Pour Pınar Selek

Le socio­logue turque fait désor­mais l’objet d’un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal émis par son pays, deman­dant son empri­son­ne­ment immé­diat. Lequel pays hausse d’un cran l’escalade de la répres­sion.

Après de mul­tiples et ubuesques revi­re­ments judi­ciaires, condam­na­tions et empri­son­ne­ments, Pınar Selek, socio­logue, s’est vu noti­fier, le 6 jan­vier, sa com­pa­ru­tion devant le tri­bu­nal cri­mi­nel d’Istanbul, assor­tie d’un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal deman­dant son empri­son­ne­ment immé­diat. L’(in)justice de son pays, la Tur­quie, hausse d’un cran l’escalade de la répres­sion.

Pinar Selek, lors du 35e Fes­ti­val du Livre de Mouans-Sar­toux, en octobre 2022. © Eric Der­vaux / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

Une soli­da­ri­té inter­na­tio­nale s’organise, à laquelle le rap­pel des prises de posi­tion de Pınar Selek, en France, entend modes­te­ment contri­buer. L’intitulé de sa thèse de doc­to­rat en science poli­tique, sou­te­nue à l’université de Stras­bourg le 7 mai 2014, parle de lui-même : « Les pos­si­bi­li­tés et les effets de conver­gences des mou­ve­ments contes­ta­taires, sous la répres­sion. Les mobi­li­sa­tions au nom de groupes sociaux oppri­més sur la base du genre, de l’orientation sexuelle ou de l’appartenance eth­nique, en Tur­quie ».

Contes­ta­tion, oppres­sion, inter­sec­tion­na­li­té, autant de preuves à charge en Tur­quie comme en France. Qui se sou­vient en effet de la lettre de Pınar Selek à la ministre de l’Enseignement supé­rieur et de la Recherche, Fré­dé­rique Vidal, laquelle emboî­tait le pas à son col­lègue Jean-Michel Blan­quer ?

Seule une mobi­li­sa­tion inter­na­tio­nale d’envergure pour­rait faire recu­ler cette paro­die de jus­tice.

Dans Le JDD du 25 octobre 2020, ce der­nier écri­vait : « Il y a un com­bat à mener contre une matrice intel­lec­tuelle venue des uni­ver­si­tés amé­ri­caines et des thèses inter­sec­tion­nelles, qui veulent essen­tia­li­ser les com­mu­nau­tés et les iden­ti­tés, aux anti­podes de notre modèle répu­bli­cain qui, lui, pos­tule l’égalité entre les êtres humains, indé­pen­dam­ment de leurs carac­té­ris­tiques d’origine, de sexe, de reli­gion. C’est le ter­reau d’une frag­men­ta­tion de notre socié­té et d’une vision du monde qui converge avec les inté­rêts des isla­mistes. Cette réa­li­té a gan­gre­né notam­ment une par­tie non négli­geable des sciences sociales fran­çaises. »  À lire cette phrase, on peut se deman­der si elle n’a pas été écrite par un ministre turc, tant elle dis­qua­li­fie le doc­to­rat de Pınar Selek. La réponse ne se fait pas attendre.

Béné­fi­ciaire du pro­gramme natio­nal d’aide à l’accueil en urgence des scien­ti­fiques en exil (Pause), Pınar Selek écrit, le 21 février 2021, cette lettre bien envoyée : « Depuis vos der­nières décla­ra­tions sur “l’islamo-gauchisme”, je suis dans un cau­che­mar ter­rible. Votre dis­cours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes col­lègues en Tur­quie sont en train de vivre, sous l’islamo-fascisme. Je pense que tout·es les scien­ti­fiques exilé·es qui sont aujourd’hui accueilli·es par le pro­gramme Pause sont entré·es dans le même cau­che­mar, car elles·ils savent aus­si très bien com­ment les liber­tés aca­dé­miques se rétré­cissent quand les pou­voirs poli­tiques inter­viennent dans le champ scien­ti­fique avec la jus­ti­fi­ca­tion de la lutte contre le ter­ro­risme. En géné­ral, c’est comme ça que ça se passe. En Tur­quie, en Chine, en Iran. Et aujourd’hui en France. »

Face à ce lan­ci­nant cau­che­mar, seule une mobi­li­sa­tion inter­na­tio­nale d’envergure pour­rait faire recu­ler cette paro­die de jus­tice.

par Rose-Marie Lagrave

https://www.politis.fr/articles/2023/02/pour-pinar-selek/





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