ani­mée par Pınar Selek et orga­ni­sée par le Col­lec­tif Lyon­nais de Soli­da­ri­té, le 15 octobre 2016 à Lyon.

De la Tur­quie à l’I­ran, de la Syrie à la France, des résis­tances créa­tives naissent et se construisent mal­gré des niveaux de répres­sion et de vio­lence éle­vés. Pinar Selek, mili­tante et socio­logue de Tur­quie exi­lée en France, a invi­té lors d’une table-ronde des acteurs et des actrices enga­gé-es dans ces dif­fé­rents contextes à venir confron­ter leurs ana­lyses et leurs témoi­gnages. Le but de cette ren­contre était de poser un pre­mier jalon pour la créa­tion d’un réseau trans­na­tio­nal de résis­tances non-vio­lentes et créa­tives.

Cette table-ronde a été orga­ni­sée à Lyon le 15 octobre 2016 par le Col­lec­tif lyon­nais de sou­tien à Pinar Selek, qui agit pour que celle-ci puisse pour­suivre ses luttes en France mal­gré sa situa­tion d’exil. L’évènement a été accueilli à la mai­rie du 1er arron­dis­se­ment de Lyon par sa mai­resse Natha­lie Per­rin-Gil­bert.

Pinar Selek

Gram­sci par­lait de la néces­si­té d’allier le pes­si­misme de l’in­tel­li­gence et l’optimisme de la volon­té. Nous sommes ici pour arro­ser notre volon­té mal­gré le contexte.

Aujourd’­hui nous pré­sen­tons des résis­tances créa­tives qui veulent s’au­to­no­mi­ser de la vio­lence, dans dif­fé­rents contextes. Nous allons dif­fu­ser par­tout le compte-ren­du de ce débat. Nous espé­rons qu’il va être tra­duit en de nom­breuses langues.

Nous com­men­çons par entendre Yavuz Atan, qui entre en connexion avec nous par skype depuis la Tur­quie. Il est une figure sym­bo­lique en Tur­quie. Je suis moi-même deve­nue anti­mi­li­ta­riste grâce à la lutte de Yavuz et d’autres. Yavuz est Kurde, et il est arri­vé à l’âge de 17 ans dans les grandes villes telles qu’Istanbul. Il y a fré­quen­té les milieux anar­chistes et non-vio­lents. Je pré­fère pour ma part par­ler d’an­ti-vio­lence plu­tôt que de non-vio­lence, pour reprendre une dis­tinc­tion faite par Etienne Bali­bar dans son livre Vio­lence et civi­li­té. Yavuz a été co-res­pon­sable du jour­nal Amar­gi. Il a été enga­gé dans le mou­ve­ment anti-guerre, puis lui-même objec­teur de conscience en 1993. Il est proche de l’é­co­lo­gie sociale ain­si que du mou­ve­ment fémi­niste et a été membre du groupe « Nous ne sommes pas hommes ».

Yavuz Atan

En Tur­quie nous vivons un coup d’E­tat contrô­lé et orga­ni­sé. Il s’a­git d’une sorte de jeu de la part de l’E­tat, qui veut recons­truire la struc­ture éta­tique en plon­geant le peuple dans l’hor­reur. Avant il y avait la guerre au Kur­dis­tan. Main­te­nant nous sommes en train de vivre une guerre qui s’est éten­due à toute la Tur­quie. Face à cela nous créons dif­fé­rentes sortes de mobi­li­sa­tion. Nous sommes appa­rus sur la scène au début des années 1990, avec le slo­gan : « N’al­lez pas en guerre contre les Kurdes » ! ». Nous avons refu­sé dans notre résis­tance les valeurs domi­nantes fon­dées sur la vio­lence. La vio­lence orga­ni­sée ne nous amène jamais à la liber­té, mais à l’E­tat. Nous uti­li­sons des modes d’or­ga­ni­sa­tion auto­gé­rés et non-hié­rar­chiques, car sinon cela ne mène pas à la liber­té. Il y a ici un pro­verbe qui dit : « Je n’emprunte jamais le che­min où le tyran fait ses exer­cices ».

Au niveau du mou­ve­ment anti-guerre, nos alliées prin­ci­pales sont les fémi­nistes. Nous fai­sons avec elles l’a­na­lyse que la guerre est une mani­fes­ta­tion de mas­cu­li­ni­té. Nous sommes alliés éga­le­ment aux mou­ve­ments LGBT et éco­lo­gistes, et culti­vons des liens trans­na­tio­naux.

Les mani­fes­ta­tions du parc Gezi ne sont pas tom­bées du ciel. C’é­tait le résul­tat des trans­for­ma­tions qui per­durent depuis une dizaine d’années. Les mani­fes­tants, c’étaient nous et nos ami-es. Nous sommes sor­tis du cycle de la vio­lence et nous avons créé notre espace, notre mode de mobi­li­sa­tion. Main­te­nant, nous résis­tons pour conti­nuer.

