Pinar Selek, une femme qui refuse de se taire

Sous le coup d’un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal pour “ ter­ro­risme ” avec empri­son­ne­ment immé­diat, des évè­ne­ments de soli­da­ri­té se sont suc­cé­dé à Paris les 29 et 31 mars en faveur de la socio­logue : le 29, une confé­rence de presse au Pen Club fran­çais et une soi­rée à l’Hôtel de ville de Paris où Pinar Selek a reçu la Médaille Grand Ver­meil, et le 31, un ras­sem­ble­ment de ses sou­tiens dans les locaux de la Ligue des droits de l’Homme pour suivre le dérou­le­ment du pro­cès. Retour sur trois jour­nées d’émotion par­ta­gée.

29 mars : confé­rence de presse pari­sienne

Pinar Selek accueille avec un sou­rire géné­reux, quelques mots de bien­ve­nue et de remer­cie­ment chaque par­ti­ci­pant dans les locaux du Pen Club fran­çais (1) à Paris. Elle est entou­rée d’une cin­quan­taine de per­sonnes qui ont trou­vé place sur des sièges ame­nés au fur et à mesure de leur arri­vée. Elle déclare d’emblée : “ J’ai repor­té mes émo­tions et je me suis mise en pilote auto­ma­tique ”. La petite salle est char­gée de vibra­tions posi­tives et cha­leu­reuses. Les inter­ve­nants réunis autour d’elle à la table, pro­noncent cha­cun et cha­cune des mots d’éloge et saluent son cou­rage et sa déter­mi­na­tion. Le pré­sident du Pen Club fran­çais, Antoine Spire, déclare en ouver­ture : “ Elle a consa­cré sa vie à la lutte contre toutes les formes de vio­lence et de domi­na­tion et aujourd’hui, elle est mena­cée d’une condam­na­tion à la pri­son à per­pé­tui­té ”. Condam­na­tion que Patrick Bau­douin, le pré­sident de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), qua­li­fie de “ pro­cé­dure hal­lu­ci­nante et de réelle mas­ca­rade ” qui se tient sous la coupe d’un tri­bu­nal qua­li­fié d’“ ins­ti­tu­tion de déshon­neur ” pour le phi­lo­sophe Etienne Bali­bar.

Un échange d’informations récentes fait part des mobi­li­sa­tions et des sou­tiens : un grand nombre d’associations et d’organisations dénoncent l’acharnement judi­ciaire du pou­voir turc, ce qui fait dire à Pinar Selek : “ Je résiste grâce à mes comi­tés de sou­tien ”. En effet, depuis une décen­nie, des comi­tés de sou­tien ont essai­mé dans de nom­breuses villes de France à Bor­deaux, Bourg-en-Bresse, Brest, Digne-les-Bains, Lorient, Lyon, Mar­seille, Nantes, Nice, le Pays basque, Stras­bourg, Tou­louse, Genève… La socié­té civile, les muni­ci­pa­li­tés (notam­ment celles de Mar­seille, Paris, Lyon, Stras­bourg, Vil­leur­banne…), 300 signa­taires d’institutions (par­mi les­quelles figurent le Conseil de coor­di­na­tion des orga­ni­sa­tions armé­niennes de France (CCAF), l’Union cultu­relle fran­çaise des Armé­niens de France (UCFAF), le Mou­ve­ment Char­joum) ont appor­té leur sou­tien offi­ciel. Une tri­bune col­lec­tive a été signée par 52 par­le­men­taires et d’autres tri­bunes ont paru dans divers médias, dont Le Monde, avec, entre autres, celles du prix Nobel, Annie Ernaux, du phi­lo­sophe, Etienne Bali­bar, de l’ancien garde des Sceaux, Robert Badin­ter, du pré­sident de la LDH, Patrick Bau­douin, de l’écrivain, Gérard Chaliand…Des décla­ra­tions émanent aus­si de la part d’écrivaines turques,elles aus­si exi­lées : la roman­cière, Asli Erdo­gan qui lui écrit : “ 25 ans ont pas­sé et nous sommes toutes deux des réfu­giées. Le silence judi­ciaire est un moyen de détruire la per­sonne ” et la jour­na­liste et écri­vaine, Ece Temel­ku­ran, dans une tri­bune au Monde du 15 mars der­nier : “ Pinar, une amie chère pour beau­coup, est vic­time d’une injus­tice révol­tante ou, pour mieux dire, d’une tor­ture judi­ciaire depuis vingt-cinq ans ”. Nom­breuses sont les voix indi­gnées et paci­fistes qui se
font entendre, ici, comme en Tur­quie. Elles ne s’arrêteront pas !

