Avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion
Le calvaire de Pinar Selek n’est peut-être pas terminé, mais l’insistance de la Cour de cassation à invalider les jugements successifs des cours pénales est tout de même bon signe. C’est en effet la troisième fois que cette juridiction conteste les condamnations à répétition à l’encontre de la sociologue, accusée d’être responsable d’une explosion que les experts avaient pourtant confirmée comme étant accidentelle. Aujourd’hui âgée de 43 ans, Pinar Selek a été arrêtée en 1998 après une explosion sur le marché aux épices d’Istanbul qui avait fait 7 morts et une centaine de blessés. La justice lui reprochait d’être membre du mouvement rebelle kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et d’avoir préparé et posé la bombe. Ce qu’elle a toujours nié.
Condamnation cassée pour vice de forme
Ce mercredi matin, la 9e chambre de la Cour de cassation d’Ankara a cassé la condamnation à perpétuité de janvier dernier pour « vice de forme » : le dossier n’avait pas été examiné sur le fond. Autrement dit, il s’agissait d’un verdict purement politique. L’affaire va donc être renvoyée devant une cour pénale pour un nouveau procès dont la date reste encore à fixer. Le dossier pourrait alors être classé sans suite, auquel cas l’accusée serait définitivement blanchie, mais le tribunal pourrait aussi bien prononcer une nouvelle condamnation. Ce serait alors la toute dernière étape de ce marathon judiciaire ouvert en 1998, puisqu’un appel de la défense ou du procureur mènerait alors à une décision sans appel de la grande chambre de la Cour de Cassation d’Ankara. Alors, seulement, Pinar Selek saura si elle est lavée de tout soupçon et si elle peut, enfin, comme elle a dit le souhaiter, « rentrer libre dans son pays ».
« De l’espoir pour la suite »
Comme elle l’écrivait dans son livre La Maison du Bosphore, Pinar Selek vit aujourd’hui un « demi-espoir », dans l’attente d’un acquittement définitif et d’une amélioration de la situation des droits de l’homme en Turquie. « Je suis très contente, mais je ne dis pas que l’on a gagné, parce que les condamnations ont été faîtes par des voies illégales, et c’était très clair. Ce n’est pas une victoire, parce que c’était évident », a-t-elle expliqué au micro de RFI après l’annonce de l’annulation de sa condamnation. « Le fait que l’on soit si heureuses, que l’on était si inquiètes avant, montre que les choses ne vont pas bien en Turquie », souligne-t-elle, également, reconnaissant que, même si elle jugeait « évidente » la décision de la Cour de cassation d’Ankara, celle-ci « donne de l’espoir pour la suite ».
Pinar Selek estime être l’objet d’une intimidation politique. « J’ai touché à des questions qui sont taboues en Turquie : les Arméniens, les Kurdes, les minorités. Je suis féministe et je lutte pour les droits des LGBT, aussi », rappelle-t-elle. « Ils m’ont choisi pour un exemple. En me punissant, ils ont voulu faire peur, intimider des militantes, des chercheurs, etc. » Sauf qu’au contraire, Pinar Selek rapporte qu’un élan de solidarité est né autour d’elle. Des enseignants, mais aussi des lycéens, qui ont marqué leur soutien à la militante. Pour elle, cela prouve qu’« ils n’ont pas réussi cette intimidation ».
Une vidéo réalisée dans le cadre de la campagne « Justice pour Piner Selek » :
Les grandes dates du procès de Pinar Selek par solidarite_pinar_selek
Jérôme Bastion