Exemple d’i­ni­tia­tive récente : nous sommes allé-es de l’Est de la Tur­quie vers Diyar­ba­kir, où s’est tenu un grand ras­sem­ble­ment de 600 per­sonnes sur la non-vio­lence. Lors de ce camp, il n’y avait pas que des per­sonnes convain­cues par la non-vio­lence, et nous avons dis­cu­té de manière ouverte les tac­tiques de résis­tances non-vio­lentes. Nous avons réflé­chi ensemble, avec notam­ment beau­coup de fémi­nistes. Il n’y a d’ailleurs pas eu de pro­blème de sexisme mal­gré le nombre de per­sonnes pré­sentes. Le slo­gan de cette ren­contre était « La soli­da­ri­té conti­nue », mal­gré le contexte très dur.

Actuel­le­ment, il y a au moins une per­sonne par semaine qui déclare son objec­tion de conscience en Tur­quie, avec ce que cela signi­fie comme consé­quences (pri­son).

Pinar

Nous conti­nuons avec Somayeh et Beh­rouz, que j’ai ren­con­tré il y a 2 ans à Pau. Somayeh est réfu­giée poli­tique, elle vit en France depuis 2010. Elle effec­tue actuel­le­ment une thèse de doc­to­rat pour étu­dier com­ment le pro­jet tota­li­taire en Iran n’a pas pu se réa­li­ser tota­le­ment.

Somayeh Kha­j­van­di

La réflexion que je pro­pose ici s’inscrit dans un pro­jet de thèse de doc­to­rat sous la super­vi­sion de Boris Cyrul­nik. L’axe prin­ci­pal de ce tra­vail est ‘Le sens de la rési­lience dans la vie quo­ti­dienne en Iran ». Il me semble cohé­rent de sou­li­gner ici le rap­port étroit entre la rési­lience et la non-vio­lence. La notion de la rési­lience me semble être liée par nature à celle de la non-vio­lence au point où la rési­lience non-vio­lente sonne comme un pléo­nasme.

Le contexte socio­po­li­tique ira­nien

La révo­lu­tion de 1979 en Iran a rem­pla­cé une dic­ta­ture aux habits et aux impé­ra­tifs socio­po­li­tiques modernes par une dic­ta­ture idéo­lo­gique qui se sin­gu­la­rise en éten­dant les inter­dits jusqu’aux moindres aspects de la vie sociale et pri­vée des citoyens.

Axées sur les vieux fan­tasmes, les nou­velles lois isla­miques déclarent une guerre inouïe à toute forme de plai­sir ou d’attraction non-conforme à la grille idéo­lo­gique. Au centre de ce dis­po­si­tif mor­tel­le­ment violent, une miso­gy­nie évi­dente et un ascé­tisme per­vers sont à l’œuvre.

Il fau­drait insis­ter éga­le­ment sur la dimen­sion oppres­sive du régime envers les per­sonnes LGBT. Leurs droits demeurent inexis­tants. Donc la plu­part des per­sonnes LGBT res­tent cachées par peur des sanc­tions gou­ver­ne­men­tales, des châ­ti­ments cor­po­rels, et de la peine capi­tale.

De façon géné­rale, on pour­rait énu­mé­rer plus rapi­de­ment ce qui n’est pas inter­dit qu’établir une liste exhaus­tive des inter­dic­tions en Iran.

Près de qua­rante ans après la res­tau­ra­tion de la théo­cra­tie en Iran, la faillite du pro­jet tota­li­taire de l’islamisation de la socié­té s’expliquerait par l’échec du pou­voir en place à « isla­mi­ser » les goûts et l’univers sen­sible et men­tal des indi­vi­dus en Iran.

La vie sen­sible comme sup­port de la rési­lience

Mais quelles formes de résis­tance de la part de la socié­té civile ira­nienne ont empê­ché ou per­tur­bé ce pro­jet d’islamisation ?

Pour répondre à cette ques­tion je fais appel à la notion de rési­lience. Selon la simple défi­ni­tion de Boris Cyrul­nik la rési­lience est « un pro­ces­sus bio­lo­gique, psy­choaf­fec­tif, social et cultu­rel qui per­met un nou­veau déve­lop­pe­ment après un trau­ma­tisme psy­chique ».

Par ailleurs, ma source d’inspiration pour une appli­ca­tion sociale de la notion de rési­lience se trouve dans une ana­lyse pro­po­sée par Denis Pes­chans­ki. En effet il choi­sit le terme de rési­lience pour carac­té­ri­ser « des formes d’opposition, des com­por­te­ments de rejet, de dis­tance, de dis­si­dence qui ne relèvent pas du mou­ve­ment orga­ni­sa­tion­nel de la Résis­tance mais d’une mul­ti­tude de com­por­te­ments qui révèlent la capa­ci­té de la socié­té et des indi­vi­dus à la fois à réagir aux coups ter­ribles qui leur sont por­tés et à se recons­truire sous la botte. C’est sur le ter­rain de la vie quo­ti­dienne que le phé­no­mène est le plus évident et le plus mas­sif ».

J’emploie le terme de « la vie sen­sible » dans un sens proche de ce qu’Henri Lefebvre désigne par « la vie quo­ti­dienne » ; c’est-à-dire le domaine de « la matière humaine », de ce vécu sen­sible où des « rési­dus » échap­pant à toute ratio­na­li­té sys­té­ma­tique res­tent en dehors du dis­cours tota­li­sant et résistent au sys­tème tota­li­taire.

