14 septembre 2016

Biographie

Pinar Selek est fémi­niste, anti­mi­li­ta­riste, socio­logue, écri­vaine et mili­tante.

Née en 1971 à Istan­bul, Pinar Selek construit sa vie, ses enga­ge­ments et ses recherches autour de l’adage « la pra­tique est la base de la théo­rie ». Sa mère, Ayla Selek, tenait une phar­ma­cie, lieu d’échanges et de ren­contres, et son père, Alp Selek, est avo­cat, défen­seur des droits de l’Homme. Son grand-père, Haki Selek, est un pion­nier de la gauche révo­lu­tion­naire et cofon­da­teur du par­ti des Tra­vailleurs de Tur­quie (TIP). Après le coup d’État mili­taire de 1980, Alp Selek est arrê­té et main­te­nu en déten­tion pen­dant près de cinq ans. Pinar Selek pour­suit alors des études au lycée Notre-Dame de Sion où elle apprend le fran­çais et ren­contre des objec­teurs de conscience.

En 1992, elle s’inscrit en socio­lo­gie à l’université de Mimar Sinan d’Istanbul car elle pense qu’il faut « ana­ly­ser les bles­sures de la socié­té pour être capable de les gué­rir ». Tout en pour­sui­vant ses études, elle passe beau­coup de temps dans les rues d’Istanbul avec des enfants et des adultes sans domi­cile fixe. Elle y lie­ra de pro­fonds liens d’amitié, mais choi­si­ra de ne rien écrire sur le sujet pour des rai­sons éthiques qu’elle déve­loppe dans son article « Tra­vailler avec ceux qui sont en marge ». En 1995, elle cofonde l’Atelier des Artistes de Rue, dont elle sera la coor­di­na­trice et auquel par­ti­cipent des per­sonnes sans domi­cile fixe, des enfants, des tzi­ganes, des étu­diant-es, des femmes au foyer, des tra­ves­ti-es, des transsexuel·les, des prostitué·es.

Son mémoire de licence inti­tu­lé « Babîa­li à Ìki­tel­li : de l’odeur de l’encre aux immeubles de grande hau­teur du quar­tier d’affaires » porte sur la trans­for­ma­tion des organes de presse (jour­naux, radios et télé­vi­sions) en Tur­quie. En 1997 elle obtient son DEA de socio­lo­gie avec un mémoire inti­tu­lé « La rue Ülker : un lieu d’exclusion », recherche menée sur et avec les trans­sexuels et tra­ves­tis. Cette recherche est publiée en 2001 sous le titre « Masques, cava­liers et nanas. La rue Ülker : un lieu d’exclusion ». Durant cette période et au-delà, les trans­sexuels se battent contre la vio­lence poli­cière et natio­na­liste et ce livre, pre­mier dans ce domaine, est alors très utile pour tou­cher l’opinion publique et construire la soli­da­ri­té. Paral­lè­le­ment, elle entame ses recherches sur la ques­tion kurde et effec­tue plu­sieurs voyages au Kur­dis­tan, en France et en Alle­magne, pour réa­li­ser une soixan­taine d’entretiens des­ti­nés à ali­men­ter un pro­jet d’histoire orale.

Elle a 27 ans et elle redouble d’énergie pour contri­buer à enrayer les guerres et les méca­nismes de pou­voir. Le 11 juillet 1998 elle est arrê­tée par la police d’Istanbul et tor­tu­rée pour la for­cer à don­ner les noms des per­sonnes qu’elle a inter­viewées. Elle résiste et une nou­velle forme de tor­ture est alors uti­li­sée : elle est accu­sée d’avoir dépo­sée la bombe qui aurait, le 9 juillet 1998, fait sept morts et plus de cent bles­sés au mar­ché aux épices d’Istanbul. Plu­sieurs rap­ports d’expert ont beau cer­ti­fier qu’il ne s’agit pas d’une bombe mais de l’explosion acci­den­telle d’une bou­teille de gaz, c’est le début d’un achar­ne­ment poli­ti­co-judi­ciaire qui est aujourd’hui dans sa vingt-qua­trième année. Elle passe deux ans et demi en pri­son et une grande soli­da­ri­té se met en place qui réunit de nom­breux avocat·es, des intellectuel·les et beau­coup de per­sonnes qu’elle a croi­sées au cours de ses enga­ge­ments et de ses recherches. Sa sœur Saï­da quitte alors son tra­vail et reprend des études de droit pour se joindre à la défense de Pinar en tant qu’avocate.

