Pinar Selek. Ce nom est devenu synonyme d’acharnement judiciaire en Turquie. Ce nom, c’est celui d’une sociologue et activiste turque qui vit aujourd’hui en France où elle a obtenu le statut de réfugiée politique. Pinar Selek a été contrainte à l’exil par une affaire criminelle rocambolesque qui dure depuis 16 ans. Il y a 16 ans donc, elle a été condamnée pour avoir commis un attentat meurtrier contre le marché aux épices d’Istanbul. Elle a depuis été acquittée à trois reprises. L’homme qui l’avait accusé s’est rétracté et des rapports d’experts privilégient désormais la thèse d’une explosion accidentelle de gaz. Quant à Pinar Selek, elle n’a jamais cessé de clamer son innocence et de crier à la machination politique. A l’époque des faits, elle était en contact avec des rebelles kurdes pour ses recherches universitaires. C’est son refus de livrer leurs noms à la police qui serait à l’origine de l’affaire.
Malgré ses trois acquittements, l’an dernier la justice turque vire une nouvelle fois de bord. Elle est condamnée à vie par la cour pénale d’Istanbul le 23 janvier 2013. Aujourd’hui son comité de soutien appelle François Hollande à intercéder en faveur de Pinar Selek à l’occasion de son voyage officiel en Turquie.
ARTE Journal : Qu’attendez-vous de cette visite du président français en Turquie ?
Pinar Selek : Moi je n’en attends pas grand-chose parce que je sais que c’est autour des intérêts politiques plutôt que cela va se jouer. La Turquie a demandé mon extradition, mais moi je n’ai pas peur parce que j’ai reçu l’asile politique, je suis protégée par les lois donc je n’ai pas peur d’être extradée mais j’aimerais bien rentrer chez moi en Turquie. Là-bas des milliers de journalistes, d’écrivains, de militants des droits de l’homme sont en prison, beaucoup d’autres sont en exil alors ce serait bien qu’il parle aussi des questions de démocratie en Turquie, c’est ce que je souhaite : qu’il parle de tout ça aussi !
Vous dites que vous n’en attendez pas grand-chose, pourquoi ?
Pinar Selek : Je ne veux pas m’accrocher à ce genre de visite d’état. Je mène une lutte juridique, j’ai 250 avocats en Turquie et j’ai des comités de soutien dans le monde entier, c’est à ça que je m’accroche dans mon histoire parce que je suis sûre que nous allons gagner. Bien sûr, j’espère que les politiques aussi vont jouer un petit rôle, mais je ne compte pas trop là-dessus.
Où en êtes-vous aujourd’hui de votre situation judiciaire ?
Pinar Selek : Je suis sociologue, à l’époque des faits je faisais des recherches sur les mouvements kurdes quand la police m’a demandé les noms des personnes avec qui j’ai mené des entretiens. J’ai refusé et c’est ce qui m’a valu cette cabale judiciaire. J’ai été accusée de terrorisme, trois fois j’ai été acquittée et in fine, de façon totalement illégale, ils ont annulé l’acquittement et m’ont condamné à perpétuité. Mes avocats ont fait appel et maintenant c’est à la cour de cassation de décider. On attend de connaitre le jour du procès, il y aura des délégations internationales pour en observer le déroulement et on est en train de former ces délégations. Je sais que la lutte pour la démocratie est un marathon alors j’essaye d’être patiente depuis 16 ans mais en même temps comme je continue à produire et à écrire je me sens bien et je bénéficie d’une grande solidarité en Turquie et à l’international et ça me rend forte.
Comment expliquer pareil acharnement judiciaire ?
Pinar Selek : Ils ont voulu faire de moi un exemple. Quand j’étais en prison j’étais devenue un symbole d’injustice et quand j’en suis sortie après deux ans et demi de détention j’ai repris mes activités militantes et je suis devenue un symbole de résistance. C’est donc devenu une lutte symbolique. Mais cet acharnement ne date pas du gouvernement actuel, ce sont les nationalistes qui ont commencé. Il y a un pouvoir nationaliste dans l’Etat – les militaires et les bureaucrates – et ils sont encore forts aujourd’hui. Le gouvernement (islamo-conservateur ndlr) avait promis de nettoyer l’Etat de ces groupements illégaux mais il n’a pas réussi. Il reconnait d’ailleurs que la justice n’est pas indépendante de ces forces politiques, et même le gouvernement se dit victime de ces mécanismes. Mais comme la paix n’est pas encore installée en Turquie et qu’il y a encore des conditions de guerre avec les Kurdes, ça va durer encore longtemps. Mais je suis une femme libre et une chercheuse, et en voyant la résistance de la population en Turquie, en voyant les gens qui descendent dans la rue malgré les emprisonnements, j’ai de l’espoir !
Qu’attendez-vous aujourd’hui ?
Pinar Selek : Toutes les luttes que je mène, je le fais pour mon pays que j’aime énormément. Aujourd’hui j’espère que bientôt je vais pouvoir rentrer chez moi.
Barbara Lohr
http://www.arte.tv/fr/j-aimerais-que-francois-hollande-parle-de-democratie/7774586.html