En Iran, les inter­dic­tions sont trans­gres­sées, contour­nées par diverses astuces. La « non-vio­lence » en tant que telle n’a pas tel­le­ment été étu­diée en Iran, mais on peut lire dans le « mou­ve­ment vert » de 2009 une aspi­ra­tion forte à la non-vio­lence, des pra­tiques qui tendent dans ce sens. On peut par­ler d’une vague contes­ta­taire non-vio­lente, de façon spon­ta­née, par la socié­té civile. De déso­béis­sances paci­fiques. Par exemple le 16 juin 2009, 3 mil­lions de per­sonnes mar­chaient en silence, sans vio­lence. Ce fut un moment impor­tant dans ma vie.

D’autres exemples

  1. Après avoir mani­fes­té dans la rue le 12 Juin 2006, à Téhé­ran, contre la dis­cri­mi­na­tion sexuelle en Iran, les acti­vistes des droits des femmes ira­niennes ont lan­cé la péti­tion « Un mil­lion de signa­tures » afin de récla­mer la fin de l’apartheid sexuel et l’abrogation des lois dis­cri­mi­na­toires envers les femmes. La force de cette cam­pagne rési­dait dans sa stra­té­gie ascen­dante, dans l’interaction entre les acti­vistes et les femmes ordi­naires et dans l’approche paci­fique et non vio­lente des réformes, tout en sou­li­gnant l’importance des choix et des actions de chaque femme.

2‑Depuis le mois de mai 2014 une jour­na­liste ira­nienne, Masih Ali­ne­jad a lan­cé un mou­ve­ment sur Face­book inci­tant les femmes en Iran à se prendre en pho­to sans voile et à dif­fu­ser ces pho­tos sur les réseaux sociaux. Cette ini­tia­tive s’accompagne d’un hash­tag nom­mé « liber­té fur­tive ».

3‑Au mois de sep­tembre 2016, le Guide Suprême, l’Ayatollah Kha­me­nei, lance une fat­wa pour inter­dire aux femmes de faire du vélo dans les lieux publics, les rues et les parcs. Aus­si­tôt de nom­breuses ira­niennes réagissent : elles che­vauchent leurs vélos, se prennent en pho­to et lancent une cam­pagne contes­ta­taire sur les réseaux sociaux pour dire non à cet ordre dic­té par le Grand Guide.

En un mot : en dépit de l’orientation idéo­lo­gique du pou­voir isla­mique consis­tant à impo­ser aux femmes ira­niennes un apar­theid de sexe et de pro­fes­sion, ou en quelque sorte une assi­gna­tion à rési­dence géné­ra­li­sée, le taux de sco­la­ri­sa­tion uni­ver­si­taire des femmes, le nombre de chan­teuses, de musi­ciennes, d’actrices et d’activistes des droits civiques des femmes n’a ces­sé d’augmenter.

Pinar Selek

Beh­rouz est né en Iran, il vit en France et est entre autre tra­duc­teur en per­san d’auteurs liés au mou­ve­ment situa­tion­niste, de Ben­ja­min Péret,…

Beh­rouz Saf­da­ri

On me dit qu’il ne me reste que quelques minutes du temps impar­ti, je vais donc impro­vi­ser. Comme je suis là aus­si à titre de tra­duc­teur des textes situa­tion­nistes, je tente de créer une situa­tion de parole en vous racon­tant le « moment » que j’ai vécu ce midi dans les toi­lettes d’un char­mant res­tau­rant alter­na­tif à Lyon, Les Cla­meurs : en effet j’ai vu un texte affi­ché sur le mur et signé A. Dama­sio. J’ai pen­sé d’abord qu’il s’agissait d’Antonio Dama­sio, dont j’avais lu et appré­cié cer­tains livres. Mais j’ai com­pris que le texte était extrait d’un livre inti­tu­lé La Zone du dedans, réflexions sur une socié­té sans air écrit par Alain Dama­sio, que je ne connais­sais pas.

Je vais vous lire cet extrait en entier et j’aborderai quelques points de ma propre inter­ven­tion lors des dis­cus­sions.

« Les pou­voirs n’ont qu’une seule et véri­table force : celle d’attrister.

Le pou­voir nous attriste et ne peut obte­nir de nous la ser­vi­tude volon­taire grâce à laquelle il nous sou­met que par cette tris­tesse fabri­quée qui est le véri­table art de gou­ver­ner. La crise, le chô­mage, les faits divers flip­pants, la guerre à nos portes, les bou­lots rou­ti­niers, l’angoisse de le perdre… la ges­tion média­tique des petites ter­reurs quo­ti­diennes.

Face à lui, il suf­fit sou­vent d’un peu de joie nue, de cette capa­ci­té de joie native, propre à l’enfant en nous, pour défaire son empire et ses spectres. Pour ratu­rer les peurs dont il se nour­rit. Et cette joie, elle naît du sol où l’on pose son âme et ses pieds. Elle vient d’un ici et d’un main­te­nant que tous nos tech­no­co­cons douillets n’ont de cesse de déca­ler vers un ailleurs décré­té « enviable » et un « plus tard » sup­po­sé tou­jours plus chouette que le pré­sent qui est pour­tant le seul de nos temps habi­table.

