Pinar Selek : « Je suis fatiguée de ce procès qui dure depuis 25 ans »

Mal­gré quatre acquit­te­ments, la socio­logue fran­co-turque fait, à pré­sent, l’objet d’un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal avec empri­son­ne­ment immé­diat avant même que les juges du Tri­bu­nal cri­mi­nel d’Istanbul ne se soient pro­non­cés, la 1ère audience étant pré­vue le 31 mars 2023. Un pro­cès fan­toche qui frise le ridi­cule et l’absurde comme des mil­liers d’autres et ce, dans le silence géné­ral de nos démo­cra­ties qui s’aplatissent devant le pou­voir turc. Cet achar­ne­ment poli­ti­co-judi­ciaire ne sur­prend guère Pinar Selek qui s’est réfu­giée en France après avoir connu la tor­ture dans les pri­sons turques pen­dant deux ans et demi. Son seul tort à l’époque et encore aujourd’hui : celui de défendre les mino­ri­tés et en par­ti­cu­lier le droit des Kurdes, des Armé­nien·nes, des Alé­vis, des femmes, de la com­mu­nau­té LGBT, des pros­ti­tué·es … Clas­sée 103ème sur 167 en termes de res­pect des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques en 2021, la Tur­quie est régu­liè­re­ment condam­née par la Cour euro­péenne des droits de l’Homme pour sa poli­tique répres­sive, ses purges, ses vio­lences faites aux femmes et aux mino­ri­tés, son ingé­rence dans les affaires judi­ciaires, ses arres­ta­tions arbi­traires… Pinar Selek, en tant que res­sor­tis­sante fran­çaise demande, à nou­veau, la pro­tec­tion de l’Etat fran­çais.

Pinar Selek, com­ment vous sen­tez-vous aujourd’hui ?

Je suis fati­guée de ce pro­cès qui dure depuis 25 ans. Cette situa­tion est très dif­fi­cile pour moi, j’en ai assez de me battre. L’Etat turc m’a condam­née une fois de plus, alors que mes avo­cat·es ont obte­nu une audience pour le 31 mars. On me réclame encore de grosses indem­ni­tés pour les per­sonnes décé­dées lors de l’explosion d’une bon­bonne de gaz. Quand j’ai été arrê­tée en 1998, j’ai appris en pri­son que c’était pour acte de ter­ro­risme et que j’avais posé soi-disant cette bombe. A l’époque, j’effectuais des recherches sur les Kurdes et mes tra­vaux de socio­logue ont gêné le pou­voir. La police vou­lait que je livre le nom de mes enquê­té·es. Dès qu’une per­sonne ne va pas dans leur sens, elle est inti­mi­dée, empri­son­née et tor­tu­rée. Les pri­sons turques regorgent de pri­son­niè·res poli­tiques esti­mé·es à 90.000, beau­coup dis­pa­raissent pure­ment et sim­ple­ment. Je fais par­tie de ce sys­tème répres­sif qui existe depuis des décen­nies en Tur­quie, et ce, même avant l’arrivée d’Erdogan.

Vous êtes une icône de la résis­tance contre le pou­voir turc. Vous avez un sou­tien très impor­tant aus­si bien en Tur­quie qu’en France qui se mobi­lise et vous appuie depuis 25 ans.

C’est incroyable cette mobi­li­sa­tion ! Je n’en reviens pas moi-même et cela me donne la force de lut­ter. J’exerce une cer­taine influence même avec le chan­ge­ment de géné­ra­tion et je conti­nue de dénon­cer les abus en Tur­quie à tra­vers mes publi­ca­tions. Je béné­fi­cie du sou­tien d’élu·es, de nom­breuses asso­cia­tions de défense des liber­tés, de médias, d’intellectuel·les. Mon édi­trice et mon employeur ont publié récem­ment des tri­bunes suite à cette der­nière farce du Tri­bu­nal. Le mois pro­chain, je suis invi­tée par la ville de Paris pour une soi­rée de soli­da­ri­té. Une grande marche com­po­sée d’une délé­ga­tion avec des per­son­na­li­tés de niveau natio­nal et inter­na­tio­nal se ren­dra à Istan­bul le 30 mars, jour de l’audience, pour pro­tes­ter contre cette déci­sion de jus­tice. Une péti­tion a éga­le­ment été mise en ligne pour inter­pel­ler Emma­nuel Macron. Mon col­lec­tif demande à ce que la France me sou­tienne publi­que­ment en tant que res­sor­tis­sante fran­co-turque et pro­teste auprès de la Tur­quie contre cette déci­sion.

Avez-vous espoir que l’Etat turc vous laisse tran­quille un jour ?

Les faux pro­cès, les com­plots, les men­songes, la dés­in­for­ma­tion… tout ceci fait par­tie du sys­tème de n’importe quel Etat tota­li­taire. Me rendre jus­tice serait recon­naître une injus­tice et la répa­rer. Or, nous sommes des mil­liers d’opposant·es poli­tiques et des cen­taines d’exilé·es aujourd’hui… Mon pro­cès est sym­bo­lique, c’est une goutte d’eau dans ce sys­tème. Mais la lutte conti­nue pour la liber­té d’expression et la démo­cra­tie !

Suite au ter­rible séisme qui vient se pro­duire en Tur­quie, le gou­ver­ne­ment a décla­ré l’état d’urgence, pen­sez vous qu’il fasse assez ?

Erdo­gan pro­fite de cette ter­rible tra­gé­die mais ne fait rien pour secou­rir les popu­la­tions kurdes ou alé­vis tou­chées, en grande majo­ri­té, par le séisme. Les médias locaux n’en parlent abso­lu­ment pas. Le gou­ver­ne­ment les laisse à leur propre sort. C’est ter­rible ! Je suis atter­rée.

Pro­pos recueillis par Lau­rence Dio­ni­gi 50 – 50 Maga­zine

Sou­te­nir Pinar Selek

https://www.50 – 50magazine.fr/2023/02/16/pinar-selek-je-suis-fatiguee-de-ce-proces-qui-dure-depuis-25-ans/?fbclid=IwAR2_7eKB6tpwlLecBkqZuDVDr_XsmjXaOjv7X40DWJU_RksJTTZRTDd54Ig





© copyright 2016  |   Site réalisé par cograph.eu