Pinar Selek

Le froid n’a pas empê­ché la mobi­li­sa­tion. Devant le par­vis de l’U­ni­ver­si­té de droit, ils étaient près de 200 à venir sou­te­nir Pinar Selek. Une jour­née par­ti­cu­lière pour la socio­logue turque, qui vit en exil à Stras­bourg, puisque la jus­tice turque la juge une nou­velle fois pour des faits pour les­quels elle a déjà été inno­cen­tée. Un imbro­glio judi­ciaire dans laquelle Pinar Selek est plon­gée depuis main­te­nant 15 ans.

Le froid les fait gre­lot­ter devant la fac de droit, mais tous sont déter­mi­nés à dénon­cer « l’a­char­ne­ment poli­ti-judi­ciaire en Tur­quie dont est vic­time Pinar Selek ». La jeune femme est l’une des leurs, et c’est à ce titre que les étu­diants et le per­son­nel ensei­gnant la défendent. Le comi­té de sou­tien de l’u­ni­ver­si­té de Stras­bourg rap­pelle d’ailleurs qu’en sou­te­nant Pinar Selek, ce sont « les prin­cipes fon­da­men­taux de la liber­té aca­dé­mique et de l’in­dé­pen­dance de la recherche » qui sont défen­dus.

L’en­ga­ge­ment de l’u­ni­ver­si­té de Stras­bourg est récent, mais la mobi­li­sa­tion autour de la socio­logue est vieille de plu­sieurs mois déjà. Comme le sou­ligne Edouard Mehl, doyen de l’u­ni­ver­si­té de phi­lo­so­phie et repré­sen­tant de l’u­ni­ver­si­té au sein du comi­té : « Je suis heu­reux et fier de cette mis­sion. Il arrive qu’au cours de notre vie pro­fes­sion­nelle, on s’in­ter­roge sur le sens de ce qu’on fait. Et aujourd’­hui, en sou­te­nant Pinar dans son com­bat, je sais que nous défen­dons une cause juste ». Une dizaine d’as­so­cia­tions et d’or­ga­ni­sa­tions syn­di­cales du monde uni­ver­si­taire stras­bour­geois ont rejoint le comi­té. Paral­lè­le­ment, une qua­ran­taine de par­le­men­taire ont signé un appel de sou­tien à Pinar Selek, et sou­haitent d’ailleurs que Pinar Selek obtienne le sta­tut de réfu­gié poli­tique, car à l’heure actuelle elle peut être extra­dée en ver­tu des accords fran­co-turcs.

15 ans de cau­che­mar
Ce nou­veau pro­cès n’est qu’un nou­veau cha­pitre dans l’his­toire ubuesque à laquelle Pinar Selek est sou­mise depuis 15 ans main­te­nant. Si les juges la condamnent aujourd’­hui, elle éco­pe­ra d’une peine de pri­son à per­pé­tui­té. Le cau­che­mar de Pinar Selek a débu­té en 1998. Arrê­tée par la police à la suite d’une explo­sion sur le mar­ché aux épices d’Is­tan­bul qui a fait 7 morts et une cen­taine de bles­sés. Elle est soup­çon­née par les auto­ri­tés turques d’y avoir par­ti­ci­pé car elle a des liens avec le PKK. La jeune femme mène des recherches sur la com­mu­nau­tée kurde. Elle sera empri­son­née et tor­tu­rée, mais cela ne fait pas cra­quer Pinar Selek : elle refuse de livrer à la police l’i­den­ti­té des mili­tants kurdes qu’elle a ren­con­tré au cours de ses tra­vaux de recherches.

Un sym­bole pour la lutte de toutes les liber­tés
C’est cette déter­mi­na­tion et sa lutte pour la défense des liber­tés que sou­lignent la plu­part des inter­ve­nants qui se suc­cèdent lors de la ren­contre qui suit le ras­sem­ble­ment sur le Par­vis. Assise au centre de l’es­trade, dans un des amphi­théâtres de l’u­ni­ver­si­té, Pinar Selek se dit encore une fois « émue » par la mobi­li­sa­tion qui se fait autour d’elle. « Depuis 15 ans, ce cau­che­mar se déroule dans ma vie… mais ce que je trouve magni­fique, c’est que dans toutes ces étapes, je suis accom­pa­gnée. En Tur­quie, déjà, j’é­tais très sou­te­nue par mes col­lègues, et je le suis ici aus­si par vous, je ne suis pas seule ». Dans un fran­çais un peu hési­tant, Pinar Selek raconte son par­cours et son com­bat. Une décla­ra­tion qui pro­voque une « stan­ding ova­tion » dans l’am­phi­théâtre.

« Elle ne se laisse pas abattre » affirme Sté­pha­nie Fischer, la pré­si­dente de l’as­so­cia­tion Dox­tra (Asso­cia­tion des doc­to­rants-es et doc­teurs-es en Sciences Humaines de l’U­ni­ver­si­té de Stras­bourg) « mais elle vit dans la peur. Pour preuve, cette his­toire qu’elle m’a racon­té un jour. Une nuit, elle a été réveillé par du bruit dans la rési­dence uni­ver­si­taire. Son pre­mier réflexe a été de cacher la clé USB où se trou­vait ses recherches. Ce n’est qu’a­près qu’elle a réa­li­sé qu’elle était en France, et non pas en Tur­quie ».

Un exil invo­lon­taire que Pinar Selek espère bien voir se ter­mi­ner un jour, Stras­bourg est deve­nu sa nou­velle terre d’ac­cueil après un séjour de deux ans à Ber­lin. La socio­logue conti­nue à se pas­sion­ner pour son tra­vail et pour ses recherches sur les groupes mino­ri­taires. Pour son direc­teur de thèse, Samim Akgönül, « ces sujets sont des sujets explo­sifs et dan­geu­reux pour la Tur­quie, qui par ailleurs fait les yeux doux à l’Eu­rope quand ça l’ar­range (…) mais à tra­vers Pinar, c’est notre liber­té de recherche et de conscience que nous défen­dons ».

Des valeurs uni­ver­selles dans les­quelles tous ceux qui sou­tiennent Pinar Selek se recon­naissent, et que la socio­logue va conti­nuer à défendre même si elle risque aujourd’­hui l’ex­tra­di­tion.

Véro­nique Baron­deau pour ARTE Jour­nal




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