Habi­ter, peu­pler, par­tir de la situa­tion. Tou­jours se tenir en puis­sance de… »

Pinar

Nous conti­nuons avec Nis­rine, tra­duc­trice, lin­guiste, ensei­gnante, et qui écrit aus­si. Elle est née à Damas, a fait ses études à Paris puis est retour­née en Syrie. Elle est main­te­nant retour­née à Paris où elle vit en tant qu’exilée. Nis­rine a com­men­cé à écrire depuis le déclen­che­ment de la révo­lu­tion syrienne. Elle m’avait dit qu’en Syrie, ce n’était pas évident de créer les résis­tances non-vio­lentes comme en Tur­quie.

Nis­rine Al Zahre

Par­ler de non-vio­lence pour­rait paraître para­doxal et révol­tant face à la des­truc­tion d’Alep et d’autres situa­tions abo­mi­nables. J’essayerai tout de même de retra­cer rapi­de­ment le fil des mou­ve­ments et des actions non-vio­lentes qui ont eu lieu pen­dant cinq ans de révo­lu­tion et de guerre, et de décou­vrir ce qu’ils sont deve­nus. Ce fai­sant, il est impor­tant de décons­truire les sché­mas per­vers que le régime a uti­li­sé pour neu­tra­li­ser et désta­bi­li­ser les mou­ve­ments non-vio­lents, pour trans­for­mer le mou­ve­ment popu­laire en guerre civile et pour le vendre au monde entier comme étant un mou­ve­ment isla­miste dji­ha­diste.

Dès le départ de la révo­lu­tion, il y a eu un élan de non-vio­lence. Celui-ci ne se fonde sur aucune tra­di­tion syrienne, mais, je sup­pose, sur l’influence de ce qui s’est pas­sé dans d’autres pays, entre autres, une « mimé­sis » d’autres mou­ve­ments his­to­riques qui donnent envie dans un pays pri­vé d’action poli­tique depuis 50 ans. A titre d’exemple, à Damas, il y a eu des col­lec­tifs de jeunes très actifs, qui ont fait des actions avec des lâchers de balles de ping-pong de cou­leur dans cer­taines rues en pente, avec des fon­taines colo­rées en rouge, avec des haut-par­leurs pla­cés à des endroits stra­té­giques dif­fu­sant des chan­sons révo­lu­tion­naires, il y a eu des mani­fes­ta­tions par­tout dans le pays, là où les forces de sécu­ri­té étaient moins consi­dé­rables, là où la socié­té locale pro­té­geait en quelque sorte les mani­fes­tants. Même dans des endroits cen­traux emblé­ma­tiques, sous le contrôle du régime, comme le centre de Damas, il y a eu des ten­ta­tives de mani­fes­ta­tions et de ras­sem­ble­ments, for­te­ment répri­mées par le régime … Il y a eu aus­si les Comi­tés révo­lu­tion­naires dont le tra­vail consis­tait à coor­don­ner et à orga­ni­ser les mani­fes­ta­tions par­tout dans le pays, à cas­ser le black out média­tique, à docu­men­ter les vio­la­tions du régime et à recen­ser les vic­times civiles. Mais cet élan a avor­té à cause de plu­sieurs fac­teurs.

Le régime a confes­sion­na­li­sé le conflit et armé ses acteurs

En avril 2011, un mois après le déclen­che­ment de la révo­lu­tion, on enten­dait par­ler de francs-tireurs à Lat­ta­quié. Lat­ta­quié est un fief du régime, for­te­ment contrô­lé par ses forces et ses par­ti­sans. Cela est sur­ve­nu suite aux nom­breuses mani­fes­ta­tions contre le régime durant ce mois de début de révo­lu­tion. Le régime disait que ces francs-tireurs étaient des ter­ro­ristes. Mais les mani­fes­tant-es et acti­vistes disaient que c’étaient des membres des forces de sécu­ri­té du régime. On a tous intui­ti­ve­ment com­pris que la semence du chaos com­mence là où l’aléatoire et l’arbitraire ont le der­nier mot. Nous savions que, dans un pays mul­ti­con­fes­sion­nel comme la Syrie, les armes vont être quelque chose de ter­rible. Les forces de sécu­ri­té jetaient des armes par­mi les mani­fes­tant-es. Il y avait des arres­ta­tions aléa­toires, pas que de mili­tant-es pour semer la ter­reur par­mi les civils, même des simples per­sonnes qui n’étaient pas impli­qués dans les acti­vi­tés révo­lu­tion­naires. Ils étaient sou­vent arrê­tés par rap­port à leur iden­ti­té confes­sion­nelle ou par rap­port à leur appar­te­nance à une région dite « rebelle ». Tout cela est docu­men­té dans le rap­port César. Il y avait, dans les pri­sons, un trai­te­ment dif­fé­ren­cié selon les confes­sions. Le régime créait de l’aléatoire pour ter­ro­ri­ser et pour confes­sion­na­li­ser le conflit. A cela s’ajoutait la répres­sion encore plus forte des acti­vistes poli­tiques. Dans cer­taines com­po­santes tra­di­tion­nelles de la socié­té, plus vul­né­rables au sens poli­tique, la répres­sion a pris une forme d’humiliation sym­bo­lique qui a atteint les valeurs fon­da­men­tales de ces socié­tés. Beau­coup de rap­ports sur les vio­la­tions des droits humains ont rap­por­té que le viol était uti­li­sé comme arme entre les mains du régime. Le viol était pra­ti­qué dans les pri­sons, mais aus­si pen­dant les per­qui­si­tions dans les mai­sons, et n’était pas géné­ra­li­sé, dans le sens où dans les grandes villes, cela ne se pra­ti­quait pas à tous les coups, mais dans milieux pay­sans plus vul­né­rables et sen­sibles, cela se pra­ti­quait.

