La Maison Louis-Guilloux reçoit depuis jeudi, Pinar Selek. Féministe, antimilitariste, sociologue, écrivaine et militante turque. Autant de casquettes qui font de cette femme un symbole de résistance. La Maison Louis-Guilloux reçoit, depuis jeudi, l’auteure et sociologue turque Pinar Selek. En résidence jusqu’à dimanche, elle a présenté, hier, son roman « La maison du Bosphore ». Aujourd’hui et demain, elle animera un atelier d’écriture ainsi qu’un débat sur la convergence du mouvement féministe en Turquie. Derrière son sourire, une vie passée à lutter contre les rapports de domination, en Turquie, qu’elle compare à « une pieuvre ». Voilà maintenant 19 ans que Pinar Selek est soumise à un procès qui n’en finit pas. Acquittée pour la quatrième fois en 2014, le procureur a fait appel une nouvelle fois. En janvier dernier, la Cour de cassation turque a demandé à ce que l’auteure soit condamnée à perpétuité.
Une accusation politique
Le 11 juillet 1998, Pinar Selek est arrêtée par la police d’Istanbul. Torturée pour l’obliger à donner les noms des personnes qu’elle a interviewées lors de ses recherches sur la question kurde. Sans succès. Elle est accusée d’avoir déposé une bombe le 9 juillet, qui aurait fait sept morts et plus de cent blessés au marché aux épices d’Istanbul. Des rapports d’expert attestent cependant qu’il s’agit de l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz. L’acharnement judiciaire peut alors commencer. L’auteure passe plus de deux ans en prison avant d’être libérée. Exilée en France depuis 2011, Pinar Selek continue de militer, d’écrire et d’enseigner.
Une vie de combat
« J’ai grandi dans une famille contestataire depuis mes grands-parents. Je n’ai jamais pensé vivre autrement », explique la militante. « J’appartiens à un groupe social opprimé en tant que femme. Je ne défends pas les plus faibles, mais je lutte contre le rapport de domination. Je me sens heureuse de résister », souligne-t-elle. Pure dans ses combats, Pinar Selek a dû se « déconstruire » pour ne pas être limitée face à ses propres préjugés. C’est en discutant avec des camarades de classe arméniens que la sociologue porte un nouveau regard sur elle-même : « Je me suis rendu compte que j’étais une jeune fille gâtée, qui appartenait à une identité dominante. Remettre en question toutes les valeurs qui nous créent est très difficile ».
« Une bouffée d’air »
La militante enseigne, aujourd’hui, les sciences politiques à l’Université de Sophiantipolis, à Nice. « V enir à des rencontres littéraires c’est une bouffée d’air pour moi. Toutes ces discussions autour de mon roman me donnent beaucoup de force et de courage pour continuer l’écriture du prochain », souligne l’auteure. Ravie de partager son expérience et son parcours, Pinar Selek admet la difficulté de « vivre en exil, d’être arrachée à ses racines ». Malgré cela, elle voit le verre toujours plein. « Se plaindre ne sert à rien », dit-elle. « On apprend le courage. On ne naît pas comme ça. Il n’y a rien de statique dans la vie. J’ai peur de beaucoup de choses aussi. Mais cette peur ne m’emporte pas. Il faut toujours arroser le courage ». À travers les yeux de Pinar Selek, le mot prend tout son sens.
Dilan Fadime YAVUZ
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