Pinar Selek face à l’acharnement judiciaire d’Ankara

Elle est deve­nue, à contre­cœur, un sym­bole recher­ché par les défen­seurs des droits et les forces obs­cures de l’État pro­fond en Tur­quie. Alors que son cin­quième pro­cès pour ter­ro­risme s’ouvre ven­dre­di 31 mars à Istan­bul, la socio­logue fran­co-turque Pinar Selek est à Paris, d’où elle sui­vra le dérou­le­ment de l’audience au siège de la Ligue des droits de l’homme – un clin d’œil à l’affaire Drey­fus.

Son père, Alp Selek, 93 ans, la repré­sen­te­ra à Istan­bul, avec sa sœur Sey­da Selek, deve­nue avo­cate de la cause, et un pool d’avocats et de délé­gués qui repré­sentent dans leur diver­si­té la force du sym­bole que repré­sente cette affaire. deve­nir. dans un pays pour­tant sub­mer­gé par les pro­cès poli­tiques.

25 ans de pro­cé­dure, quatre acquit­te­ments et aucune nou­velle infor­ma­tion dans le dos­sier

Elle ne perd pas son sou­rire ni sa nature cha­leu­reuse, mais lorsqu’on lui demande com­ment elle va, elle répond avec las­si­tude : « Quelle ques­tion stu­pide ! » Après vingt-cinq ans de pro­cé­dure, mal­gré quatre acquit­te­ments et sans aucun élé­ment nou­veau au dos­sier, elle risque la per­pé­tui­té et, même si elle n’est pas extra­dée, une lourde amende pèse­ra sur sa famille, sans comp­ter les risques pour sa sécu­ri­té. .

Elle ne peut plus racon­ter cette his­toire qui obs­cur­cit la moi­tié de sa vie. Pinar Selek a fui la Tur­quie en 2009 et, réfu­giée poli­tique, elle est deve­nue citoyenne fran­çaise, ensei­gnante-cher­cheuse à l’Université de Nice, écri­vain et conteuse, « acti­viste de la poé­sie », comme l’indique sa carte de visite.

Son père, avo­cat, a fait de la pri­son lors de la grande répres­sion de la gauche dans les années 1980. En 1998, à Istan­bul, alors qu’elle n’était encore qu’une jeune socio­logue, Pinar est à son tour arrê­tée pour ses recherches sur les Kurdes, et som­mée de don­ner les noms de ses inti­més ; Elle refuse. Elle a été tor­tu­rée et empri­son­née pen­dant deux ans, au cours des­quelles elle a appris qu’elle était accu­sée d’avoir orga­ni­sé un atten­tat.

« Il n’y a aucune preuve contre cela, mais il n’y a même pas de preuve qu’il y ait eu une bombe ! »

S’en est sui­vi un inter­mi­nable ping-pong judi­ciaire qui a duré plus long­temps que le règne d’Erdogan, ce qui n’est pas peu dire et montre la pro­fon­deur du mal qui gan­grène la jus­tice en Tur­quie. Yase­min Öz est l’un de ses avo­cats – mili­tant LGBT, nom de code : Dra­ca­rys (réfé­rence au feu des dra­gons de Game of Thrones), elle fait par­tie des per­son­na­li­tés flam­boyantes qui le défendent : « Elle est accu­sée d’avoir posé une bombe, et non seule­ment il n’y a aucune preuve contre elle, il n’y a même pas de preuve qu’il y avait une bombe ! Si une per­sonne peut être pour­sui­vie pen­dant vingt-cinq ans pour cela, si la Cour suprême peut deman­der la per­pé­tui­té pour cela, alors la loi ne veut rien dire et cela peut arri­ver à n’importe qui. »

Dif­fi­cile de répondre aux ques­tions les plus élé­men­taires, ne serait-ce que sur le dérou­le­ment atten­du de la pro­cé­dure, les chances d’avoir un ver­dict immé­diat ou l’éventualité d’un report après la pré­si­den­tielle (14 mai). Yase­min Öz n’en sait pas plus : « Nous ne savons pas du tout ce que la Cour va déci­der, ou s’il y aura une déci­sion tout de suite, ou un report. Nor­ma­le­ment, vous pou­vez devi­ner. Mais toutes les règles ont été enfreintes dans ce pro­cès, donc nous ne pou­vons rien pré­dire. »

L’acharnement dont souffre Pinar Selek est presque aus­si impres­sion­nant que la soli­da­ri­té qui l’entoure, sans doute pour les mêmes rai­sons : « Elle a été ciblée, évi­dem­ment, à cause de sa façon de tra­vailler : elle ne cloi­sonne pas les gens, au contraire, elle les ras­semble et leur donne la parole : Kurdes, Armé­niens, LGBT, migrants, fémi­nistes… Elle a créé un immense réseau autour d’elle. C’est vu comme une menace. »

Karin Kara­kas­li, qui était le bras droit de Hrant Dink, assas­si­né en 2007 au jour­nal tur­co-armé­nien Agosest membre de son comi­té de sou­tien : « C’est un miracle qu’après vingt-cinq ans, il y ait encore une mobi­li­sa­tion aus­si impor­tante. Nous sommes rejoints par les nou­velles géné­ra­tions. Les amis viennent de tous les pays. Que des gens qui vivent ailleurs pensent que ce qui se passe ici est aus­si leur pro­blème me ras­sure beau­coup, mal­gré cette atmo­sphère stres­sante. »

» Lire la suite

Valé­rie Man­teau





© copyright 2016  |   Site réalisé par cograph.eu