En paral­lèle, le régime a libé­ré de pri­son des dji­ha­distes, cela fai­sait par­tie de son jeu. A la fin de cette phase là, vers la fin de 2011, la révo­lu­tion a enta­mé un nou­veau aspect : l’armement.

« Les acti­vistes sont deve­nus des agents huma­ni­taires »

A cette période pré­cise, et sous pré­texte de l’armement des forces révo­lu­tion­naires, le régime s’efforçait d’accuser la révo­lu­tion de « ter­ro­risme ». Les hos­ti­li­tés armées ont aug­men­té et on a assis­té à la des­truc­tion des villes, ce qui a fait que dans les villes rebelles assié­gées, les acti­vistes sont deve­nus des agents d’aide huma­ni­taire pour la popu­la­tion sinis­trée dans leurs régions res­pec­tives. Les acti­vistes dans les villes épar­gnées comme Damas se dévouaient à leur tour à l’aide huma­ni­taire des­ti­née aux popu­la­tions dépla­cées. Ils ont éga­le­ment pris un nou­veau rôle : coor­don­ner l’aide huma­ni­taire four­nie par les ONG, ils sont deve­nus des coor­di­na­teurs rap­por­teurs à temps plein. On a eu l’impression que les ONG confis­quaient toute l’énergie poli­tique de ces gens.

Les acti­vistes étaient eux-mêmes affa­més, dans l’urgence vitale. Il n’y avait plus d’écoles, plus d’hôpitaux, de méde­cins, de ser­vices publiques, etc., et il fal­lait tout assu­rer pour la popu­la­tion.

Mal­gré cela il y avait une eupho­rie. Il y a eu le début des Conseils locaux, qui ont été créés avec l’influence d’Omar Aziz, lui-même influen­cé par la pen­sée de Rosa France. Ils ont été mis en place dans les zones assié­gées. La durée des sièges, la fatigue de la popu­la­tion, la conti­nui­té des bom­bar­de­ments, par­fois sur des points vitaux comme les bou­lan­ge­ries et les hôpi­taux gérés par ces conseils, ont fait en sorte que ce tra­vail d’autogestion assi­du et gigan­tesque n’a pas pu se péren­ni­ser et être visible.

La séquence sui­vante est l’arrivée de bri­gades isla­mistes dans ces zones. Les acti­vistes deve­naient mena­cés, par­fois assas­si­nés, par ces forces. Il y avait tou­jours cette force incroyable de rési­lience, mais je crains qu’elle ne dure plus long­temps.

« Il y a encore des ini­tia­tives impres­sion­nantes »

Il y a encore aujourd’hui des ini­tia­tives impres­sion­nantes, mais mal­heu­reu­se­ment de rési­lience, et non pas de résis­tance au pre­mier degré comme on l’aurait sou­hai­té : les casques blancs à Alep sont l’exemple radieux de cette volon­té d’avancer. Un autre exemple est celui de cet avo­cat exi­lé en France qui aide à défendre juri­di­que­ment des acti­vistes pri­son­niers et qui essaye de fédé­rer tous les moyens juri­diques pour mon­ter un tri­bu­nal popu­laire et dépo­ser des plaintes contre le régime syrien. Le droit est l’une des formes de la résis­tance. Il y a aus­si des actes de rési­lience par l’écriture, qui est deve­nue une pra­tique mas­sive (entre autres sur des blogs), par l’humour (à l’instar d’un blog tenu par une écri­viane syrienne, Racha Abbas, qui pas­tiche le site du jour­nal de Daech « Dabeq » et qui manie l’humour noir), des comi­tés de poli­ti­sa­tion qui sont orga­ni­sés par des femmes,…etc

Main­te­nant est-ce que cela va conti­nuer avec ce degré de vio­lence ? Est-on inca­pables d’arrêter cette situa­tion ? Nous ne devons pas accep­ter que cela arrive à ce degré de vio­lence, car il n’est pas vrai qu’il y a tou­jours une résis­tance pos­sible mal­gré la vio­lence inouïe. A un moment don­né la vio­lence géno­ci­daire réus­sit à tout anéan­tir.

Pinar

Je vous pré­sente Nil qui se défi­nit comme « trans­mi­grante ». Elle est une Arabe de Tur­quie, née en France et a fait ses études à Istan­bul. Elle vit en France depuis une dizaine d’années. Nil aime créer des ponts, elle crée des réseaux de soli­da­ri­té pour pou­voir résis­ter.

Nil Deniz

Je veux com­men­cer par une cita­tion de Brecht, puis Han­nah Arendt qui écri­vait « Heu­reux celui qui n’a pas de patrie ». Cela parle bien de moi ».

