Réfugiée, mais pas exilée. Lors d’une conférence de presse donnée samedi à Strasbourg où elle réside et travaille, Pinar Selek a démenti vouloir demander l’asile politique en France, même si sa condamnation assortie d’un mandat d’arrêt pourrait mener à une demande d’extradition par la Turquie. « Je me battrai pour retourner dans mon pays, même si je risque d’être arrêtée », a-t-elle dit. Son père et avocat, Alp Selek, a dès l’annonce du verdict déclaré qu’il ferait appel de cette décision. La quatrième dans ce procès où la sociologue a déjà été acquittée trois fois ! La procédure, déjà passablement chaotique, continue donc. Retour sur ce marathon judiciaire.
Le 9 juillet 1998, une violente explosion à l’entrée du célèbre Marché aux épices d’Istanbul, également connu sous le nom de Bazar égyptien, fait 7 victimes mortelles et quelque 120 blessés. A l’époque, la « guerre » bat son plein entre l’Etat turc et la rébellion kurde. La police, tout naturellement, dirige ses soupçons vers le PKK, et arrête un premier suspect, Abdülmecit Öztürk.
Celui-ci, « sous la torture » dira-t-il plus tard, en audience, lâche le nom d’une « complice » qui n’est autre que Pinar Selek. Pourquoi donne-t-il le nom de la sociologue ? Parce que celle-ci travaille alors sur le profil de ceux qui s’enrôlent dans la rébellion, et dans ce cadre a rencontré des dizaines de militants séparatistes.
Le don d’énerver les enquêteurs
Elle est donc, à son tour, rapidement arrêtée, et longuement torturée, dira-t-elle par la suite. La police lui demande de livrer les noms de tous ceux, au sein du PKK, avec qui elle a eu des entretiens dans le cadre de son travail de recherche. En vain, car Pinar Selek ne donne aucun nom, ce qui a le don d’énerver les enquêteurs. Car l’enquête sur l’explosion du Marché aux épices n’avance pas.
Pinar est même remise en liberté en décembre 2000, après que deux rapports d’experts aient conclu à une explosion accidentelle, due à une fuite d’une bouteille de gaz alimentant un réchaud à döner-kebab.
La 12e cour pénale d’Istanbul prononce donc logiquement, en juin 2006, un verdict d’acquittement. Mais le procureur fait appel. L’affaire est relancée et la cour de cassation invalide le jugement. Pinar Selek est à nouveau jugée pour sa participation à cet attentat qui n’en est pas un, mais à nouveau acquittée, encore à l’unanimité des juges.
Mais, suite au nouvel appel du procureur, la cour de cassation est à nouveau saisie; elle invalide ce second acquittement, cette fois sur le fond. Le troisième jugement ne se terminera pas autrement que les précédents : un nouvel acquittement est prononcé, toujours à l’unanimité des membres de la cour, en février 2011.
L’acharnement de la justice turque
En décembre dernier, suite à un nouvel appel du procureur et dans l’attente d’une réunion de ce dossier avec d’autres affaires en cours devant une cour de cassation pour un verdict définitif, la 12e cour pénale décide bizarrement d’invalider son précédent verdict. Une situation qui constitue un véritable « déni de justice », selon les avocats. Dès lors, les dés semblent jetés, et sans surprise la cour se prononce cette fois pour la culpabilité de Pinar Selek.
‘‘Pour la première fois, je suis jugée coupable », commente-t-elle, « c’est comme si j’apprenais la nouvelle de ma mort’’.
Devenu un symbole de l’acharnement dont est capable la justice turque, le procès de Pinar Selek se poursuit donc.