Le plus grand procès de la presse turque s’ouvre à Istanbul

« Ceux qui disent qu’il n’y a pas de liber­té de la presse en Tur­quie sont des men­teurs. Ceux qui disent qu’il y a de la cen­sure en Tur­quie sont des men­teurs », a asse­né Bülent Arinç, le bras droit du pre­mier ministre Recep Tayyip Erdo­gan. Même avec des argu­ments de ce genre, le gou­ver­ne­ment turc aura du mal à convaincre, alors que s’ouvre, lun­di 10 sep­tembre, devant la 15e cour de jus­tice cri­mi­nelle d’Is­tan­bul, le plus grand pro­cès de l’his­toire de la presse turque.

Pas moins de 44 jour­na­listes, dont 35 sont depuis neuf mois en déten­tion pré­ven­tive, com­pa­raissent pour « ter­ro­risme » et « appar­te­nance à une orga­ni­sa­tion cri­mi­nelle ». D’autres pro­cès sui­vront dans les pro­chaines semaines. Au total, ce sont 79 employés de médias kurdes qui ont été arrê­tés en décembre 2011. « Un véri­table crime de masse envers le jour­na­lisme », écrit l’his­to­rien et spé­cia­liste de la Tur­quie Etienne Copeaux.

Ces pro­fes­sion­nels tra­vaillaient pour le quo­ti­dien Özgür Gün­dem, l’a­gence de presse Dicle, la revue Demo­kra­tik Moder­nite… Autant de médias répu­tés proches de la cause kurde, si ce n’est des rebelles du Par­ti des tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK). « C’est un pro­cès poli­tique », a décla­ré Oguz Birin­ci, rédac­teur en chef d’Özgür Gün­dem. Huit de ses col­lègues sont sous les ver­rous, ain­si que le pro­prié­taire du jour­nal, Ziya Ciçek­çi.

Selon lui, le gou­ver­ne­ment tente, par ces pro­cès col­lec­tifs, d’affai­blir les voix pro­kurdes et la base de sou­tien au PKK en Tur­quie. En août, le ministre de l’in­té­rieur Idris Naïm Sahin a assi­mi­lé les jour­na­listes sym­pa­thi­sants de la gué­rilla à des « ter­ro­ristes », en esti­mant qu’il n’y avait « aucune dif­fé­rence entre les balles tirées [par les rebelles dans le sud-est du pays] et les articles écrits depuis Anka­ra ».

DIMENSION POLITIQUE DU PROCÈS

La lec­ture de l’acte d’ac­cu­sa­tion montre la dimen­sion poli­tique de ce pro­cès, fait remar­quer la défense. Les conver­sa­tions télé­pho­niques entre jour­na­listes ou avec leurs sources, les cour­riels et les articles publiés ont par­fois été rete­nus comme preuves de leur acti­vi­té cri­mi­nelle pré­su­mée.

La jour­na­liste du quo­ti­dien de gauche BirGün, Zey­nep Kuray, a été incul­pée pour « ten­ta­tive d’hu­mi­lia­tion de l’E­tat turc », pour avoir écrit sur le har­cè­le­ment sexuel au sein de la com­pa­gnie aérienne natio­nale Tur­kish Air­lines. Une consoeur éga­le­ment visée, de l’a­gence Dicle, avait révé­lé en début d’an­née le scan­dale de la pri­son pour mineurs de Pozan­ti, où des enfants étaient sys­té­ma­ti­que­ment vio­lés.

La presse kurde n’est pas la seule en cause. Ain­si le direc­teur du site d’in­for­ma­tion odatv.com, Soner Yalçin, et cinq de ses jour­na­listes, oppo­sants farouches au gou­ver­ne­ment, sont déte­nus depuis février 2011. Ils ont été accu­sés de ten­ta­tive de com­plot, sur la foi, notam­ment, de docu­ments retrou­vés dans leurs ordi­na­teurs. Le Tübi­tak, l’é­qui­valent turc du CNRS, est arri­vé à la conclu­sion que ces appa­reils avaient été infec­tés par des virus qui auraient pu ser­vir à télé­char­ger ces docu­ments.

Mal­gré ces doutes, la demande de libé­ra­tion de Soner Yal­çin a été reje­tée le 27 août. Il reste déte­nu dans une cel­lule où, selon sa des­crip­tion, « il y a des cou­pures d’eau pen­dant 17 heures et de la lumière 24 heures sur 24, et où je suis sur­veillé en per­ma­nence par deux camé­ras ».

L’a­gence de presse indé­pen­dante Bia­net dénombre au total 95 jour­na­listes dans les pri­sons turques. Le vice-pre­mier ministre, Bülent Arinç, recon­naît que 70 jour­na­listes sont incar­cé­rés, « mais seule­ment un ou deux sont en pro­cès pour ce qu’ils ont écrit ».

Guillaume Per­rier

http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/09/10/le-plus-grand-proces-de-la-presse-turque-s-ouvre-a-istanbul_1757979_3214.html





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