En pri­son, Pinar Selek écrit beau­coup, mais tous ses textes sont confis­qués. En décembre 2000 elle est fina­le­ment libé­rée et, concré­ti­sant un pro­jet mûri en pri­son, elle met à pro­fit sa noto­rié­té pour orga­ni­ser une grande « Ren­contre des femmes pour la paix » à Diyar­ba­kir. Cette pre­mière mobi­li­sa­tion sera sui­vie d’autres ren­contres qui auront lieu à Istan­bul, Bat­man et Konya.

En 2001 elle fonde avec d’autres fémi­nistes l’association Amar­gi qui s’engage dans les mobi­li­sa­tions contre les vio­lences faites aux femmes, pour la paix et contre toutes les domi­na­tions et qui ouvre la pre­mière librai­rie fémi­niste au centre d’Istanbul.

L’association orga­nise, en 2002, « la marche des femmes les unes vers les autres » où des mil­liers de femmes conver­ge­ront de toute la Tur­quie vers la ville de Konya. C’est aus­si l’année où la mère de Pinar Selek meurt d’une crise car­diaque.

En 2004, Pinar Selek publie Bari­sa­ma­dik (« Nous n’avons pas pu faire la paix ») sur la culture mili­ta­riste et les mobi­li­sa­tions pour la paix en Tur­quie. Elle crée avec d’autres en 2006 la revue théo­rique fémi­niste Amar­gi qui est encore aujourd’hui ven­due à des mil­liers d’exemplaires dans toute la Tur­quie et dont elle est tou­jours rédac­trice en chef.

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En 2006 elle est fina­le­ment acquit­tée après un tra­vail énorme du col­lec­tif d’avocats pour faire tom­ber une à une toutes les accu­sa­tions basées sur de faux témoi­gnages extor­qués sous la tor­ture et la fabri­ca­tion de fausses preuves. Mais la Cour de cas­sa­tion s’acharne et fait appel du ver­dict. Pinar Selek conti­nue à orga­ni­ser et à par­ti­ci­per à de nom­breuses ren­contres et mani­fes­ta­tions anti­mi­li­ta­ristes. Elle écrit éga­le­ment dans divers jour­naux et maga­zines contre le mili­ta­risme, le natio­na­lisme, l’hétérosexisme, le capi­ta­lisme, et toutes les formes de domi­na­tion.

En 2008 elle publie Sürüne Sürüne erkek olmak (« Deve­nir homme en ram­pant ») sur la construc­tion de la mas­cu­li­ni­té dans le contexte du ser­vice mili­taire. À la suite de cette publi­ca­tion, elle fera l’objet d’intimidations, de menaces télé­pho­niques et d’articles dif­fa­ma­toires dans la presse. Elle publie aus­si Su dam­la­si (« La goutte d’eau »), un conte pour enfant qui sera sui­vi de Siyah pele­rin­li kiz (« La fille à la pèle­rine noir ») et de Yesil kiz (« La fille en vert »).

Elle est de nou­veau acquit­tée en 2008 mais un nou­vel appel de la Cour de cas­sa­tion casse le ver­dict et la pousse à par­tir de Tur­quie. Elle reçoit une bourse du Pen Club Alle­mand dans le cadre du pro­gramme « Écri­vains en exil » et c’est à Ber­lin qu’elle ter­mine son pre­mier roman Yol geçen hani (« L’auberge des pas­sants ») publié en Tur­quie en 2011 et en Alle­magne la même année. Le 9 février 2011 elle est acquit­tée une troi­sième fois mais, fait extrê­me­ment rare dans la juris­pru­dence turque, le pro­cu­reur refait appel auprès de la Cour de cas­sa­tion, pour la troi­sième fois éga­le­ment.

