« Faire peur aux autres chercheurs », le procès sans fin de la sociologue Pinar Selek encore renvoyé par la justice turque

Pinar Selek, socio­logue et écri­vaine réfu­giée à Nice, voit son pro­cès pour « ter­ro­risme » repor­té pour la cin­quième fois, après 27 ans de pour­suites et plu­sieurs acquit­te­ments. Accu­sée d’un atten­tat qu’elle n’a pas com­mis, elle risque la pri­son à vie.

À peine ouverte, elle est déjà ren­voyée. Ce ven­dre­di 25 avril, le tri­bu­nal d’Istanbul a — pour la cin­quième fois consé­cu­tive — repor­té l’audience qui devait juger la socio­logue et écri­vaine Pinar Selek, accu­sée de « ter­ro­risme ». L’in­tel­lec­tuelle risque la pri­son à per­pé­tui­té pour un atten­tat qu’elle n’a pas com­mis.

Après 27 ans de pour­suites et déjà quatre acquit­te­ments, son pro­cès-fleuve a cette fois été sus­pen­du en rai­son de l’at­tente d’une réponse d’In­ter­pol à une demande d’ex­tra­di­tion. Or, l’a­vo­cat de la socio­logue assure auprès de l’AFP « qu’In­ter­pol a bien refu­sé le man­dat d’ar­rêt, mais [que] la cour ne l’a pas pris en compte ».

La date de la pro­chaine audience a donc été fixée au 21 octobre 2025. Pinar Selek est réfu­giée en France, où elle enseigne à l’u­ni­ver­si­té de Nice comme maî­tresse de confé­rences asso­ciées.

Fausses accu­sa­tions

Pinar Selek a été arrê­tée en 1998. Elle est accu­sée d’avoir orga­ni­sé un atten­tat au mar­ché aux épices d’Is­tan­bul, le 11 juillet de cette année-là. Il s’a­git d’une explo­sion ayant fait sept morts. Cepen­dant, aucune preuve n’a été appor­tée pour sou­te­nir ces accu­sa­tions et plu­sieurs exper­tises indé­pen­dantes ont démon­tré que cette explo­sion était acci­den­telle.

Après avoir été empri­son­née, la socio­logue a été libé­rée à la fin de l’an­née 2000. Pinar Selek a d’a­bord choi­si de res­ter en Tur­quie, mais elle a ensuite été pous­sée à l’exil en rai­son de ses tra­vaux sur la com­mu­nau­té kurde.

C’est ain­si qu’elle est arri­vée en France, en 2009. La socio­logue, doré­na­vant maî­tresse de confé­rences à Nice, et a été natu­ra­li­sée fran­çaise en 2017. Mais son arri­vée sur l’Hexa­gone n’a pas mis fin à ses ennuis judi­ciaires. En effet, la jus­tice turque a deman­dé son extra­di­tion en 2023. Une requête refu­sée par Inter­pol, selon l’a­vo­cat de Pinar Selek, mais dont le tri­bu­nal d’Is­tan­bul dit ne pas avoir reçu de réponse.

Une affaire poli­tique 

Pour Pinar Selek, son his­toire est poli­tique. « Ils prennent mon exemple pour faire peur aux autres cher­cheurs », avait-elle affir­mé à notre micro, le ven­dre­di 7 février der­nier.

Le cal­vaire de la socio­logue a effec­ti­ve­ment com­men­cé lors­qu’elle tra­vaillait sur la ques­tion kurde : à son arres­ta­tion, en 1998, elle est tor­tu­rée pen­dant une semaine. Elle raconte que les auto­ri­tés vou­laient qu’elle dévoile le nom des per­sonnes kurdes ren­con­trées pour ses enquêtes. Elle n’a jamais rien dit.

Récem­ment, elle a aus­si été accu­sée de par­ti­ci­per à un évé­ne­ment en France orga­ni­sé par le PKK (Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan), un mou­ve­ment kurde jugé ter­ro­riste par la Tur­quie. Pinar Selek dément ces accu­sa­tions et assure n’avoir par­ti­ci­pé qu’à une simple table ronde autour des femmes kurdes, orga­ni­sée par son uni­ver­si­té à Nice.

Le conflit kurde agite la Tur­quie depuis 1984, avec l’in­sur­rec­tion du PKK. Au fil des années, l’É­tat turc a adop­té des poli­tiques de répres­sion, détrui­sant des vil­lages kurdes et for­çant de nom­breuses popu­la­tions à l’exil. Bien que des ten­ta­tives de négo­cia­tion aient eu lieu, les ten­sions sont tou­jours très vives.

Sou­tien inter­na­tio­nal

Le pro­cès de Pinar Selek est per­çu comme un sym­bole de la répres­sion exer­cée sur les oppo­sants en Tur­quie. Son cas attire l’attention inter­na­tio­nale et le sou­tien de per­son­na­li­té du monde entier.

L’enseignante-chercheuse n’est pas seule dans son com­bat. Elle est effec­ti­ve­ment sou­te­nue par de grandes voix comme Ange­la Davis, Annie Ernaux et aus­si Narges Moham­ma­di, prix Nobel de la paix. Puis, le 30 jan­vier der­nier, un col­lec­tif de 517 uni­ver­si­taires de 27 pays a exi­gé, dans cinq quo­ti­diens publiés dans cinq pays dif­fé­rents, son acquit­te­ment défi­ni­tif pour qu’elle « retrouve son hon­neur bafoué et puisse exer­cer ses liber­tés fon­da­men­tales de cher­cheuse ».

Écrit par Marie Gre­co et AFP

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