La vio­lence a plu­sieurs visages : phy­sique, des conven­tions, de l’E­tat mili­taire, du déra­ci­ne­ment et de l’exil, du racisme… J’ai tou­jours fait par­tie d’une mino­ri­té : à l’in­té­rieur de l’Is­lam car je suis Alé­vie, en Alle­magne comme Turque, fille d’immigrés, en France comme « étran­gère étrange », et en tant que femme. Je me consi­dère comme post-iden­ti­taire, je me dis trans­mi­grante. J’aime le terme d » « enra­ci­ner­rance », qui lie l’en­ra­ci­ne­ment et l’er­rance. Ce qui naît de cela, c’est le désir de connec­ter tout avec tout. Des gens comme nous sont natu­rel­le­ment dans le trans­na­tio­nal. Pour moi, il y a une impor­tance des ren­contres et non de la fra­ter­ni­té mais de la soro­ri­té.

Avec l’association Sublimes Portes, dont je suis la direc­trice artis­tique, nous avons créé les « Nou­velles Anti­gones de la Médi­ter­ra­née, ou com­ment résis­ter aux obs­cu­ran­tismes du 21ème siècle » dans le but de ren­for­cer la créa­tion au fémi­nin. Nous avons com­men­cé par mettre en musique des écri­tures contem­po­raines de femmes en Médi­ter­ra­née. Il s’agit de textes enga­gés, résis­tants et fémi­nistes. Avec des musi­ciennes de dif­fé­rents pays nous avons crée le spec­tacle La nuit d’An­ti­gone. Lors de nos recherches nous avons vite remar­qué qu’il y avait d’autres formes d’écritures aujourd’hui, comme le blog, qui est une nou­velle manière de tou­cher le public. Nous l’avons éga­le­ment inté­gré dans la mise en musique. Il s’agit de textes résis­tants, des textes qui parlent de la lutte au quo­ti­dien, de la crise en Espagne, de la guerre en Syrie mais aus­si de l’amour. La figure d’Antigone était pour nous le fil conduc­teur. Plus nous plon­geons dans le des­tin d’Antigone plus nous pre­nons conscience de sa per­ti­nence pour notre époque contem­po­raine. La figure de la blo­gueuse, qui défie par le verbe son oppres­seur, qu’il soit un pou­voir dic­ta­to­rial, un sys­tème éco­no­mique ou la socié­té dans laquelle elle vit, fait sin­gu­liè­re­ment écho à l’Antigone de Sophocle. D’ailleurs dans l’Anti­gone d’Hen­ry Bau­chau, celle-ci est artiste.

« La nuit voile son acte magna­nime, la nuit éclaire son inten­tion », écrit Goethe à pro­pos d’Antigone. Cette femme à « l’âme de lumière » dit George Stei­ner.

Aujourd’hui, ce sont ces blo­gueuses qui « éclairent la nuit » des obs­cu­ran­tismes de toutes sortes par leurs paroles lan­cées sur inter­net pour réveiller leurs conci­toyens. Pour nous elles sont comme des Lucioles. Comme les Lucioles, elles se res­sourcent en elle mêmes, elles génèrent leur propre éner­gie.

Il s’agit d’un pro­jet au croi­se­ment entre le poli­tique et le poé­tique, où des femmes poé­tesses, artistes, blo­gueuses enga­gées trans­forment leur parole libre, résis­tante en une prose sau­vage et poé­tique.

En lien avec le spec­tacle La Nuit d’Antigone nous avons crée une pla­te­forme numé­rique www.lesnouvellesantigones.org qui est une sorte d’agora digi­tal dans laquelle nous tra­dui­sons des textes inédits de blo­gueuses enga­gées, ori­gi­naires de dif­fé­rents pays de la Médi­ter­ra­née. Les mar­raines de notre pro­jet sont Lei­la Cha­hid et Pinar Selek.

Les Nou­velles Anti­gones est pour nous une ten­ta­tive de pen­ser et de com­prendre le monde violent et effré­né dans lequel nous nous retrou­vons !

L’enthousiasme et la curio­si­té avec les­quels nous sommes accueillies nous donne la preuve qu’il est de plus en plus néces­saire de créer cette soli­da­ri­té trans-natio­nale sur­tout entre les dif­fé­rentes géné­ra­tions de femmes. Pour entraî­ner les femmes à créer, nous orga­ni­sons des ate­liers de DJing, de blog­ging ou d’é­cri­ture.

Dans l’imbrication de l’intime et du public, elles deviennent actrices de l’histoire à tra­vers l’écriture de leur his­toire, His(s)tory devient Her sto­ry

www.lesnouvellesantigones.org

www.sublimesportes.com

Pinar

Nous allons ter­mi­ner cette séance par Guillaume Gam­blin qui va nous par­ler des expé­riences de luttes, cette fois-ci en France. Guillaume, l’une des pre­mières per­sonnes que j’ai ren­con­tré à Lyon, par­ti­cipe au MAN, Mou­ve­ment pour une Alter­na­tive Non-vio­lente (www.nonviolence.fr), et à la revue indé­pen­dante Silence (www.revuesilence.net). Je me sens comme chez moi à Silence, car c’est un lieu qui est por­teur de valeurs, de com­bats et de pra­tiques que je par­tage plei­ne­ment.

Guillaume Gam­blin

Pinar m’a deman­dé de par­ler des dif­fé­rentes résis­tances en France. Celles-ci intègrent plus ou moins la non-vio­lence selon les cas.

Les résis­tances contre les « grands pro­jets inutiles et impo­sés ».