Le 24 jan­vier 2013, la 12ème Cour d’Istanbul qui a été rema­niée, annule sa propre déci­sion d’acquittement et la condamne à la pri­son à per­pé­tui­té. Ses avo­cats font appel et dénoncent ce déni de jus­tice et l’illégalité des pro­cé­dures. Ils obtiennent l’annulation de la condam­na­tion auprès de la 9ème Cour de cas­sa­tion le 11 juin 2014. Mal­gré ce contexte, Pinar Selek par­vient à ter­mi­ner sa thèse de doc­to­rat sur « l’interdépendance des mou­ve­ments sociaux en contexte auto­ri­taire. Les mobi­li­sa­tions au nom de groupes sociaux oppri­més sur la base du genre, de l’orientation sexuelle ou de l’appartenance eth­nique en Tur­quie », qu’elle sou­tient le 7 mars 2014 à Stras­bourg. Le pro­cès qui recom­mence auprès de la 15ème Cour pénale, se solde par un 4ème acquit­te­ment le 19 décembre 2014. Une nou­velle vic­toire pour ses avo­cat-e‑s et toutes celles et tous ceux qui la sou­tiennent inlas­sa­ble­ment et par­tagent ses luttes en Tur­quie et ailleurs !

Mais le pro­cu­reur fait de nou­veau appel.

Com­mence alors une longue période d’incertitude en atten­dant la déci­sion de la Cour Suprême, qui finit par tom­ber huit ans plus tard : l’acquittement sera de nou­veau annu­lé.

Pinar Selek vit aujourd’hui en exil en France et résiste à la tor­ture psy­cho­lo­gique que repré­sente cet achar­ne­ment de 24 années contre elle et ses proches. Après avoir obte­nu en 2013 le sta­tut de réfu­giée, elle est natu­ra­li­sée fran­çaise en 2017.

Met­tant en pra­tique ses ana­lyses sur la néces­si­té de la conver­gence des luttes face à l’intersectionnalité des sys­tèmes de domi­na­tion, elle conti­nue d’écrire et de par­ti­ci­per à de nom­breuses ren­contres un peu par­tout en France et en Europe. Elle tient une rubrique régu­lière dans le maga­zine Rebelle San­té, contri­bue à la revue Silence et publie des articles dans des ouvrages col­lec­tifs. Elle s’investit au sein de l’association les­bienne et fémi­niste La Lune de Stras­bourg, chante dans une cho­rale de chants révo­lu­tion­naires à Lyon puis co-fonde le Groupe d’Action et de Réflexion Fémi­niste à Nice.

Depuis son ins­tal­la­tion en France fin 2011, sept de ses livres ont été publiés en fran­çais : Loin de chez moi… mais jusqu’où ? aux édi­tions iXe en mars 2012, La mai­son du Bos­phore, son pre­mier roman, aux édi­tions Lia­na Lévi en avril 2013, Ser­vice mili­taire en Tur­quie et construc­tion de la classe de sexe domi­nante . Deve­nir homme en ram­pant, une ana­lyse socio­lo­gique aux édi­tions l’Harmathan en février 2014, Parce qu’ils sont armé­niens, un essai poli­tique majeur aux édi­tions Lia­na Lévi en février 2015, Verte et les oiseaux puis Algue et la sor­cière, deux contes phi­lo­so­phiques pour enfants aux édi­tions des Lisières en 2017 puis 2021, et enfin Azu­ce­na ou Les four­mis zin­zines aux édi­tions Des Femmes en 2022, son second roman paru ini­tia­le­ment en turc en 2018 (Cümbüşçü Karın­ca­lar) puis en ita­lien en 2020 (Le For­miche fes­tan­ti). Un livre de dia­logues avec Guillaume Gam­blin paraît en 2018 et rend compte de l’itinéraire et de l’œuvre de Pinar Selek : L’Insolente, dia­logues avec Pinar Selek, édi­tions Cam­bou­ra­kis avec la revue Silence.

