Nouvelle audience vendredi dans le procès sans fin de Pinar Selek

C’est un pro­cès sans fin que subit Pinar Selek. Pour­sui­vie depuis 25 ans en Tur­quie, acquit­tée quatre fois, la socio­logue turque, un temps réfu­giée à Stras­bourg où elle s’est agré­gé de nom­breux sou­tiens, sera à nou­veau jugée ce ven­dre­di à Istan­bul, tou­jours pour les mêmes faits remon­tant à 1998.

La longue chro­no­lo­gie des pour­suites judi­ciaires contre Pinar Selek s’étale sur pas moins de 25 ans. Un quart de siècle, la moi­tié de la vie de la socio­logue turque. Son crime ? Avoir tra­vaillé sur les Kurdes. Quand elle est arrê­tée en 1998 à Istan­bul, c’est pour livrer les noms de ses contacts kurdes qu’elle est inter­ro­gée. Ce n’est qu’après, alors qu’elle est en déten­tion, qu’on l’accuse de ter­ro­risme. Elle est d’un coup consi­dé­rée comme com­plice, avec des membres de l’organisation kurde PKK, d’une explo­sion sur le mar­ché aux épices de la ville qui venait de faire 7 morts et 121 bles­sés.

Quatre fois acquit­tée, mais jamais libre

Les exper­tises consi­dèrent que cette explo­sion meur­trière était un acci­dent, dû à une fuite dans une bou­teille de gaz. La jus­tice enten­dra cet argu­ment : Pinar Selek sera consi­dé­rée comme inno­cente et acquit­tée pas moins de quatre fois. Mais chaque fois les rouages judi­ciaires du pays d’Erdogan ont trou­vé le moyen de gar­der le dos­sier entre leurs griffes.

Par un jeu infi­ni d’appels et de nou­velles réqui­si­tions, les pour­suites ont tou­jours cours 25 ans après. En juin der­nier, la Cour suprême turque a annu­lé le qua­trième acquit­te­ment de la socio­logue , qui remon­tait lui-même à décembre 2014 . Entre-temps, en 2017, la Cour de cas­sa­tion avait requis contre elle la per­pé­tui­té.

Alp Selek, père et avo­cat de Pinar, est pré­sent à toutes les audiences, comme ici en 2014. Il est aujourd’hui âgé de 93 ans. Pho­to archives DNA /ACB

Un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal a été déli­vré à son encontre, et une nou­velle audience de cette affaire sans fin doit avoir lieu ce ven­dre­di. Une fois encore, Pinar Selek ne ver­ra pas la nuée de robes noires qui la défend pro bono dans l’immense et gla­cial palais de jus­tice d’Istanbul : elle n’a pas vu son pays depuis 15 ans. Son exil l’a ame­née en Alle­magne, puis à Stras­bourg entre 2010 et 2014, période pen­dant laquelle elle a sou­te­nu sa thèse en socio­lo­gie et ensei­gné à l’Unistra, qui lui a offert sa pro­tec­tion. Après un pas­sage à Lyon, elle vit et enseigne main­te­nant à Nice.

Un comi­té de sou­tien consé­quent

Ces péré­gri­na­tions lui ont per­mis de fédé­rer autour d’elle un comi­té de sou­tien nom­breux, dont cer­tains membres se rendent à Istan­bul pour chaque nou­velle audience du pro­cès. Ce ven­dre­di, près d’une cen­taine de membres seront pré­sents pour l’audience de ce ven­dre­di à Istan­bul. Par­mi eux figu­re­ront sept Alsa­ciens : un vice-pré­sident de l’Unistra, une adjointe à la maire de Stras­bourg, et des ensei­gnants et repré­sen­tants syn­di­caux des per­son­nels et étu­diants de l’Université.

Le comi­té de sou­tien stras­bour­geois de Pinar Selek lors d’un pré­cé­dent volet du pro­cès en 2014. Chaque fois l’Université et la mai­rie de Stras­bourg sont repré­sen­tées. Pho­to archives DNA /ACB

La délé­ga­tion comp­te­ra aus­si des sou­tiens venus de toute la France : des élus à la mai­rie de Paris, la pre­mière adjointe au maire de Mar­seille, deux dépu­tées, ain­si que des cher­cheurs et mili­tants asso­cia­tifs venus de toute la France, de Bel­gique, Nor­vège, Alle­magne, Ita­lie…

Une tri­bune de sou­tien à Pinar Selek publiée ce week-end dans Le Monde compte par­mi ses très nom­breux signa­taires pas moins que Robert Badin­ter, les prix Nobel Shi­rin Eba­di et Annie Ernaux, Ber­nard Kouch­ner, ain­si que la maire de Stras­bourg Jeanne Bar­se­ghian. Le texte, tout comme la lettre ouverte du pré­sident de l’Unistra Michel Dene­ken en juillet der­nier , voit un lien entre cet achar­ne­ment judi­ciaire et la répres­sion menée par le gou­ver­ne­ment d’Erdogan contre les oppo­sants, les intel­lec­tuels, les jour­na­listes, les uni­ver­si­taires, par­ti­cu­liè­re­ment depuis la ten­ta­tive de coup d’État de juillet 2016. Pinar Selek fait par­tie de ces intel­lec­tuels qui dérangent la Tur­quie : après avoir tra­vaillé sur les Kurdes, elle a écrit sur les Armé­niens, les enfants des rues, les mou­ve­ments sociaux turcs…..

« Un pro­verbe turc affirme : “Mille amis, ce n’est pas trop ; un enne­mi, c’est beau­coup’’, écrivent ses sou­tiens dans Le Monde. L’ennemi de Pinar Selek est puis­sant. Pour l’affronter, elle n’aura pas trop de mille amis. C’est pour­quoi nous nous tenons à ses côtés, dans son com­bat pour la jus­tice, la démo­cra­tie, la liber­té. »

Anne-Camille BECKELYNCK

https://www.lalsace.fr/faits-divers-justice/2023/03/28/nouvelle-audience-vendredi-dans-le-proces-sans-fin-de-pinar-selek





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