Soutenons Pinar Selek, militante écoféministe menacée par le pouvoir turc

La socio­logue Pinar Selek est vic­time de la répres­sion du pou­voir turc. Cette tri­bune en sou­tien à cette voix de l’écologie sociale, qui com­bat toutes les domi­na­tions, retrace son riche par­cours mili­tant.

L’auteur de cette tri­bune est Guillaume Gam­blin, jour­na­liste à la revue Silence et auteur de L’Insolente. Dia­logues avec Pinar Selek, aux édi­tions Cam­bou­ra­kis-Silence.

Le 6 jan­vier, la jus­tice turque lan­çait un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal à l’encontre de Pınar Selek, mili­tante fran­co­turque enga­gée dans la défense d’une éco­lo­gie sociale. Face à des accu­sa­tions inven­tées de toutes pièces pour la faire taire, voi­ci à nou­veau cette figure emblé­ma­tique de la résis­tance à l’autoritarisme convo­quée à une audience à Istan­bul, le 31 mars, par un pou­voir qui a fait d’elle une « ter­ro­riste ».

À l’heure où la France connaît elle-même une cri­mi­na­li­sa­tion des luttes éco­lo­gistes, qua­li­fiées d’«éco­ter­ro­ristes », témoi­gner toute notre soli­da­ri­té à cette socio­logue, écri­vaine et mili­tante exi­lée en France (elle a obte­nu la natio­na­li­té fran­çaise en 2017) nous paraît faire par­tie inté­grante de notre com­bat éco­lo­giste et poli­tique.

Outre son tra­vail d’enseignement (en sciences poli­tiques et en socio­lo­gie) et de recherche sur l’exil, ain­si que son sou­tien aux femmes exi­lées, Pinar Selek milite en effet sur les terres fer­tiles de l’écologie liber­taire et de l’écoféminisme depuis son exil en France, en 2010. Dans ses contes Verte et les oiseaux et Algue et la Sor­cière, tout comme dans son der­nier roman, Azu­ce­na et les four­mis zin­zines, elle remet puis­sam­ment en cause les hié­rar­chies entre humains et non-humains, et trace avec poé­sie des pistes de coopé­ra­tion inter­es­pèces.

Éco­lo­gie liber­taire et éco­fé­mi­nisme

Par ailleurs, elle par­ti­cipe aux dyna­miques de Lon­go Maï, coopé­ra­tive agri­cole et arti­sa­nale auto­gé­rée d’inspiration anti­ca­pi­ta­liste, de la revue Silence ou encore de la zad de Notre-Dame-des-Landes.

L’écologie, « sans omettre les rap­ports de domi­na­tion »

Pinar Selek est née à Istan­bul en 1971, d’une famille enga­gée en faveur des droits humains. Pour cette étu­diante en socio­lo­gie, qui pense qu’il faut « ana­ly­ser les bles­sures de la socié­té pour être capable de les gué­rir », l’action et la réflexion deviennent vite indis­so­ciables. Tout en pour­sui­vant ses études, elle passe beau­coup de temps dans les rues d’Istanbul avec des enfants des rues, et cofonde l’Atelier des artistes de rue, qui orchestre des créa­tions col­lec­tives entre ces enfants, les tzi­ganes, les per­sonnes trans­genres, les prostitué·es…

Dans les années 1990, la décou­verte de l’écologie sociale à tra­vers les écrits de Mur­ray Book­chin consti­tue l’une des char­nières de son par­cours de lutte et de vie. La pen­sée de cet inven­teur du muni­ci­pa­lisme liber­taire lui a ensei­gné la dimen­sion sociale et poli­tique de la crise éco­lo­gique, autre­ment dit l’imbrication des rap­ports sociaux de domi­na­tion et des rap­ports de domi­na­tion des humains sur les non-humains. Elle sou­ligne dans la pré­face au livre de Janet Bielh consa­cré à Mur­ray Book­chin, Éco­lo­gie ou Catas­trophe, qu’il est impor­tant de mon­trer pour­quoi la bana­li­sa­tion de l’esclavage des ani­maux ou l’occupation des forêts favo­risent l’esclavage, la colo­ni­sa­tion, l’exploitation des humains.

« C’est une même ratio­na­li­té qui consi­dère le vivant comme un simple pro­duit de consom­ma­tion et qui se donne la légi­ti­mi­té de remettre en “ordre” tout ce qui serait chao­tique, mar­gi­nal et exté­rieur à elle-même », dénonce-t-elle, avan­çant que « l’écologie peut deve­nir un levier impor­tant d’opposition au capi­ta­lisme, à condi­tion de ne pas omettre les rap­ports de domi­na­tion ».

Dès les années 2000, elle contri­bue acti­ve­ment à la créa­tion d’une pla­te­forme d’écologie sociale, elle-même fruit de l’union entre la coopé­ra­tive fémi­niste Amar­gi, qui non seule­ment lutte pour les droits des femmes mais « étu­die les fon­de­ments et les méca­nismes de toutes les formes de pou­voir et d’oppression à tra­vers le prisme fémi­niste », et la coopé­ra­tive d’écologie sociale Dut Aga­ci, qu’elle a contri­bué à fon­der éga­le­ment. La pla­te­forme per­met de réunir syn­di­ca­listes, femmes kurdes, per­sonnes LGBTI+ [1] et exi­lées pour lut­ter contre les dyna­miques de gen­tri­fi­ca­tion d’Istanbul et par­ta­ger leurs manières de résis­ter sur les ques­tions liées à l’eau ou encore à l’aménagement urbain.

