
Sous le coup de procès à répétition depuis 1998, la sociologue, exilée en France depuis 2011, enseigne à l’Université de Nice depuis 2016. Elle a été faite Docteure Honoris Causa de l’ENS de Lyon en 2013 et citoyenne d’honneur de la Ville de Lyon en 2023.
Discours d’Emmanuel Trizac
« L’ENS de Lyon nourrit une relation particulière avec Pinar Selek. Ce fut un honneur de lui décerner un DHC en 2013, puis de l’accueillir ensuite au sein du Centre Max Weber comme professeure invitée. Son lien avec la ville de Lyon s’est renforcé au fil du temps. Pinar est désormais citoyenne d’honneur de la ville, et c’est à Lyon que s’est organisée en juin 2024 une base arrière du soutien à l’occasion de son 5e procès. Toutefois, je ne suis ne suis pas ici uniquement pour représenter mon établissement, mais pour porter la voix de France Universités, l’association des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche, universités et grandes écoles.
L’acharnement contre notre collègue Pinar Selek est insupportable. Quel est son crime ? Avoir mené des travaux de recherche sur la question kurde. Sa vie est depuis plus de 25 ans une longue série de procès fallacieux, d’acquittements, et de nouvelles procédures ouvertes. En 2024, c’est ainsi que sa participation à une table ronde organisée dans le cadre d’un événement académique sous l’égide du CNRS, de l’UCA, de l’IRD et de l’Université Paris-Cité, a conduit à de nouvelles accusations, celles de participation à un événement en lien avec une entreprise terroriste.
Ces nouvelles charges prennent l’université française à partie, et portent une atteinte grave à la liberté académique. Elles visent à intimider toute une communauté, à museler, et elles nous rappellent, qu’en Europe et dans le monde, la liberté académique est de plus en plus mise sous pression.
En ce moment même, dans ce contexte de menaces croissantes, se tient un colloque organisé par France-Universités, à Sorbonne Nouvelle, et consacré à la liberté académique. Il s’intitule “Et pourtant elle tourne”, en référence à ce qu’aurait marmonné Galilée en 1633 au moment d’abjurer sa théorie, selon laquelle c’est bien la terre qui tourne autour du soleil.
En effet, la liberté académique est un des piliers d’une démocratie en état de marche. Une démocratie ne peut opérer sans indépendance des universitaires vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. Ce qui se joue est massif, c’est notre capacité à délibérer de ce que l’on appelle le vrai, à établir des faits, trancher des questions, à s’accorder également sur nos désaccords, quand controverse il doit y avoir, à lutter contre la désinformation, à contrer cet évidement du sens des mots que l’on voit à l’œuvre, voire un retournement complet du sens. La post-vérité est une facette de cette réalité là. C’est donc du pacte social qu’il s’agit en somme, et de notre capacité à pouvoir encore nous parler, au sein d’une société poussée vers l’anomie.
À propos de cet affaiblissement de la pensée et du langage, je voudrais citer Goebbels. Je ne le fais pas souvent ; c’est même la première fois. Mais ses mots résonnent je crois particulièrement aujourd’hui. “Je ne veux pas que vous pensiez comme moi, je veux que vous ne puissiez penser que comme moi.”
Et pour ne pas laisser le dernier mot à Goebbels, je voudrais mentionner une autrice qui est je crois chère à Pinar Selek, en particulier pour son analyse de la violence et de la domination en politique. Il s’agit d’Hannah Arendt. Hannah Arendt nous enjoignait à “penser sans entrave”, quitte à déranger. C’est difficile, c’est risqué. C’est ce que fait Pinar Selek. On n’enferme pas la pensée !
Je réitère notre engagement aux côtés de Pinar Selek, et son caractère inébranlable. »
https://www.ens-lyon.fr/actualite/lecole/soutien-pinar-selek-nenferme-pas-la-pensee
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