Le 4 octobre 2019, elle est lau­réate du Prix de la Culture médi­ter­ra­néenne 2019 (sec­tion « Socié­té civile ») décer­né par la Fon­da­tion Cari­cal en Ita­lie.

Aujourd’hui, elle enseigne la socio­lo­gie et les sciences poli­tiques à l’Université Côte d’Azur, où elle est maître de confé­rences et mène dif­fé­rentes recherches au sein de son labo­ra­toire, l’URMIS. Elle co-anime notam­ment l’Observatoire des migra­tions dans les Alpes-Mari­times et a coor­don­né avec Danie­la Truc­co l’ou­vrage col­lec­tif Le Manège des fron­tières. Cri­mi­na­li­sa­tion des migra­tions et soli­da­ri­tés dans les Alpes-Mari­times paru en 2020 chez Le Pas­sa­ger clan­des­tin.

Le 21 juin 2022, après 7 ans d’attente, la cour de cas­sa­tion annule le 4ème acquit­te­ment et demande la condam­na­tion à per­pé­tui­té. Le 6 jan­vier 2023, la Cour d’Assise d’Istanbul émet un man­dat d’arrêt avec empri­son­ne­ment immé­diat avant même que l’audience n’ait lieu. À l’approche des élec­tions, les auto­ri­tés turques tentent d’invisibiliser le pro­cès. Une délé­ga­tion inter­na­tio­nale, qui n’a jamais été aus­si nom­breuse et variée, se mobi­lise pour y assis­ter le 31 mars 2023 à Istan­bul. Le pou­voir judi­ciaire reporte la date au 29 sep­tembre. Le 29 sep­tembre, une fois encore, le pro­cès est repor­té au 28 juin 2024.

Quelques jours avant l’audience de juin une pièce men­son­gère est ver­sée au dos­sier, accu­sant faus­se­ment Pinar Selek d’avoir par­ti­ci­pé à une confé­rence qui aurait été orga­ni­sée par le PKK, alors qu’il s’agissait d’une confé­rence aca­dé­mique orga­ni­sée par deux uni­ver­si­tés et deux orga­nismes de recherches publics fran­çais. Une vive pro­tes­ta­tion et une mise au point détaillée fut immé­dia­te­ment envoyée aux ministres des Affaires étran­gères et de la Jus­tice turcs par les orga­ni­sa­teurs offi­ciels de cette confé­rence qui avait eu lieu à Nice en avril 2024. Face à cette réponse claire et outrée du monde aca­dé­mique fran­çais, pré­sen­tée dans leur plai­doi­rie par les avo­cats de Pinar le 28 juin, le juge a une nou­velle fois ren­voyée la déci­sion à une audience qui a eu lieu le 7 février 2025 à Istan­bul. La coor­di­na­tion euro­péenne des comi­tés de sou­tien, tou­jours mobi­li­sée, a orga­ni­sé une nou­velle fois une forte délé­ga­tion de per­son­na­li­tés du monde aca­dé­mique, poli­tique et mili­tant qui s’est ren­du à Istan­bul. A l’is­sue de cette audience, le pro­cès a été à nou­veau repor­té au 25 avril 2025.

En paral­lèle, elle pour­suit son enga­ge­ment inter­na­tio­nal au sein de réseaux fémi­nistes trans­na­tio­naux. Le mou­ve­ment fémi­niste repré­sente pour elle une dis­si­dence dont le pro­jet va bien au delà d’une lutte pour l’égalité. Pinar Selek s’inscrit dans les luttes locales et inter­na­tio­nales contre toutes les formes de domi­na­tion en espé­rant contri­buer à réin­ven­ter la poli­tique mal­gré la vio­lence extrême et voir un jour un monde de paix et de jus­tice, pour toutes et tous.

» Voir la chro­no­lo­gie du pro­cès de Pinar Selek





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