Le ministère turc de la Justice a lancé une procédure pour obtenir l’extradition de Pinar Selek, une sociologue et écrivaine turque condamnée à la prison à vie pour terrorisme sur la base de preuves fabriquées et qui est exilée en France depuis plusieurs années.
Cette demande survient après la publication cet été par un tribunal d’Istanbul d’une demande auprès d’Interpol d’un mandat d’arrêt international à l’encontre de cette militante des droits de l’Homme, âgée de 42 ans, connue pour ses recherches sur les minorités marginalisées comme les transsexuels ou les Kurdes. La sociologue, qui a quitté la Turquie en 2009 et vit actuellement à Strasbourg, a été condamnée en janvier 2013 par un tribunal d’Istanbul à la prison à vie pour avoir aidé des rebelles kurdes à commettre un attentat à l’explosif qui a fait sept morts contre le marché des épices sur la Corne d’or (le bazar égyptien) en 1998.
Quelques semaines après cette condamnation, la sociologue a obtenu l’asile politique en France, a précisé son avocat parisien, Me Martin Pradel. « Je suis confiant que les autorités françaises vont la protéger comme elles s’y sont engagées », a-t-il souligné. La demande des autorités turques « ce n’est pas sérieux, car ils savent bien qu’elle est protégée par l’asile », a encore dit Me Pradel, pour qui la démarche d’Ankara « s’inscrit dans le prolongement de l’acharnement subi depuis tant d’années » par sa cliente. Cette affaire « montre bien que la justice turque est instrumentalisée à des fins purement politiques », a-t-il commenté. L’asile politique ne constitue pas une « protection absolue » contre l’extradition, a reconnu l’avocat. Cependant dans le cas présent la demande d’extradition s’appuie sur la condamnation prononcée à Istanbul, qui justement avait motivé l’octroi de l’asile politique à la sociologue, a-t-il souligné. De ce fait, une extradition est « impossible », selon Me Pradel.
La justice ne retient que la thèse policière d’un acte terroriste prémédité
Son affaire a débuté en juillet 1998 à Istanbul. Elle avait vingt-sept ans. Ce jour-là, sortant de l’atelier artistique qu’elle avait créé pour venir en aide aux enfants des rues, elle est interpellée par des policiers turcs et interrogée sur ses liens supposés avec le Parti du travail kurde (PKK). Les policiers voulaient qu’elle leur livre les noms des personnes interviewées dans le cadre d’un projet de recherche universitaire sur la question kurde. Et c’est en prison qu’elle apprendra en regardant la télévision qu’elle est accusée d’avoir déposé une bombe ayant provoqué la mort de sept personnes, le 9 juillet, au bazar égyptien d’Istanbul ! Un suspect est arrêté, un dénommé Abdulmecit Ozturk, qui a déclaré lors de sa déposition avoir préparé cet attentat avec la complicité active de Pinar Selek… Avant de se rétracter un peu plus tard devant le tribunal, assurant que les accusations portées contre Pinar Selek « avaient été obtenues sous la torture ». Bien que six rapports d’expertise aient conclu que la déflagration n’était pas due à une bombe mais à l’explosion accidentelle d’une bombonne de gaz, la justice ne retient que la thèse policière d’un acte terroriste prémédité.
En 2000, après deux ans passés en prison, elle est libérée, avant d’être acquittée en 2006. La jeune femme croyait s’en être tirée définitivement. C’était compter sans l’acharnement de l’appareil politico-judiciaire turc. Dans deux cas, les jugements prononcés en sa faveur (acquittement en 2006, puis en 2011) sont invalidés par la Cour de cassation.
La Turquie détient le triste record du monde du nombre de journalistes emprisonnés, et ce sans compter ces centaines de prisonniers kurdes croupissant dans ses prisons turques sous l’accusation de terrorisme.
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