Pinar Selek, une sociologue dans les griffes de la justice turque

Depuis qua­torze ans, cette cher­cheuse qui défend les mino­ri­tés est accu­sée d’a­voir par­ti­ci­pé à un atten­tat à Istan­bul. A trois reprises, la jus­tice l’a acquit­tée. Mais à chaque fois, le pro­cu­reur obtient qu’elle soit reju­gée. Le nou­veau pro­cès de Pinar Selek vient de s’ou­vrir.

Pinar Selek habite Stras­bourg, elle est réfu­giée en France, mais son des­tin se joue à plus de 2000 kilo­mètres, devant un tri­bu­nal d’Is­tan­bul. Son pro­cès s’est ouvert hier, sans elle. Cette socio­logue de 41 ans est jugée pour ter­ro­risme. Elle risque la pri­son à per­pé­tui­té, à cause d’un atten­tat ima­gi­naire.

Vous lirez son his­toire sur le site du Figa­ro et sur celui de Libé­ra­tion. Tout com­mence en 1998. Une explo­sion se pro­duit en plein coeur d’Is­tan­bul, dans le mar­ché des épices, un lieu très tou­ris­tique. Sept per­sonnes sont tuées. Immé­dia­te­ment, la police pense à un atten­tat. Elle se tourne vers les mili­tants du PKK, la gué­rilla indé­pen­dan­tiste kurde. Un de ses membres, pen­dant son inter­ro­ga­toire, affirme qu’il a fabri­qué une bombe avec Pinar Selek. A l’é­poque, la socio­logue n’a que vingt-sept ans mais elle est déjà dans le viseur du pou­voir, car elle défend sans relâche les mino­ri­tés, en par­ti­cu­lier les Kurdes.

Pinar Selek est arrê­tée. Elle est bat­tue. La police essaie de la faire avouer, sans y par­ve­nir. Et pour cause : le mili­tant qui l’a dénon­cée revient sur ses accu­sa­tions. Il affirme qu’il a été tor­tu­ré et que la police lui a souf­flé le nom de la socio­logue. Mais sur­tout, deux ans après l’at­ten­tat, en 2000, l’af­faire connaît un coup de théâtre : un rap­port d’ex­perts attri­bue l’ex­plo­sion à une fuite de gaz ; il écarte la thèse de l’at­ten­tat.

Nor­ma­le­ment, s’il n’y a plus de bombe, il n’y a plus de cou­pable. Pinar Selek devrait être inno­cen­tée. Mais le pou­voir refuse d’en res­ter là. Le pro­cu­reur s’a­charne. Lors de son arres­ta­tion, la socio­logue a refu­sé de don­ner les noms des rebelles qu’elle avait ren­con­trés pour ses recherches. Elle n’a jamais ces­sé de mili­ter et de mettre en cause le pou­voir. Elle va le payer très cher. Elle est libé­rée mais elle va quand même être jugée. A trois reprises, son affaire est exa­mi­née : en 2006, puis en 2008, puis en 2011. A chaque fois, les juges acquittent la socio­logue. Mais à chaque fois, la Cour de cas­sa­tion fait appel. Elle obtient que Pinar Selek soit reju­gée.

Entre temps, la jeune femme a fui la Tur­quie. Elle s’est réfu­giée à Stras­bourg. Le maire de la ville, Roland Ries, la sou­tient, comme de nom­breux habi­tants. Pinar Selek, elle, est épui­sée. Dans le Figa­ro, cette semaine, elle confiait sa las­si­tude : « qua­torze ans et demi à lut­ter, c’est presque une vie. C’est comme un sup­plice chi­nois ». La pro­chaine audience aura lieu le 24 jan­vier.

Jean Ley­ma­rie

http://www.franceinfo.fr/decryptage/l‑histoire-du-jour/l‑histoire-du-jour-aod-832765 – 2012-12 – 14





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