FEMME EN DANGER Pinar Selek sur la sellette

Ce 31 mars 2023, une femme pas­se­ra en pro­cès pour un crime qu’elle n’a pas com­mis ET pour lequel elle a déjà été acquit­tée à quatre reprises. Depuis vingt-cinq ans, l’écrivaine et socio­logue turque Pinar Selek vit une per­sé­cu­tion constante, pour un motif aus­si scan­da­leux qu’honorable : elle a tou­jours été du côté des opprimé.e.s.

Parce qu’elle a enquê­té sur les per­sonnes trans­genres, pros­ti­tuées, des Tzi­ganes ou des Kurdes, dans le cadre de ses recherches en socio­lo­gie, l’écrivaine et socio­logue Pinar Selek est per­çue dans son pays d’origine, la Tur­quie, comme une enne­mie du régime. Arrê­tée, tor­tu­rée parce qu’elle refu­sait de don­ner les noms des per­sonnes qu’elle avait inter­viewées dans le cadre de son tra­vail de socio­logue, elle est accu­sée d’avoir posé une bombe en 1998 dans le mar­ché aux épices d’Istanbul.

Or, des expert.e.s ont démon­tré que l’explosion qui a fait sept morts et une cen­taine de blessé.e.s était due à l’explosion acci­den­telle d’une bon­bonne de gaz. Empri­son­née durant deux ans et demi, Pinar Selek est fina­le­ment libé­rée grâce à une soli­da­ri­té excep­tion­nelle… mais les pro­cès se suc­cèdent. Elle est acquit­tée en 2006, mais la Cour de cas­sa­tion fait appel du ver­dict. En 2008, rebe­lote : elle est acquit­tée, mais la Cour fait encore appel. La socio­logue décide de quit­ter la Tur­quie, d’autant qu’elle vient de publier un livre sur la construc­tion de la mas­cu­li­ni­té dans le contexte du ser­vice mili­taire, Deve­nir homme en ram­pant, qui lui vaut d’être har­ce­lée, vic­time d’intimidations et mena­cée au quo­ti­dien.

Son enga­ge­ment sans faille pour celles et ceux qui subissent les pires dis­cri­mi­na­tions nous oblige

Après quelques années pas­sées en Alle­magne, Pinar Selek vit aujourd’hui en France. Elle a obte­nu le sta­tut de réfu­giée en 2014, puis la natio­na­li­té fran­çaise en 2017, mais son cau­che­mar n’est pas ter­mi­né. Elle est pas­sée de nou­veau en pro­cès en 2011 et 2013. Mal­gré des acquit­te­ments suc­ces­sifs, la Cour de cas­sa­tion la condamne à per­pé­tui­té, déci­sion qui sera annu­lée en 2014. Mais en 2022 la Cour suprême de Tur­quie annule encore cet acquit­te­ment.

Le pro­cès qui doit se tenir le 31 mars pro­chain à Istan­bul est une menace pour Pinar Selek, qui ne peut plus aller en Tur­quie et qui se trouve en dan­ger sur le sol fran­çais éga­le­ment.

L’assassinat de trois per­son­na­li­tés turques le 23 décembre 2022 en témoigne : les oppo­sants au régime d’Erdogan ne sont en sécu­ri­té nulle part.

Aujourd’hui, Pinar Selek écrit des livres et enseigne à l’université de Nice. Mais il ne faut pas croire qu’elle est hors de dan­ger. Elle a orga­ni­sé en 2021 les Ren­contres inter­na­tio­nales fémi­nistes contre les fron­tières, qui n’a pas plu en haut lieu. Son enga­ge­ment sans faille pour celles et ceux qui subissent les pires dis­cri­mi­na­tions nous oblige. La sou­te­nir aujourd’hui reste la seule option pos­sible. Ce sou­tien s’inscrit dans le droit fil des mobi­li­sa­tions des femmes ira­niennes et kurdes oppri­mées par un régime inté­griste et fas­ciste.

Femme, vie, liber­té !

Elise Thié­baut





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