Le long combat de Pinar Selek

Accu­sée à tort d’avoir orga­ni­sé un atten­tat en 1998, la socio­logue Pinar Selek, qui a déjà fait deux ans et demi de déten­tion, doit être reju­gée le 24 jan­vier. 
Elle risque 
la pri­son à vie.

Vic­time d’une cabale poli­tique, la socio­logue et fémi­niste turque Pinar Selek, qua­rante et un ans, n’en a pas fini avec une machine judi­ciaire, qui a déjà envoyé des dizaines de pro­gres­sistes et jour­na­listes turcs der­rière les bar­reaux. Le 13 décembre, à l’issue de l’audience devant la 12e chambre cri­mi­nelle du tri­bu­nal de Caya­glan (Istan­bul), son pro­cès a été ren­voyé au 24 jan­vier 2013 : ses avo­cats avaient dépo­sé une demande de des­sai­sis­se­ment du juge pré­si­dant le tri­bu­nal.

L’affaire Selek a débu­té en juillet 1998 à Istan­bul. Elle avait vingt-sept ans. Ce jour-là, sor­tant de l’atelier artis­tique qu’elle avait créé pour venir en aide aux enfants des rues, elle est inter­pel­lée par des poli­ciers turcs et inter­ro­gée sur ses liens sup­po­sés avec le Par­ti du tra­vail kurde (PKK). Les poli­ciers vou­laient qu’elle leur livre les noms des per­sonnes inter­viewées dans le cadre d’un pro­jet de recherche uni­ver­si­taire sur la ques­tion kurde. Et c’est en pri­son qu’elle appren­dra en regar­dant la télé­vi­sion qu’elle est accu­sée d’avoir dépo­sé une bombe ayant pro­vo­qué la mort de sept per­sonnes, le 9 juillet, au bazar égyp­tien d’Istanbul ! Un sus­pect est arrê­té, un dénom­mé Abdul­me­cit Ozturk, qui a décla­ré lors de sa dépo­si­tion avoir pré­pa­ré cet atten­tat avec la com­pli­ci­té active de Pinar Selek. Et ce avant qu’il ne se rétracte plus tard devant le tri­bu­nal assu­rant que les accu­sa­tions por­tées contre Pinar Selek « avaient été obte­nues sous la tor­ture ». Bien que six rap­ports d’expertise aient conclu que la défla­gra­tion n’était pas due à une bombe mais à l’explosion acci­den­telle d’une bom­bonne de gaz, la jus­tice ne retient que la thèse poli­cière d’un acte ter­ro­riste pré­mé­di­té.

Affreu­se­ment tor­tu­rée

Pour­tant Pinar Selek, elle n’est pas kurde, n’est pas cette extré­miste que la jus­tice veut punir. « En Tur­quie, tout le monde sait que je suis contre la vio­lence, que je milite pour la paix au Kur­dis­tan, pour que l’on ne nie plus les mas­sacres d’Arméniens », confiait-elle en 2010 à l’Humanité. Affreu­se­ment tor­tu­rée, Pinar Selek ne peut s’empêcher de lan­cer ce cri de dou­leur dans un de ses écrits de pri­son : « Je regrette mon Dieu. (…) Accor­dez-moi au moins la per­mis­sion de vivre comme un cafard. » Elle pas­se­ra deux ans et demi en pri­son. Libé­rée en 2000, avant d’être acquit­tée en 2006 à la suite d’une pro­cé­dure judi­ciaire qui aura duré cinq ans, la socio­logue pen­sait s’en être défi­ni­ti­ve­ment tirée, quand, béné­fi­ciant d’une bourse dans le cadre d’un pro­gramme Écri­vains en exil, elle s’installe en Alle­magne puis à Stras­bourg avant d’être rat­tra­pée par la jus­tice.

Écri­vains et artistes (le prix Nobel Orhan Pamuk, Yachar Kemal, la comé­dienne Deniz Tür­ka­li) se mobi­lisent. Acquit­tée une seconde fois en 2008, elle l’est une troi­sième fois en 2011. Il n’empêche, la Cour de cas­sa­tion inva­lide l’acquittement de l’accusée. Et voi­là Pinar Selek de nou­veau pour­sui­vie, qua­torze ans après les faits. De parents mili­tants (son grand-père Cemal Selek est l’un des fon­da­teurs du Par­ti ouvrier turc, son père Alp Selek est un avo­cat de gauche connu), Pinar Selek paie sans doute le fait d’appartenir à une famille qui n’a jamais été en odeur de sain­te­té auprès des auto­ri­tés turques. Qui plus est, son pro­cès inter­vient dans un contexte de chasse aux sor­cières (la Tur­quie détient le record du monde en matière de déten­tion de jour­na­listes) et de répres­sion envers la mino­ri­té kurde. Celle qui décla­rait qu’en Tur­quie il n’y a que trois options pour ceux qui aiment leur pays et luttent pour la liber­té : « la pri­son, la mort ou l’exil », conti­nue de se battre. Istan­bul lui manque !

Has­sane Zer­rou­ky

http://www.humanite.fr/monde/le-long-combat-de-pinar-selek-511840





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