Le combat de Pinar Selek

En Tur­quie, l’injustice a un visage, celui, sou­riant, d’une jeune femme de qua­rante ans. Une per­sonne que je ne connais pas, mais dont le com­bat me touche, comme celui de nom­breux démo­crates turcs, aspi­rant à plus de liber­tés dans ce pays magni­fique et absurde quand il s’agit de liber­té d’expression. Non pas qu’il soit inter­dit de par­ler en public, il y a des dizaines de mani­fes­ta­tions chaque jour à Istan­bul, mais cette parole est condi­tion­née à un cadre hors duquel on ne par­donne pas celui qui en fran­chit les limites. Des fron­tières qui portent des noms : ques­tions kurde et armé­nienne, ques­tion des mino­ri­tés sexuelles ou encore celle de l’égalité homme-femme, bat­tue en brèche depuis la légi­ti­ma­tion par le pou­voir de l’« être mas­cu­lin » comme seul réfé­rent.

Le nombre des femmes bat­tues explose depuis 2002. Contrai­re­ment à une idée reçue, le modèle turc véhi­cu­lé par l’AKP et son Pre­mier ministre Erdo­gan – syn­thèse d’islam et de « démo­cra­tie » – ne fait plus rien pour chan­ger les choses. Au contraire, le nombre des jour­na­listes en pri­son n’a jamais été aus­si impor­tant.

Pınar Selek — Socio­logue turque

Pinar Selek nous montre que la recherche uni­ver­si­taire peut être sub­ver­sive. Cela fait du bien. Quel est son crime ? Accu­sée de ter­ro­risme, depuis 1998, pour une par­ti­ci­pa­tion sup­po­sée à un pseu­do-atten­tat dans le bazar égyp­tien d’Istanbul – peut-être l’explosion d’une conduite de gaz –, elle fut acquit­tée trois fois, mais la Cour de cas­sa­tion main­tient ses accu­sa­tions. Elle risque la pri­son à vie. On lui reproche de s’être inté­res­sée de près au conflit kurde, avec son regard de socio­logue, de cher­cheur. Aller sur le ter­rain, ren­con­trer et inter­vie­wer des mili­tants, dont des membres du PKK. Pas avec les yeux de celui qui choi­sit un camp, mais avec ceux de quelqu’un qui cherche à com­prendre, à expli­quer. La cause de Pinar Selek est uni­ver­selle, une leçon de jour­na­lisme et d’investigation. La Tur­quie n’est pas un mono­lithe de pen­sée, de nom­breux intel­lec­tuels – de tous bords poli­tiques – se battent chaque jour pour faire avan­cer le débat d’idées, la recherche et la paix civile.

Fer­mer les yeux sur ce qui ne nous plaît pas ne sert en rien la cause d’un pays qui mérite mieux. En Tur­quie, j’ai appris le sens du mot « démo­cra­tie », un besoin vital.

Sébas­tien de Cour­tois

http://turquieeuropeenne.eu/5171-le-combat-de-pinar-selek.html





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