Séminaire : Sociologie, terrains, société : Rendre publique la sociologie des expériences de mobilité

Sémi­naire

URMIS Nice, avec la col­la­bo­ra­tion de SAGE, ERMES, LABERS/UBO, CIPH

Socio­lo­gie, ter­rains, socié­té :
Rendre publique la socio­lo­gie des expé­riences de mobi­li­té

28 Avril 2017
Uni­ver­si­té de NICE
Sale plate-Amphi 031

Pôle uni­ver­si­taire St Jean d’An­gé­ly 3
24 ave­nue des diables bleus  06357 Nice

 

Ce sémi­naire s’inscrit à la suite du sémi­naire orga­ni­sé par Syl­vie Mon­chatre et Pinar Selek, au sein du labo­ra­toire SAGE, avec le sou­tien de la facul­té de sciences sociales, à Stras­bourg, le 27 mai 2016.  Il résul­tait de la ren­contre de deux socio­logues ame­nées à par­ta­ger leurs inter­ro­ga­tions sur leur dis­ci­pline : la socio­lo­gie, pour qui ? Et pour quoi (en) faire – en dehors de pro­duc­tions scien­ti­fiques qui sortent assez peu de cercle d’initiés ? Ces ques­tions se posent dans un contexte d’injonctions mas­sives à l’ouverture de la science en géné­ral et des sciences sociales en par­ti­cu­lier, sur la socié­té. Jamais on n’a autant ques­tion­né l’utilité des sciences sociales que depuis la mise en place d’un nou­veau mana­ge­ment public qui pousse à l’efficacité des acti­vi­tés de recherche et d’enseignement, qui demande des résul­tats et réclame des « pré­co­ni­sa­tions pour l’action ». Nous connais­sons l’enjeu de ces appels à l’ouverture : répondre à une demande sol­vable, contri­buer à la baisse des dépenses publiques par des finan­ce­ments pri­vés, pra­ti­quer une socio­lo­gie uti­li­taire, uti­li­ta­riste, qui réponde aux besoins des déci­deurs – au risque de lais­ser dans l’ombre ce que Robert Cas­tel appe­lait la « demande sociale infor­mu­lée ». Cette cri­tique de l’utilitarisme domi­nant nous a ame­nées à nous ques­tion­ner sur la dif­fi­cul­té de notre dis­ci­pline à faire entendre – et accep­ter — sa voix dans l’espace public. La socio­lo­gie est-elle vouée à se pra­ti­quer dans des cadres ins­ti­tu­tion­nels étroits, ceux défi­nis par et pour la science, par et pour le poli­tique, et à y res­ter enfer­mée ? A cette ques­tion, nous ne pou­vions que répondre que non : la socio­lo­gie n’est pas condam­née à cet encla­ve­ment.

L’enjeu de ce pre­mier sémi­naire était donc de réflé­chir à ce que recouvre une « socio­lo­gie publique », c’est-à-dire à une socio­lo­gie sus­cep­tible d’entrer en conver­sa­tion avec des publics plus larges que les pairs ou les don­neurs d’ordres. Les inter­ve­nants, J. Lar­cher, E. Ollion, M. Pia­loux, S. Mon­chatre, P. Selek, A. Madec, P. Pou­pin et M. Had­jiis­ki ont appor­té plu­sieurs élé­ments de réponses à ces ques­tions : Com­ment ins­tau­rer un dia­logue sans se faire prendre au piège de la dis­sy­mé­trie qui est au cœur de la rela­tion entre les socio­logues et les publics qu’ils ren­contrent pour com­men­cer sur leurs ter­rains ? Si la rela­tion d’enquête est poten­tiel­le­ment tra­ver­sée par cette hié­rar­chie entre les savoirs, com­ment trans­for­mer l’entretien en « exer­cice spi­ri­tuel » (Bour­dieu, 1993) ? Com­ment se pré­mu­nir contre les effets d’imposition — impo­si­tion d’interprétation ou impo­si­tion d’analyse — que com­porte toute conver­sa­tion entre des locu­teurs et/ou acteurs ins­crits dans une hié­rar­chie de posi­tions sociales ? Com­ment entrer en conver­sa­tion en dia­lo­guant à éga­li­té, en lais­sant le public « pro­non­cer la sen­tence » (comme le sug­gère Annick Madec) ?

Depuis le cercle s’est élar­gi : avec Annick Madec et Swa­nie Potot, ce sémi­naire s’est ins­crit dans un espace et temps plus larges, en asso­ciant plu­sieurs labo­ra­toires et dis­ci­plines : de Stras­bourg à Nice et bien­tôt à Brest.

