Pinar Selek dans les mâchoires du système judiciaire turc

Acquit­tée deux fois, cette socio­logue réfu­giée à Stras­bour­gest à nou­veau pour­sui­vie pour un atten­tat… qui n’a pas eu lieu.

Le cas Pinar Selek sera peut-être un jour ensei­gné aux étu­diants en droit comme un exemple des éga­re­ments de la jus­tice turque. Cette socio­logue réfu­giée à Stras­bourg est har­ce­lée judi­ciai­re­ment depuis qua­torze ans. Son pro­cès pour ter­ro­risme reprend mer­cre­di devant la cour pénale n° 12 d’Is­tan­bul alors qu’elle a déjà été acquit­tée deux fois. Une affaire ubuesque, dans laquelle elle est tou­jours mena­cée d’une condam­na­tion à per­pé­tui­té pour ter­ro­risme.

Tout com­mence en juillet 1998 par une explo­sion au bazar égyp­tien d’Is­tan­bul, près de la Corne d’or, qui fait sept morts. Deux jours plus tard, Pinar Selek est pla­cée en garde à vue et tor­tu­rée. La police veut connaître les noms des mili­tants de la gué­rilla kurde du PKK qu’elle a inter­ro­gés dans le cadre de ses recherches. Le 12 août, Abdül­me­cit Öztürk, un Kurde soup­çon­né de faire par­tie du PKK, est arrê­té. Au cours de son inter­ro­ga­toire, il dit avoir fabri­qué avec Pinar Selek une bombe qui a été posée dans le petit res­tau­rant du mar­ché où l’ex­plo­sion s’est pro­duite. Très vite, l’homme se rétrac­te­ra, dira avoir don­né son nom sous la tor­ture et sera fina­le­ment inno­cen­té. Sur les causes du drame, les rap­ports d’ex­per­tises concluent à… une fuite de gaz.

Un mili­tan­tisme mal vu

L’at­ten­tat étant en fait un acci­dent, les charges contre Pinar Selek, accu­sée d’a­voir « posé une bombe » qui n’a jamais exis­té, devraient en toute logique être aban­don­nées. Mais le pro­cu­reur s’a­charne. À deux reprises, en 2008 et 2011, un acquit­te­ment est pour­tant pro­non­cé. Le 22 novembre der­nier, à la faveur d’une absence du juge qui suit l’af­faire, la 12e cour, qui avait recon­nu par deux fois sa non-culpa­bi­li­té, se dédit et annule sa déci­sion — une impos­si­bi­li­té en droit.

Pinar Selek se dit à bout de forces et de patience : « Qua­torze ans et demi à lut­ter, c’est presque une vie, dit-elle. C’est comme un sup­plice chi­nois, tant que le pro­cès n’est pas ter­mi­né, je ne peux pas gué­rir des séquelles lais­sées par la tor­ture, elles sont à chaque fois ravi­vées. » Aujourd’­hui âgée de 41 ans, elle pour­suit une thèse sur les mou­ve­ments sociaux en Tur­quie à l’u­ni­ver­si­té de Stras­bourg. Lors­qu’elle vivait à Istan­bul, la jeune femme enga­gée à gauche a été de tous les com­bats pour défendre les mino­ri­tés oppri­mées par l’É­tat. En s’a­char­nant sur elle, la jus­tice lui fait payer ce mili­tan­tisme, mal vu en Tur­quie.

Pour le poli­to­logue Samim Akgönül, pro­fes­seur à l’u­ni­ver­si­té de Stras­bourg, le cau­che­mar que subit Pinar Selek est révé­la­teur de la nature de la jus­tice en Tur­quie : « Depuis le début de la Répu­blique, la jus­tice ne s’est jamais pri­vée de vio­ler la loi, en 1930 comme en 2012. Elle ne pro­tège pas les citoyens, elle pro­tège l’É­tat, qui est sacré, contre les indi­vi­dus, qui sont per­çus comme une menace pour la péren­ni­té de l’É­tat. » Ce fonc­tion­ne­ment explique pour­quoi la Tur­quie est le pays le plus condam­né par la Cour euro­péenne des droits de l’homme.

Pinar Selek béné­fi­cie d’un puis­sant comi­té de sou­tien en France. Cathe­rine Traut­mann, par­le­men­taire euro­péenne, a envoyé une lettre au pre­mier ministre Recep Tayyip Erdo­gan. Le pré­sident de son uni­ver­si­té, Alain Beretz, a pris publi­que­ment posi­tion en sa faveur. « Pinar Selek est un sym­bole, pour­suit Samim Akgönül. Com­bien sont-ils à pour­rir dans les geôles turques pour des his­toires simi­laires ? »

Laure Mar­chand

http://www.lefigaro.fr/international/2012/12/11/01003 – 20121211ARTFIG00623-pinar-selek-dans-les-machoires-du-systeme-judiciaire-turc.php





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