Pinar Selek Une femme à briser “pour l’exemple”

Accu­sée d’avoir orga­ni­sé un atten­tat, cette socio­logue turque a été empri­son­née, tor­tu­rée… puis acquit­tée, avant que la jus­tice ne se ravise. Son vrai crime ? S’être inté­res­sée aux Kurdes et au PKK.

Cela fait qua­torze ans que Pinar Selek subit une pro­cé­dure judi­ciaire. Il s’agit sans doute, à tra­vers le cas de cette socio­logue, de “don­ner une leçon” à tous ceux qui veulent une solu­tion démo­cra­tique à la ques­tion kurde.

Dans le cadre de ses recherches, Pinar Selek a ren­con­tré des res­pon­sables du PKK : il fal­lait donc l’intimider. La liste des tor­tures phy­siques et juri­diques qu’on lui a fait subir est inter­mi­nable. Pinar Selek est tou­jours jugée en tant que prin­ci­pale sus­pecte du pro­cès de l’“attentat” du mar­ché égyp­tien d’Istanbul [qui a fait sept morts le 9 juillet 1998]. Elle a été empri­son­née et a eu à subir des tor­tures ter­ribles dont elle a gar­dé des séquelles phy­siques. Et, alors qu’elle avait pour­tant déjà acquit­té la jeune femme à trois reprises, la dou­zième Cour pénale d’Istanbul a, pour des “rai­sons tech­niques” que per­sonne n’a réus­si à com­prendre, cas­sé sa propre déci­sion d’acquittement fin novembre.

Cela relance le pro­cès de Pinar Selek, qui risque à nou­veau d’être condam­née à une peine d’emprisonnement à per­pé­tui­té. Le pro­cès doit reprendre le 13 décembre. Mais qui est donc Pinar Selek ?

Il s’agit d’une des plus douées, des plus humaines et des plus cou­ra­geuses socio­logues turques de ces der­nières années. Elle est issue d’une famille d’opposants au sys­tème. Son grand-père, Cemal Hak­ki Selek, est l’un des fon­da­teurs du Par­ti ouvrier turc [très actif dans les années 1960] et son père, Alp Selek, un célèbre avo­cat de gauche.

Pinar a pour­sui­vi cette tra­di­tion fami­liale de mili­tan­tisme en faveur des plus dému­nis, axant ses recherches sur tout ce qui incarne l’altérité en Tur­quie : les Kurdes, les trans­sexuels ou les enfants des rues. Elle a ain­si contri­bué à la créa­tion d’ateliers de rue pour les enfants et a été l’une des fon­da­trices de la revue fémi­niste Amar­gi. Elle a publié des ouvrages scien­ti­fiques ain­si que des contes et un roman, et achève actuel­le­ment une thèse de doc­to­rat en sciences poli­tiques en France [à Stras­bourg, où elle vit en exil depuis 2009 ; elle a aupa­ra­vant pas­sé trois ans à Ber­lin].

Après l’attentat du bazar égyp­tien de 1998, un cer­tain Abdül­me­cit Öztürk avait été arrê­té ; pen­dant sa garde à vue, il avait décla­ré avoir pré­pa­ré la bombe à l’origine de cet atten­tat avec Pinar Selek. Lors de son pro­cès, il a expli­qué que ses décla­ra­tions impli­quant Pinar Selek avaient “été obte­nues sous la tor­ture”. En outre, les dif­fé­rents rap­ports d’experts ont abou­ti à la conclu­sion que l’explosion du bazar égyp­tien serait en fait due à une fuite de gaz..

Par ailleurs, tous ceux qui connaissent les convic­tions anti­mi­li­ta­ristes de l’“accusée” n’imaginent pas un seul ins­tant qu’elle ait pu com­mettre un acte pareil. Cet atten­tat a néan­moins été un bon pré­texte pour bri­ser l’esprit de résis­tance qui anime Pinar Selek et pour “faire un exemple”.

Tant et si bien que la jeune socio­logue, qui n’avait que 27 ans à l’époque, n’est tou­jours pas sor­tie de ce cau­che­mar aujourd’hui, à 41 ans. Lorsque Pinar Selek a appris que son acquit­te­ment était cas­sé, elle a décla­ré : “Ils ne veulent pas lais­ser tom­ber. Je suis deve­nue une cible à cause de mes recherches. Cette affaire a eu lieu dans une période mar­quée par les com­plots. Que je sois encore vic­time d’un tel com­plot aujourd’hui m’amène à pen­ser que ce qui m’arrive est lié à mes prises de posi­tion.

En Tur­quie, il n’y a que trois options pour ceux qui, comme Hrant Dink [jour­na­liste tur­co-armé­nien assas­si­né en jan­vier 2007], Nazim Hik­met [poète turc mort en exil à Mos­cou en 1963] ou moi-même, aiment leur pays et luttent pour la liber­té : la pri­son, la mort ou l’exil.”

Ambe­rin Zaman

Habertürk Istan­bul





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