À Nice, au sein d’URMIS, avec la col­la­bo­ra­tion de SAGE, de l’ERMES, de LABERS/UBO et de CIPH, nous pro­po­sons de conti­nuer cette dis­cus­sion, pour réflé­chir plus par­ti­cu­liè­re­ment à la manière dont la socio­lo­gie peut contri­buer à rendre publiques les expé­riences de mobilité/ migra­tion dans des espaces en redé­fi­ni­tion. Ce pro­ces­sus de redé­fi­ni­tion est lié au sys­tème éco­no­mique mon­dia­li­sé qui creuse les écarts exis­tants sur la pla­nète par la déter­ri­to­ria­li­sa­tion du capi­tal et l’intensification des connexions éco­no­miques à tra­vers le monde. D’abord la déré­gu­la­tion du mar­ché du tra­vail et l’accroissement des écarts de richesses entre les régions condamnent une par­tie impor­tante de la popu­la­tion mon­diale à être dans un constat mobi­li­té pour la sur­vie. Ensuite, ces emplois illé­gaux répondent aux besoins des entre­prises sans appar­te­nir aux régu­la­tions éta­tiques (délo­ca­li­sa­tions sur place- E.Terray). Leur fra­gi­li­té admi­nis­tra­tive les contraint à la dis­cré­tion. Dénués de la citoyen­ne­té, les per­sonnes issues de la migra­tion sont de plus en plus en marge. Cela com­plexi­fie le tra­vail socio­lo­gique sur ce ter­rain. Depuis deux décen­nies, les cri­tiques du natio­na­lisme métho­do­lo­gique (Dumi­tru, 2014 ; Wim­mer et Glick Schil­ler, 2003) mettent en ques­tion les études sur les migra­tions n’abordant que les effets de celles-ci sur la socié­té d’accueil et per­mettent aux nou­veaux tra­vaux sur le racisme et des dis­cri­mi­na­tions qui intègrent dans les ana­lyses la capa­ci­té d’action des non-séden­taires.

Néan­moins, cela ne suf­fit pas à rendre publiques les expé­riences qui en découlent ain­si que les com­mu­nau­tés de des­tins qui en résultent. Com­ment dès lors rendre compte de la façon dont ces expé­riences mul­ti­formes sont affec­tées par une pro­duc­tion sans fin de dis­cours poli­tiques, de repré­sen­ta­tions qui contri­buent à leur stig­ma­ti­sa­tion ? Com­ment la socio­lo­gie peut deve­nir publique auprès des per­sonnes en marge, qui sont dans la fra­gi­li­té de la clan­des­ti­ni­té ? Dans quelle mesure le regard du cher­cheur peut-il contri­buer à la digni­té des per­sonnes inter­ro­gées ?

 

Au cours de cette jour­née, nous nous deman­de­rons com­ment rendre compte de ces expé­riences de mobi­li­té mul­ti­formes avec celles et ceux qui sont concer­nés. D’une part com­ment en rendre pos­sible la res­ti­tu­tion, d’autre part, quels sont les effets en retour de cette conver­sa­tion sur les enquê­tés ? Rendre la socio­lo­gie publique, c’est refu­ser de s’arrêter aux constats en déplo­rant  essen­tia­li­sa­tion,  dis­qua­li­fi­ca­tions,  stig­ma­ti­sa­tions ou  assi­gna­tions à iden­ti­té subies par nombre de « mobiles ». C’est faire le pari que les repré­sen­ta­tions peuvent être bous­cu­lées par la connais­sance d’expériences vécues qui démontrent que toute culture est vivante (Mali­nows­ki), donc mou­vante. L’appréhension et com­pré­hen­sion du monde est modi­fiée par la mobi­li­té. Si l’on accepte de pen­ser que la com­pré­hen­sion du monde  est incluse dans la défi­ni­tion de la culture, la culture — sou­vent dit culture géné­rale, enten­due comme accu­mu­la­tion de connais­sances théo­riques ou livresque — des   « immo­biles » comme celle de  « mobiles » est aug­men­tée par la connais­sance des expé­riences acquises dans la mobi­li­té. La socio­lo­gie publique  par­ti­cipe à l’ouverture du débat public à celles et ceux qui en sont trop sou­vent écar­tés au motif qu’ils/elles ne dis­posent pas des connais­sances suf­fi­santes.

