Comme chaque année, le festival de spectacles jeune public Méli’Môme, qui débute ce samedi, s’est choisi une marraine à rencontrer absolument, qu’on soit petit ou grand. Pinar Selek, sociologue et écrivaine turque, vit en exil en France depuis 2011. En Turquie, elle risque la prison à perpétuité.
Ce que reproche la justice turque à Pinar Selek, qui n’a jamais cessé de tergiverser entre peine d’emprisonnement et acquittement, c’est d’avoir déposé une bombe qui aurait fait sept morts et cent blessés, alors que tout prouve qu’il s’agissait d’une explosion accidentelle. En réalité, Pinar Selek est poursuivie par les pouvoirs politiques turcs et par la justice parce qu’elle féministe, antimilitariste, farouchement libertaire. Et qu’elle a dit et écrit tout haut ce qui ne doit l’être.
Joël Simon, le directeur du festival Méli’môme, a invité Pinar Selek pendant la dernière édition de Reims Scènes d’Europe, fin 2013, où l’association Nova Villa, qui porte le Méli’môme, avait entamé une réflexion sur l’exil et les frontières. Naturellement, Pinar Selek a été sollicitée pour devenir marraine du festival jeune public. Et naturellement, elle a dit oui. Elle est revenue à Reims tout récemment, il y a un mois à peine passé, pour parler de son dernier roman, La Maison du Bosphore (éditions Liana Levi, 2013). Et il y a encore moins longtemps, l’équipe de Méli’môme est allée assister à la soutenance de thèse de Pinar Selek sur les mouvements d’émancipation en Turquie, à l’université de Strasbourg. Un voyage qui a sincèrement touché Pinar Selek : « Mes amis d’enfance sont venus de Reims, avec le champagne, pour me voir soutenir ma thèse, et mon père est venu de Turquie ! »
Si Pinar Selek est présentée essentiellement pour ses combats d’adulte, tout a commencé avec l’enfance. « J’ai été très connue en Turquie pour mon travail avec les enfants des rues, nous raconte-t-elle. J’ai créé un groupe de théâtre, on faisait de l’art plastique, on a fait un journal de rue. Quand j’étais en prison, des enfants des rues venaient dormir, la nuit, en bas de la prison. » Elle a aussi écrit trois contes pour enfants.
« J’ai dit oui immédiatement à la proposition de Joël Simon, parce que depuis que j’ai quitté la Turquie, je ne vis qu’avec des adultes. Et moi j’ai besoin des enfants, des histoires pour les enfants, pour résister. J’ai eu l’impression, en voyant pour la première fois les gens de Nova Villa, de retrouver des amis d’enfance. On peut faire des « bêtises » ensemble ! On peut poser des questions enfantines ensemble, on peut créer ensemble. Grâce à Nova Villa, j’ai vécu une dizaine de rencontres avec les enfants de collèges et de lycées. Ces rencontres ont sans doute été importantes pour les enfants, mais pour moi aussi. J’ai vécu toutes ces rencontres avec l’équipe de Nova Villa. Je suis tombé amoureux de ces gens. Ils travaillent comme des fourmis, la fatigue ne les touchent jamais, ils continuent, ils continuent. Ils ont cette force de travail comme les fourmis, mais ils sont aussi cigales. Ils travaillent, et ils chantent, ils volent ! Nova Villa, ils donnent de l’espoir pour un monde plus libre. »
Tout ce que Pinar Selek dit des gens de Nova Villa, on peut le dire d’elle, qui, depuis près de 20 ans, travaille aussi comme une fourmi pour défendre les groupes opprimés en Turquie. Et le pouvoir a beau tenter de l’écraser, elle résiste, reste debout, et continue, continue, sans oublier de faire la cigale.