Il s’a­git de méga-pro­jets d’in­fra­struc­tures impo­sés par l’E­tat en lien avec de grandes entre­prises : auto­routes, super­mar­chés, parcs d’at­trac­tion, bar­rages, stades, golfs… Ils se font contre l’a­vis d’une par­tie des popu­la­tions locales, ils néces­sitent sou­vent d’ex­pul­ser des pay­sans, de béton­ner des terres, de détruire des espaces natu­rels, des forêts, etc.

Le plus emblé­ma­tique de ces pro­jets est celui de Notre-Dame-des-Landes, la lutte contre un pro­jet de construc­tion de second aéro­port à proxi­mi­té de la ville de Nantes. Un col­lec­tif large s’est consti­tué contre ce pro­jet cli­ma­ti­cide qui détrui­rait des espaces agri­coles et des milieux natu­rels. Des citoyens et des asso­cia­tions en lutte ont été rejoints par des pay­sans locaux, et depuis 2009 par des per­sonnes, sou­vent jeunes, qui sont venues s’ins­tal­ler sur le ter­rain du pro­jet d’aé­ro­port pour y vivre, culti­ver et résis­ter. Plu­sieurs cen­taines de per­sonnes occupent le ter­rain depuis des années. Ils ont appe­lé cela une « zone à défendre » (ZAD) et sont donc appe­lés cou­ram­ment les « zadistes ». Ils ont créé de véri­tables ter­ri­toires libé­rés de la tutelle de l’E­tat et auto­nomes, et cela dérange beau­coup l’E­tat, qui a déjà essayé de les délo­ger. Mais il y a eu une très forte soli­da­ri­té entre zadistes, pay­sans, citoyens locaux et les dizaines de comi­tés de soli­da­ri­té dans tout le pays, pour empê­cher ces expul­sions. Par­mi ces acteurs, il y a un mélange entre méthodes non-vio­lentes et autres méthodes, et ces dif­fé­rents pro­ta­go­nistes essaient de coopé­rer au mieux.

Plu­sieurs autres ZAD se sont créées dans d’autres régions face à d’autres pro­jets, dont la ZAD de Sivens contre la construc­tion d’un bar­rage, où le jeune acti­viste non-violent Rémi Fraisse a été tué par une gre­nade de la police fin 2014.

Déso­béis­sance civile non-vio­lente

De nom­breuses autres luttes uti­lisent spé­ci­fi­que­ment la déso­béis­sance civile non-vio­lente, c’est à dire qu’ils agissent en déso­béis­sant à la loi et qu’ils reven­diquent ensuite leurs actes devant les tri­bu­naux.

Par­mi eux, les Fau­cheurs volon­taires d’OGM qui détruisent des champs et des expé­ri­men­ta­tions de plantes géné­ti­que­ment modi­fiées. Leur action a contraint l’E­tat a déci­der plu­sieurs mora­toires puis une inter­dic­tion totale en France de la culture de maïs trans­gé­nique.

Il existe éga­le­ment des actions contre la publi­ci­té, contre les armes nucléaires, contre le salon de l’ar­me­ment Euro­sa­to­ry, contre le nucléaire civil,…

Mobi­li­sa­tion non-vio­lente pour le cli­mat

Une dyna­mique impor­tante ces deux der­nières années est la mobi­li­sa­tion non-vio­lente pour le cli­mat. Alter­na­ti­ba a orga­ni­sé plu­sieurs cen­taines de vil­lages des alter­na­tives cli­ma­tiques dans toute la France et au-delà, pour faire se ren­con­trer de nom­breuses ini­tia­tives locales et les habi­tant-es, ain­si qu’un tour à vélo dans tout le pays. Paral­lè­le­ment ANV COP 21 a lan­cé une cam­pagne de « fau­cheurs de chaises » dans les banques contre les para­dis fis­caux, en don­nant le mes­sage que l’argent des para­dis fis­caux doit être res­ti­tué aux socié­tés et inves­ti pour le cli­mat. Ils ont donc orga­ni­sé des actions col­lec­tives et fes­tives de vols de chaises dans plu­sieurs dizaines de banques, et ont annon­cé qu’ils ne ren­dront les chaises que quand les banques ren­dront l’argent qu’ils ont volé aux citoyen-nes.

Ils ont aus­si orga­ni­sé en mars 2016 le blo­cage non-violent d’un som­met pétro­lier à Pau, et ont par­ti­ci­pé à une action euro­péenne de blo­cage de mines de char­bon en Alle­magne et en Grande-Bre­tagne au prin­temps 2016.

Soli­da­ri­té avec les migrant-es et anti­ra­cisme

De nom­breuses ini­tia­tives ont été prises depuis les années 2000 suite à l’in­ten­si­fi­ca­tion de la poli­tique anti-migrant-es. Notam­ment RESF, réseau édu­ca­tion sans fron­tières, qui a pour but d’ai­der, d’ac­cueillir, de cacher chez soi si besoin, des enfants pri­vés de papiers ain­si que leurs familles. Cer­tains maires s’en­gagent pour accueillir des réfu­gié-es et des migrant-es ou des familles de Rroms dans des condi­tions décentes dans leurs com­munes, avec l’ap­pui de leur popu­la­tion. Des anar­chistes (qui ne sont pas non-vio­lents) orga­nisent des camps No Bor­der contre les fron­tières.

