Pinar Selek, 15 ans de cauchemar judiciaire

La socio­logue Pinar Selek a été condam­née à une peine de pri­son à vie incom­pres­sible.

Réfu­giée, mais pas exi­lée. Lors d’une confé­rence de presse don­née same­di à Stras­bourg où elle réside et tra­vaille, Pinar Selek a démen­ti vou­loir deman­der l’asile poli­tique en France, même si sa condam­na­tion assor­tie d’un man­dat d’arrêt pour­rait mener à une demande d’extradition par la Tur­quie. « Je me bat­trai pour retour­ner dans mon pays, même si je risque d’être arrê­tée », a‑t-elle dit. Son père et avo­cat, Alp Selek, a dès l’annonce du ver­dict décla­ré qu’il ferait appel de cette déci­sion. La qua­trième dans ce pro­cès où la socio­logue a déjà été acquit­tée trois fois ! La pro­cé­dure, déjà pas­sa­ble­ment chao­tique, conti­nue donc. Retour sur ce mara­thon judi­ciaire.

Le 9 juillet 1998, une vio­lente explo­sion à l’entrée du célèbre Mar­ché aux épices d’Istanbul, éga­le­ment connu sous le nom de Bazar égyp­tien, fait 7 vic­times mor­telles et quelque 120 bles­sés. A l’époque, la « guerre » bat son plein entre l’Etat turc et la rébel­lion kurde. La police, tout natu­rel­le­ment, dirige ses soup­çons vers le PKK, et arrête un pre­mier sus­pect, Abdül­me­cit Öztürk.

Celui-ci, « sous la tor­ture » dira-t-il plus tard, en audience, lâche le nom d’une « com­plice » qui n’est autre que Pinar Selek. Pour­quoi donne-t-il le nom de la socio­logue ? Parce que celle-ci tra­vaille alors sur le pro­fil de ceux qui s’enrôlent dans la rébel­lion, et dans ce cadre a ren­con­tré des dizaines de mili­tants sépa­ra­tistes.

Le don d’énerver les enquê­teurs

Elle est donc, à son tour, rapi­de­ment arrê­tée, et lon­gue­ment tor­tu­rée, dira-t-elle par la suite. La police lui demande de livrer les noms de tous ceux, au sein du PKK, avec qui elle a eu des entre­tiens dans le cadre de son tra­vail de recherche. En vain, car Pinar Selek ne donne aucun nom, ce qui a le don d’énerver les enquê­teurs. Car l’enquête sur l’explosion du Mar­ché aux épices n’avance pas.

Pinar est même remise en liber­té en décembre 2000, après que deux rap­ports d’experts aient conclu à une explo­sion acci­den­telle, due à une fuite d’une bou­teille de gaz ali­men­tant un réchaud à döner-kebab.

La 12e cour pénale d’Istanbul pro­nonce donc logi­que­ment, en juin 2006, un ver­dict d’acquittement. Mais le pro­cu­reur fait appel. L’affaire est relan­cée et la cour de cas­sa­tion inva­lide le juge­ment. Pinar Selek est à nou­veau jugée pour sa par­ti­ci­pa­tion à cet atten­tat qui n’en est pas un, mais à nou­veau acquit­tée, encore à l’unanimité des juges.

Mais, suite au nou­vel appel du pro­cu­reur, la cour de cas­sa­tion est à nou­veau sai­sie ; elle inva­lide ce second acquit­te­ment, cette fois sur le fond. Le troi­sième juge­ment ne se ter­mi­ne­ra pas autre­ment que les pré­cé­dents : un nou­vel acquit­te­ment est pro­non­cé, tou­jours à l’unanimité des membres de la cour, en février 2011.

L’acharnement de la jus­tice turque

En décembre der­nier, suite à un nou­vel appel du pro­cu­reur et dans l’attente d’une réunion de ce dos­sier avec d’autres affaires en cours devant une cour de cas­sa­tion pour un ver­dict défi­ni­tif, la 12e cour pénale décide bizar­re­ment d’invalider son pré­cé­dent ver­dict. Une situa­tion qui consti­tue un véri­table « déni de jus­tice », selon les avo­cats. Dès lors, les dés semblent jetés, et sans sur­prise la cour se pro­nonce cette fois pour la culpa­bi­li­té de Pinar Selek.

‘‘Pour la pre­mière fois, je suis jugée cou­pable », com­mente-t-elle, « c’est comme si j’apprenais la nou­velle de ma mort’’.

Deve­nu un sym­bole de l’acharnement dont est capable la jus­tice turque, le pro­cès de Pinar Selek se pour­suit donc.

http://www.lalibre.be/actu/international/article/793165/pinar-selek-15-ans-de-cauchemar-judiciaire.html





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