En 2013, lors du grand mou­ve­ment éco­lo­giste contes­ta­taire né de la pro­tes­ta­tion contre la des­truc­tion du parc Tak­sim Gezi d’Istanbul, les jeunes, recon­nais­sants de son héri­tage poli­tique, ont créé sym­bo­li­que­ment une « place Pinar Selek » dans ce même parc.

L’écologie est aus­si une danse

Empri­son­née en 1998 pour avoir osé faire une enquête de socio­lo­gie sur la résis­tance kurde, Pinar Selek a été accu­sée, alors qu’elle était incar­cé­rée, d’avoir orga­ni­sé un atten­tat à Istan­bul. Toutes les exper­tises offi­cielles révé­le­ront qu’il s’agissait en réa­li­té de l’explosion acci­den­telle d’une bon­bonne de gaz.

Libé­rée sous cau­tion en 2000, elle est acquit­tée à quatre reprises du même chef d’accusation d’attentat ter­ro­riste en 2006, 2008, 2011 et 2014. Chaque fois, l’État fait appel ! En 2022, on apprend l’annulation de son qua­trième acquit­te­ment par la Cour suprême, et le 6 jan­vier 2023, une nou­velle audience est annon­cée à la Cour cri­mi­nelle, assor­tie d’un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal. Pinar Selek reste pour le pou­voir turc une oppo­sante emblé­ma­tique qu’il s’agit de réduire au silence. Com­ment ce gou­ver­ne­ment ultra­con­ser­va­teur pour­rait-il tolé­rer une femme enga­gée pour la construc­tion d’une paix juste avec les Kurdes, pour la recon­nais­sance du géno­cide des Arménien·nes, contre le ser­vice mili­taire, et qui a créé des dyna­miques de conver­gence entre milieux fémi­nistes, LGBTQI+, anti­mi­li­ta­ristes et éco­lo­gistes ?

Pour Pinar Selek, comme pour nous, l’écologie est aus­si une danse. Un mou­ve­ment sans cesse renou­ve­lé qui se nour­rit de la joie d’agir ensemble et d’inventer de nou­velles voies créa­tives, pas­sant par les corps et par les liens qui nous relient.

Jus­tice pour Pinar Selek

Alors, parce que ses com­bats sont les nôtres, nous récla­mons jus­tice pour Pinar Selek. Avec elle, ne bais­sons pas les bras et mobi­li­sons-nous :
– en pre­nant contact avec l’un des nom­breux col­lec­tifs de sou­tien à Pinar Selek mobi­li­sés en France et en Suisse, pour agir ensemble ;
– en signant la péti­tion lan­cée par ses étu­diant-es ;
– en fai­sant connaître ses écrits (sept ont été publiés en France) et sa situa­tion.

Signa­taires :
 —  Nicho­las Bell, de la coopé­ra­tive euro­péenne Lon­go Maï
 —  Janet Biehl, ex-com­pagne de Mur­ray Book­chin, autrice de sa bio­gra­phie, Éco­lo­gie ou catas­trophe (pré­face de Pinar Selek)
 —  Syl­vine Bouf­fa­ron, acti­viste cli­mat, Alter­na­ti­ba
 —  Pau­line Boyer, acti­viste cli­mat, coau­trice du Mani­feste pour la non-vio­lence
 —  Jeanne Bur­gart Gou­tal, phi­lo­sophe, ensei­gnante, autrice d’Être éco­fé­mi­niste et de ReSis­ters
 —  Isa­belle Com­broux, ensei­gnante-cher­cheure en éco­lo­gie et génie éco­lo­gique, membre du conseil d’administration du Réseau d’échange et de valo­ri­sa­tion en éco­lo­gie de la res­tau­ra­tion
 —  Nico­las Hae­rin­ger, coau­teur de Pour la jus­tice cli­ma­tique. Stra­té­gies en mou­ve­ment
 —  HK, artiste
 —  Corinne Morel-Dar­leux, autrice et per­son­na­li­té poli­tique et éco­lo­giste
 —  Mout­sie, phy­to­thé­ra­peute, éco­fé­mi­niste, sor­cière
 —  Bap­tiste Mylon­do, mili­tant de la décrois­sance, auteur de La Décrois­sance éco­no­mique
 —  Rina Nis­sim, natu­ro­pathe et mili­tante, autrice de Mama­mé­lis, manuel de gyné­co­lo­gie natu­ro­pa­thique à l’usage des femmes
 —  Nel­ly Pegeault, rédac­trice en cheffe de Nature et Pro­grès
 —  Flo­réal Rome­ro, auteur d’Agir ici et main­te­nant, pen­ser l’écologie sociale avec Mur­ray Book­chin (pré­face de Pinar Selek)
 —  Constanze War­ta, du Forum civique euro­péen

https://reporterre.net/Soutenons-Pinar-Selek-militante-ecofeministe-menacee-par-le-pouvoir-turc





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