« Le roman qui m’a sauvée »

Dans une salle comble, l’auteure Pinar Selek a évo­qué hier soir à la librai­rie Klé­ber sa vie d’exilée à Stras­bourg et sa « Mai­son du Bos­phore ».

Elle fait de grands gest es , parle avec tout son cœur, s’excuse en riant pour son fran­çais « pas génial » et pour ses paroles trop nom­breuses ‑croit-elle. Mais dans la salle blanche à l’étage de la librai­rie Klé­ber, le public stras­bour­geois adore ça.

Ils sont 250 à être venus hier soir ren­con­trer Pinar Selek, intel­lec­tuelle turque exi­lée à Stras­bourg depuis deux ans et vic­time d’une per­sé­cu­tion judi­ciaire dans son pays.

Son pre­mier roman, qui vient de paraître en fran­çais (DNA du 06/04/13)* raconte la route de quatre jeunes Turcs qui cherchent leur voie après le coup d’état de 1980.

« Je crois qu’on peut avoir plu­sieurs chez-soi »

Au fil de son témoi­gnage, Pinar Selek laisse trans­pa­raître la dou­leur de son exil for­cé, mais aus­si toutes les forces de vie qui la portent. « J’avais déjà écrit ce roman dans ma tête quand j’étais en Tur­quie », raconte-t-elle.

« En 2009 [date de son exil d’abord à Ber­lin], j’étais au bord de la folie, c’était un cha­grin immense. Ce roman, c’est deve­nu mon amour. Je déteste la jalou­sie en amour mais il me vou­lait tou­jours à la mai­son avec lui. Main­te­nant je peux le par­ta­ger avec tout le monde. C’est vrai­ment l’histoire qui m’a sau­vée. »

Le public écoute reli­gieu­se­ment sa lec­ture d’un pas­sage en turc, très musi­cale, avant celle en fran­çais, calme et péné­trée, de Pas­cal Maillard, cher­cheur en lit­té­ra­ture à l’Université de Stras­bourg, qui mène la conver­sa­tion.

Dans cet extrait, le dou­douk, ins­tru­ment d’origine armé­nienne, qui tient une place cen­trale dans le roman, fait naître des mélo­dies à remuer les pierres.

Et dans la fou­lée, Michel Roth (pas­teur à Schil­ti­gheim) joue de son dou­douk. Écou­tant les oscil­la­tions de l’instrument, cer­tains dans le public ferment les yeux. Un petit gar­çon vient s’asseoir près de l’estrade, sub­ju­gué.

« Quand je suis arri­vée à Stras­bourg, je ne devi­nais pas que je trou­ve­rais quelqu’un ici qui sache jouer du dou­douk », s’extasie Pinar. D’ailleurs, dans un moment émou­vant, elle confie : « Je com­mence à me sen­tir chez moi. Je crois qu’on peut avoir plu­sieurs chez-soi. Ça demande du tra­vail, du par­tage, de l’amour. »

La mai­son du Bos­phore est à Istan­bul, mais elle peut être ailleurs. « Il y a des mai­sons par­tout, témoigne Jac­que­line, au pre­mier rang. Dans le tram, à un feu rouge, on peut se par­ler, se recon­naître comme des frères humains. Ce moment magni­fique où le public et l’intime se rejoignent, pour moi, c’est ça la mai­son. »

Un peu comme ce soir, où cha­cun, autour de la vibrante Pinar, par­tage un peu de sa géné­reuse huma­ni­té. Un chez-soi vir­tuel et allé­go­rique, en atten­dant de retrou­ver ses droits et ses racines.

*« La Mai­son du Bos­phore », Pinar Selek, édi­tions Lia­na Lévi, 319 pages, 21 €





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