La confé­rence de presse du 29 mars au Pen club fran­çais

29 mars : attri­bu­tion de la médaille Grand Ver­meil de la Ville de Paris

Orches­trée par la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et l’Assemblée citoyenne des ori­gi­naires de Tur­quie (ACORT), cette médaille a été remise dans la soi­rée, par l’adjoint à la maire de Paris, Jean-Luc Rome­ro. Des inter­ven­tions se sont suc­cé­dées avant la céré­mo­nie : Patrick Bau­doin, pré­sident de la LDH, Umit Metin, coor­di­na­teur géné­ral de l’ACORT, Gérard Cha­liand, écri­vain, Maître Mar­tin Pra­del, avo­cat de Pinar Selek, Robert Gué­di­gian, réa­li­sa­teur, Fan­ny Jedi­cki, pré­si­dente de l’Association des socio­logues ensei­gnant-e‑s du supé­rieur (ASES)…. Avec, pour ter­mi­ner, la par­ti­ci­pa­tion musi­cale du col­lec­tif Medz Bazar.

31 mars : un pro­cès inter­mi­nable ren­voyé au 29 sep­tembre

Le début du pro­cès à Istan­bul au tri­bu­nal de Çaga­lan à Istan­bul, était annon­cé à 15 heures (fran­çaises). Il a duré plus de 3 heures. Un comi­té de sou­tien inter­na­tio­nal avait fait le voyage en Tur­quie : 100 per­sonnes venues de France, de Suisse, de Bel­gique, d’Allemagne, d’Italie, de Nor­vège, par­mi les­quelles par­le­men­taires, élus, avo­cats, maires, édi­teurs, écri­vains, uni­ver­si­taires, col­lègues aca­dé­miques… aux côtés de divers intel­lec­tuels et citoyens turcs. Le consul de France à Istan­bul, l’ambassadeur de Suisse ain­si que Jean-Luc Rome­ro étaient éga­le­ment pré­sents. Le père de Pinar Selek, avo­cat, âgé de 93 ans et sa soeur Sey­da Selek, avo­cate éga­le­ment, se tenaient sur les bancs de la défense au côté des avo­cats fran­çais, Me Mar­tin Pra­del de Lyon et sa consoeur pari­sienne, Me Fran­çoise Cot­ta. Ils ont pu plai­der à l’audience, une pre­mière, car jusqu’alors, seuls les avo­cats turcs étaient enten­dus.

A l’issue du ver­dict, au cours de la confé­rence de presse avec Pinar Selek entou­rée de son comi­té à la Ligue des droits de l’Homme et en visio­con­fé­rence avec ses avo­cats et la délé­ga­tion à Istan­bul, Me Mar­tin Pra­del a don­né le compte-ren­du de la séance dont la conclu­sion est : la jus­tice turque veut entendre Pinar Selek et c’est pour­quoi, la cour qui relance son pro­cès, a émis un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal. A l’issue de l’audience, tout ne s’est pas dérou­lé serei­ne­ment. Plus de 600 per­sonnes, dont la presse de Tur­quie, se tenaient paci­fi­que­ment devant le tri­bu­nal. Maître Pra­del a déplo­ré la pré­sence des forces de police : “ Nous avons été nas­sés [Ndlr : des cor­dons de poli­ciers forment un enclos mobile ou immo­bile au sein duquel évo­lue une mani­fes­ta­tion afin de l’encadrer] par des poli­ciers en  casques et matraques. Nous avons été encer­clés pour ne pas par­ler à la presse turque pré­sente ”. Dans la soi­rée, la coor­di­na­tion des col­lec­tifs de soli­da­ri­té de Pinar Selek émet­tait un com­mu­ni­qué de presse dans lequel elle deman­dait “ au gou­ver­ne­ment fran­çais de faire savoir publi­que­ment son sou­tien plein et entier à la socio­logue, son refus de l’extrader et son enga­ge­ment effec­tif à assu­rer sa pro­tec­tion. Elle réitère au pré­sident de la Répu­blique sa demande d’intervention auprès des auto­ri­tés turques, dont l’obstination conduit à un déni de jus­tice pour Pinar Selek et toutes les autres vic­times de cette affaire. Elle demande à la France de se coor­don­ner avec les pays euro­péens pour refu­ser l’application du man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal et de per­mettre ain­si la libre cir­cu­la­tion de Pinar Selek ”.

par Marie-Anne THIL





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