Swa­nie Potot (URMIS), à par­tir de ses enquêtes auprès de migrants rou­mains, dits roms, par­ta­ge­ra son inter­ro­ga­tion sur le rôle et la place du cher­cheur sur le ter­rain, auprès d’un public que la pré­ca­ri­té quo­ti­dienne rend peut sen­sible aux ques­tion­ne­ments socio­lo­giques mais qui est deman­deur d’autres formes d’implication. Elle nous pro­pose de trai­ter la dimen­sion morale dans cette démarche. Syl­vie Mon­chatre (SAGE) nous dira que volon­té ne suf­fit pas pour dépas­ser les hié­rar­chies sociales  dans les­quelles le cher­cheur (la cher­cheuse) se situe. Pour rendre éga­li­taire sa rela­tion avec son inter­lo­cu­trice qui est une femme issue de l’immigration, elle avait essayé de mener ensemble un tra­vail de récit de vie, pour la trans­mis­sion du savoir. A quelles condi­tions une expé­rience peut-elle se trans­mettre et être ren­due publique ? A par­tir d’une réflexion sur l’échec de cette expé­rience qui dévoile la fra­gi­li­té de ce tra­vail col­lec­tif, elle dis­cu­te­ra les condi­tions de trans­mis­sion des expé­riences de violence/d’exclusion/de vul­né­ra­bi­li­té. Annick Madec (LABERS/UBO), à par­tir de ses tra­vaux qui ont pris appui sur l’écriture pour rendre publique cette conver­sa­tion, notam­ment autour de son livre Le quar­tier, c’est dans la tête. L’histoire vraie de Sté­phane Mefer­ti, Flam­ma­rion 1998, conti­nue­ra à la même réflexion, en pro­po­sant de réflé­chir sur la notion qu’elle avance sou­vent : conver­ser qui entent un rap­port d’égalité dans l’échange avec les auteurs et avec les inter­lo­cu­teurs.   Qu’est-ce qui se passe quand la demande, l’i­ni­tia­tive vient des per­sonnes concer­nées qui veulent pro­duire le savoir à par­tir de leurs propres expé­riences. C’est une autre type de contri­bu­tion de la (du) socio­logue au tra­vail de rendre la socio­lo­gie publique. Regar­der vingt ans après à ce quar­tier nous per­met­tra de voir la force de la socio­lo­gie nar­ra­tive : ouvrir le cercle de conver­sa­tion.

Ce sémi­naire pour­ra inté­res­ser étudiant.e.s, doctorant.e.s et ensei­gnants-cher­cheurs intéressé.e.s par la ques­tion du retour au ter­rain et du rap­port entre sciences sociales et socié­té.

 

Pro­gramme :

- 13h30-14h : Accueil des par­ti­ci­pants

- 14h-14h30 : pré­sen­ta­tion du sémi­naire et intro­duc­tion par Pinar Selek (URMIS): « Tra­vailler avec celles et ceux qui sont en marge »

- 14h30-15h10 : Inter­ven­tion de Swa­nie Potot (URMIS)

-15h10-15h40 : Dis­cus­sion – (dis­cu­tante : Soline Laplanche-ERMES)

-15h40-16h : Pause cafe.

- 16h-16h40 : Inter­ven­tion de Annick Madec (LABERS/UBO)

-16h40-17h20 : Inter­ven­tion de Syl­vie Mon­chatre (SAGE)

-17h20-17h50 : Dis­cus­sion (dis­cu­tant : Jean-Luc Pri­mon-URMIS)

- 17h50-18h : Conclu­sion de la jour­née

 

Biblio­gra­phie indi­ca­tive :

Badie B., Smouts M.C, Retour­ne­ment du Monde, Presses de la Fon­da­tion natio­nale de Sciences poli­tiques, 1995.

Bau­man Z.,  Le coût humain de la mon­dia­li­sa­tion, Hachette, 1999

Bol­tans­ki L., 2009, De la cri­tique. Pré­cis de socio­lo­gie de l’émancipation, Paris, Gal­li­mard.

Bura­woy M. B., 2009, Pour la socio­lo­gie publique, Actes de la recherche en sciences sociales, n°176 – 177, p. 121 – 144.

Céfaï D. (dir.), 2003, L’enquête de ter­rain, Paris, La Décou­verte.

Céfaï D. (dir.), 2010, L’engagement eth­no­gra­phique, Paris, Édi­tions de l’EHESS.

Lae J.-F., Murard N., 1998, Les récits du mal­heur, Paris, Des­cartes et Cie.

Madec A., Enquê­ter en conver­sant, Logiques Sociales, l’Harmattan, 2015

Pia­loux M, Résis­ter à la chaîne. Dia­logue entre un ouvrier de Peu­geot et un socio­logue, avec Chris­tian Corouge, Agone, 2011.

Selek P, « Tra­vailler avec ceux qui sont en marge », Socio-logos. Revue de l’as­so­cia­tion fran­çaise de socio­lo­gie, Novembre 2010.





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