Pinar Selek condamnée à la prison à perpétuité en Turquie

La socio­logue Pinar Selek a été condam­née cet après-midi par la jus­tice turque à la pri­son à per­pé­tui­té. La Tur­quie accuse Pinar Selek d’avoir par­ti­ci­pé à un atten­tat en 1998, qui s’est ensuite avé­ré être un acci­dent. Elle a été relaxée trois fois, mais l’acharnement de la cour suprême lui a valu ce qua­trième pro­cès, à l’issue duquel elle vient d’être condam­née à de la pri­son à per­pé­tui­té pour ter­ro­risme. Pinar Selek va deman­der l’asile poli­tique, ce qu’elle avait tou­jours refu­sé de faire jusqu’à pré­sent.

Pinar Selek vient d’être condam­née à la pri­son à per­pé­tui­té par la cour cri­mi­nelle de Tur­quie. Il faut dire que la socio­logue turque en exil à Stras­bourg était mal par­tie dans la vie, avec un grand-père, Cemal Hak­ki Selek, fon­da­teur du par­ti de gauche des tra­vailleurs de Tur­quie et son père, Alp Selek, 83 ans, avo­cat défen­seur des droits de l’homme empri­son­né pen­dant cinq ans après le coup d’Etat mili­taire de 1980.

C’est sans doute une des rai­sons qui pousse l’Etat turc à s’acharner sur son sort, depuis qu’elle s’est inté­res­sée à la ques­tion des mino­ri­tés en Tur­quie pour ses études de socio­lo­gie. Elle croise et ren­contre évi­dem­ment des Kurdes, ce qui est presque déjà condam­nable en Tur­quie. Lorsqu’en 1998, une explo­sion dévaste le bazar aux épices d’Istanbul, les sépa­ra­tistes Kurdes du PKK sont accu­sés et elle se retrouve dans les locaux de la police, tor­tu­rée en étant pen­due au pla­fond par les bras, avec des élec­trodes bran­chées sur sa tête… Elle refuse de livrer les noms des Kurdes qu’elle a ren­con­trés.

Plu­sieurs rap­ports d’expertise ont mon­tré depuis qu’il n’y a pas eu d’attentat, et que l’explosion de 1998 était acci­den­telle. La même cour cri­mi­nelle turque, l’équivalent d’une cour d’assises fran­çaise, a acquit­tée trois fois Pinar Selek, en 2006, en 2008 et 2011. Mais par trois fois, la cour suprême a cas­sé ces juge­ments. Ce jeu­di 24 jan­vier, elle a été condam­née pour la pre­mière fois, à la peine maxi­male, la pri­son à per­pé­tui­té pour ter­ro­risme. Ce pro­cès a été ren­du pos­sible par l’acharnement d’un pro­cu­reur de la 12e cour pénale d’Istanbul qui a pro­fi­té d’un congé mala­die du juge en charge du dos­sier, pour se sub­sti­tuer en toute illé­ga­li­té à la Cour suprême.

Me Mar­tin Pra­del, avo­cat et char­gé de mis­sion pour la Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale des Droits de l’Homme, pré­cise la déci­sion :

« Les juges ont condam­né Pinar parce qu’on leur a dit de le faire, et non parce qu’ils pensent qu’elle est cou­pable. Leurs juge­ments ont été cas­sés trois fois, ils indiquent cette fois que l’avis de la cour suprême s’impose à eux. Pinar Selek se déclare « debout et prête à se battre ». Il reste comme recours à Pinar un appel devant la cour suprême, mais on voit mal com­ment elle pour­rait se déju­ger, et un ultime devant la Cour euro­péenne des Droits de l’Homme à Stras­bourg. Et au vu des nom­breuses irré­gu­la­ri­tés consta­tées dans ce dos­sier, il y a de quoi bâtir un dos­sier très solide. »

En exil à Strasbourg

En exil à Stras­bourg, Pinar Selek pour­suit une thèse de socio­lo­gie avec le sou­tien des élus de la Ville et de l’Université. Elle a confié dans plu­sieurs inter­views qu’il n’y avait que trois solu­tions pour ceux qui, comme elle, aiment leur pays :

« En réa­li­té, mon péché est de vou­loir être libre dans mes recherches de socio­logue, dans mes reven­di­ca­tions poli­tiques, et d’avoir osé tra­vailler sur le mou­ve­ment kurde. En Tur­quie, il n’y a aujourd’hui que trois options pour ceux qui, comme Hrant Dink, ce jour­na­liste tur­co-armé­nien assas­si­né en 2007, Nazim Hik­met, ce poète turc mort en exil à Mos­cou en 1963, ou moi-même, aiment leur pays et luttent pour étendre la liber­té : la pri­son, la mort ou l’exil. »

Dans le dos­sier de la cour suprême, il n’y a pour­tant que les décla­ra­tions d’un pri­son­nier kurde tor­tu­ré en 1998 et qui a don­né son nom comme celui d’une mili­tante du PKK, le mou­ve­ment de libé­ra­tion du Kur­dis­tan, dénon­cé comme orga­ni­sa­tion ter­ro­riste par Anka­ra. Le pri­son­nier a beau s’être rétrac­té depuis, qu’importe !

Reste que la situa­tion juri­dique de Pinar Selek va se com­pli­quer. La socio­logue de 41 ans n’a jamais deman­dé l’asile poli­tique à la France, car elle vou­lait pou­voir retour­ner un jour en Tur­quie. Mais sans ce sta­tut, et désor­mais condam­née, elle risque d’être extra­dée vers la Tur­quie en ver­tu des accords fran­co-turcs signés l’an der­nier. Selon Me Pra­del, il fau­dra qu’elle en passe par le sta­tut de réfu­giée :

« La cour cri­mi­nelle a assor­ti sa déci­sion d’un man­dat d’arrêt, ce qui ouvre la voie à une pro­cé­dure d’extradition vers la Tur­quie. Il n’y a qu’un asile poli­tique garan­ti par la France pour l’empêcher. »

Ce matin, une mani­fes­ta­tion de sou­tien sur le par­vis devant la fac de droit de Stras­bourg a réuni 200 per­sonnes. Pinar Selek appré­cie ces marques de sou­tien, elle qui souffre de l’éloignement d’Istanbul, de son pays et de ses proches. Mais le col­lec­tif va peut-être devoir recru­ter d’autres membres s’il veut empê­cher l’extradition de Pinar Selek par la France, le dos­sier pour­rait rapi­de­ment se trans­for­mer en cau­che­mar diplo­ma­tique. Le dépu­té PS Phi­lippe Bies a indi­qué sur son blog qu’il enga­ge­rait les démarches pour qu’elle puisse obte­nir le sta­tut de réfu­giée poli­tique. Une tren­taine de par­le­men­taires se sont aus­si enga­gés en faveur de la socio­logue turque, ain­si que le pré­sident de l’Université de Stras­bourg Alain Beretz. Rési­gnée, Pinar Selek a décla­ré en soi­rée qu’elle allait deman­der l’asile poli­tique à la France.

Y aller
Réunion du comi­té de sou­tien, ven­dre­di 25 jan­vier à 12h à l’Arès, 10 rue d’Ankara à Stras­bourg. Lien Face­book. Le col­lec­tif de soli­da­ri­té avec Pinar Selek.

Pierre France

http://www.rue89strasbourg.com/index.php/2013/01/24/societe/pinar-selek-condamnee-a-la-prison-a-perpetuite-en-turquie/





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