Nuit Debout

Il y a eu l’é­mer­gence de Nuit Debout en mars 2016 à par­tir des mobi­li­sa­tions contre la « loi tra­vail » qui veut libé­ra­li­ser le mar­ché du tra­vail et cas­ser le droit du tra­vail. Un peu à l’i­mage des occu­pa­tions per­ma­nentes de places en Egypte, en Espagne, en Grèce, aux Etats-Unis. Dans des cen­taines de com­munes des places ont été occu­pées toutes les nuits par des mili­tant-es poli­tiques mais aus­si des per­sonnes moins poli­ti­sées, qui ont trans­for­mé ces lieux en des ago­ras démo­cra­tiques, des espaces d’in­for­ma­tion, de ren­contre et de dia­logue, points de départ d’autres ini­tia­tives et mobi­li­sa­tions. Ce mou­ve­ment d’oc­cu­pa­tion des places n’a pas duré au-delà de quelques mois, il a pei­né à éta­blir une connexion avec les quar­tiers popu­laires, mais il a dura­ble­ment mar­qué une géné­ra­tion et peut don­ner d’autres fruits.

A Nuit Debout comme dans d’autres mou­ve­ments, des fémi­nistes sont très pré­sentes et actives, mais on ne peut pas dire comme en Tur­quie que le fémi­nisme a été inté­gré pro­fon­dé­ment aux valeurs et aux pra­tiques de ces luttes. Il reste de nom­breuses dif­fi­cul­tés liées au sexisme ordi­naire ou encore à des agres­sions sexuelles qui sont sou­vent très mal prises en charge col­lec­ti­ve­ment.

Il faut ajou­ter que depuis de longs mois main­te­nant, suite aux attaques qui ont eu lieu en France, nous vivons sous l’é­tat d’ur­gence et que cela pèse for­te­ment sur les liber­tés publiques, sur l’ac­tion poli­tique et que cela a accen­tué la répres­sion.

Et les alter­na­tives ?

Il y aurait beau­coup à dire sur les alter­na­tives éga­le­ment. Ces der­nières années de nom­breux col­lec­tifs de vie se sont créés. Par­fois à la cam­pagne, avec une dimen­sion pay­sanne et une forte envie d’an­crage local : épi­ce­rie, café, etc. Au niveau urbain, le mou­ve­ment des habi­tats coopé­ra­tifs est dyna­mique mais est en par­tie para­ly­sé par les freins juri­diques. De nom­breuses mon­naies locales ont vu le jour, mais elles ont du mal à prendre de l’am­pleur. Par contre les coopé­ra­tives de tra­vail ou de consom­ma­tion sont en plein essor, avec notam­ment les paniers de pro­duits pay­sans qui créent une soli­da­ri­té concrète entre cita­dins et pay­sans locaux.

On constate que le monde pay­san joue assez sou­vent un rôle impor­tant dans le renou­veau des résis­tances et des alter­na­tives, du fait de son ancrage local et de son lien à la terre, qui est vital.

Beh­rouz Saf­da­ri

Il est frap­pant de voir com­ment on euphé­mise les choses pour nous les faire accep­ter. Le cynisme est un visage de la vio­lence. Par exemple, com­ment on jus­ti­fie le com­merce avec des pays comme l’A­ra­bie Saou­dite. C’est l’i­déo­lo­gie de l’é­co­no­mie : tout réduire au ren­de­ment. Il y a un mélange entre vio­lence archaïque et très moderne. Le cynisme nous sidère. Il ne cen­sure pas mais il nous dit : « c’est l’é­co­no­mie ». La reli­gion de l’Economie avec son fana­tisme du pro­fit à tout prix. Il est urgent et vital de s’interroger sur la valeur d’usage de la démo­cra­tie afin de la sou­mettre au ser­vice du vivant et non de la ruse de l’Economie.

Méfions-nous du lan­gage domi­nant : qu’est-ce que ça veut dire la « déra­di­ca­li­sa­tion » ? De quelle « radi­ca­li­té » parle-t-on ? La seule radi­ca­li­té est celle qui vient de la racine de l’humain et l’abreuve. Les citoyens subissent avec le même désar­roi les méfaits sociaux que les hommes des grottes les fléaux natu­rels.
Cette fabrique d’ignorance de masse se fait en pré­sence d’un for­mi­dable patri­moine de connais­sances accu­mu­lées his­to­ri­que­ment. Il y a une dila­pi­da­tion des richesses cultu­relles. Or la culture, l’intelligence sen­sible, qui par nature est non-vio­lente, est notre seule arme contre la vio­lence sous toutes ses formes. J’aimerais citer le syn­di­ca­liste Fer­nand Pel­lou­tier qui écrit : « Nous sommes les enne­mis irré­con­ci­liables de tout des­po­tisme, moral ou maté­riel, indi­vi­duel ou col­lec­tif, c’est à dire des lois des dic­ta­tures ( y com­pris celle du pro­lé­ta­riat), nous sommes les amants pas­sion­nés de la culture de soi-même ».

Pinar :

Nous allons conti­nuer cette dis­cus­sion, par­tout, afin de ren­for­cer les liens entre les résis­tances alter­na­tives !

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