Pinar Selek, sociologue turque harcelée, exilée, mais toujours engagée

Ecri­vain fémi­niste, acti­viste enga­gée aux côtés des sans-abri ou des tra­ves­tis, la socio­logue turque Pinar Selek, 40 ans, est accu­sée depuis 13 ans de ter­ro­risme pour s’être inté­res­sée au conflit kurde. Aujourd’­hui exi­lée en France, elle rêve de pou­voir ren­trer dans son pays.

« Etre socio­logue en Tur­quie, c’est dif­fi­cile, il faut connaître ses limites », ana­lyse tris­te­ment cette femme élé­gante et décon­trac­tée, aux longs che­veux ondu­lés, qui parle un bon fran­çais acquis dans un lycée fran­co­phone d’Is­tan­bul.

Accu­sée d’a­voir par­ti­ci­pé à un atten­tat qui fit sept morts à Istan­bul en juillet 1998, Pinar Selek a été acquit­tée trois fois pour ces faits, en rai­son de manque de preuve ou de rap­ports d’ex­per­tise affir­mant que l’ex­plo­sion était acci­den­telle et non cri­mi­nelle.

Mais la Cour de cas­sa­tion, à chaque fois, a main­te­nu ses accu­sa­tions, et la jus­tice turque n’a tou­jours pas aban­don­né les pour­suites. Elle risque tou­jours la pri­son à vie.

« C’est une tor­ture psy­cho­lo­gique pour moi, je vou­drais que ça finisse une bonne fois pour toutes », sou­pire l’u­ni­ver­si­taire, qui après quelques mois d’exil à Ber­lin s’est ins­tal­lée à Stras­bourg (nord-est de la France) où elle pré­pare une thèse sur les luttes d’é­man­ci­pa­tion en Tur­quie.

Née dans une famille d’in­tel­lec­tuels de gauche, la jeune Pinar a gran­di « dans une mai­son qui ser­vait de lieu de ren­contres et de débats », où « on lisait et dis­cu­tait beau­coup ». Son grand-père, avo­cat, fut l’un des fon­da­teurs dans les années 1960 du Par­ti des tra­vailleurs de Tur­quie. Son père, avo­cat éga­le­ment, a pas­sé quatre ans et demi en pri­son après le coup d’E­tat de sep­tembre 1980. « Dès l’en­fance, j’ai com­pris très tôt que le pou­voir ne dit pas for­cé­ment la véri­té », com­mente-t-elle.

A l’a­do­les­cence, elle est influen­cée par le mou­ve­ment fémi­niste, touche au théâtre puis décide de deve­nir socio­logue « afin de com­prendre et d’a­gir ».

Dès le début, elle se tourne vers des sujets et des groupes sociaux tabous : pros­ti­tuées, gitans, tra­ves­tis, gays et les­biennes. Dans ces milieux, elle noue des ami­tiés, devient conteuse pour enfants sans-logis, crée un ate­lier d’ar­tistes de rue et par­tage un temps la vie des SDF.

A par­tir de 1996, la jeune femme aux ori­gines « mélan­gées, cau­ca­siennes, grecques… mais pas kurdes ! » va s’in­té­res­ser jus­te­ment au conflit kurde. « Je suis anti­mi­li­ta­riste, et contre la vio­lence des deux côtés. On ne peut pas conqué­rir la liber­té par les armes. Mais pour com­prendre pour­quoi il y a la guerre, il fal­lait que je parle à des rebelles du PKK », explique la cher­cheuse.

C’est là que ses ennuis com­mencent. Arrê­tée en juillet 1998, elle est tor­tu­rée pen­dant une semaine afin qu’elle donne les noms de ses contacts au sein de la rébel­lion. « C’é­tait dur, mais je n’ai rien dit ».

Puis viennent les accu­sa­tions de par­ti­ci­pa­tion à un atten­tat ter­ro­riste, « de la science-fic­tion », com­mente-t-elle. En tout, elle pas­se­ra deux ans et demi en pri­son, jus­qu’à décembre 2000.

En sor­tant de déten­tion, celle qui fut amie du jour­na­liste turc d’o­ri­gine armé­nienne Hrant Dink (assas­si­né en 2007) pro­met d’être « encore plus active qu’a­vant ». Elle écrit sur l’ho­mo­pho­bie, l’in­fluence du ser­vice mili­taire sur la mas­cu­li­ni­té en Tur­quie.

Mais ses ennuis judi­ciaires ne cessent pas. Elle reçoit des menaces de mort et doit s’exi­ler au prin­temps 2009. « Ici, en France je sais qu’on ne vien­dra pas sai­sir mon ordi­na­teur, c’est un luxe ! Et il y a une grande soli­da­ri­té autour de moi, c’est impor­tant. »

« Au-delà de la ques­tion des droits de l’homme, son cas est emblé­ma­tique d’at­teintes crois­santes à la liber­té des cher­cheurs », sou­ligne Syl­vain Lau­rens, socio­logue de l’U­ni­ver­si­té de Limoges (centre-ouest) qui s’est mobi­li­sé pour Pinar Selek au sein de l’ONG « Cher­cheurs sans fron­tières ».





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