« La barbarie veut anéantir la réflexion »

La socio­logue et écri­vaine Pinar Selek était à Mar­seille pour la pré­sen­ta­tion de son livre « Le chau­dron mili­taire turc ». Elle ana­lyse les liens entre les dif­fé­rents conflit­sen cours dans le monde.

La Mar­seillaise : Vous êtes venue à Mar­seille dans le cadre de la mobi­li­sa­tion Voix pour la paix au Kur­dis­tan, pour­quoi ?

Pinar Selek : Je suis venue en sou­tien à cet évé­ne­ment car je pense que tous les conflits dans le monde, toutes les guerres, tous les dif­fé­rents types de répres­sions et de fas­cisme sont inter­dé­pen­dants. On ne peut pas être sen­sible à un conflit et ne pas l’être pour un autre. Par exemple, il y a eu des mas­sacres et des dépla­ce­ments de cen­taines de mil­liers de per­sonnes au Haut-Kara­bagh, avec une vio­lence ter­rible. Mais les médias n’en ont pas fait les gros titres. Il y a, aujourd’hui, une bana­li­sa­tion des crimes de masses. Juste après le Haut-Kara­bagh, il y a eu la Pales­tine. Et le pré­sident de la Tur­quie, pro­fi­tant de cette situa­tion, bom­barde les Kurdes qui ont pour­tant résis­té contre Daesh. Tout le monde mani­feste pour ce qui lui est proche, hors moi je suis favo­rable à une conver­gence des luttes. Il faut trou­ver des liens entre ces situa­tions, car en trou­vant des liens, on crée des conver­gences. C’est que j’essaie de dire dans mon der­nier livre où je pro­pose une ana­lyse de ces situa­tions.

Quels liens faites-vous ?

P.S. : La bar­ba­rie veut anéan­tir la réflexion. Les pou­voirs auto­ri­taires ont besoin d’une absence de la pen­sée car ils agissent sur les émo­tions des popu­la­tions. Il y a des méca­nismes com­muns, c’est ce que je montre dans mon livre : il y a une pro­duc­tion struc­tu­relle de la vio­lence en Tur­quie par exemple. Les struc­tures poli­tiques contri­buent à ces phé­no­mènes, en don­nant notam­ment aux hommes le goût du pou­voir. Par exemple, j’aborde la trans­for­ma­tion des loups gris en Tur­quie où je fais un lien avec la mon­dia­li­sa­tion, le capi­ta­lisme et la para-mili­ta­ri­sa­tion. On voit qu’il n’y a pas que les États qui par­ti­cipent aux vio­lences mais aus­si d’autres struc­tures. On peut faire un paral­lèle avec d’autres armées pri­vées, comme Wag­ner en Rus­sie. Il faut mettre en pers­pec­tive tout cela. Selon les conflits, il y a des dif­fé­rences contex­tuelles et his­to­riques évi­dem­ment, mais les méca­nismes sont com­muns. Les méca­nismes sexistes, mili­ta­ristes, natio­na­listes et capi­ta­listes fonc­tionnent ensembles, ils ont besoin des uns et des autres.

Pour quelles conclu­sions ?

P.S. : Ce n’est pas un livre opti­miste. Cette mala­die, on ne peut pas la gué­rir avec un peu de citron et de miel. C’est vrai­ment struc­tu­rel, il faut des conver­gences et un tra­vail à long terme pour chan­ger les choses. Dans le rap­port de force aus­si, la balance n’est pas équi­table car d’un côté il y a des struc­tures armées et de l’autre, nous qui sommes contre les armes par exemple. Ce n’est pas évident mais on peut être créa­tif. Par exemple, je tra­vaille avec des femmes ira­niennes, argen­tines ou ita­liennes et nous essayons de créer un réseau inter­na­tio­nal anti­fas­ciste, anti­guerre. C’est une des réponses pos­sibles, mais on a besoin de dif­fé­rents moyens d’action car un seul ne suf­fi­ra pas.

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