Le sociologue turque fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par son pays, demandant son emprisonnement immédiat. Lequel pays hausse d’un cran l’escalade de la répression.
Après de multiples et ubuesques revirements judiciaires, condamnations et emprisonnements, Pınar Selek, sociologue, s’est vu notifier, le 6 janvier, sa comparution devant le tribunal criminel d’Istanbul, assortie d’un mandat d’arrêt international demandant son emprisonnement immédiat. L’(in)justice de son pays, la Turquie, hausse d’un cran l’escalade de la répression.
Une solidarité internationale s’organise, à laquelle le rappel des prises de position de Pınar Selek, en France, entend modestement contribuer. L’intitulé de sa thèse de doctorat en science politique, soutenue à l’université de Strasbourg le 7 mai 2014, parle de lui-même : « Les possibilités et les effets de convergences des mouvements contestataires, sous la répression. Les mobilisations au nom de groupes sociaux opprimés sur la base du genre, de l’orientation sexuelle ou de l’appartenance ethnique, en Turquie ».
Contestation, oppression, intersectionnalité, autant de preuves à charge en Turquie comme en France. Qui se souvient en effet de la lettre de Pınar Selek à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, laquelle emboîtait le pas à son collègue Jean-Michel Blanquer ?
Seule une mobilisation internationale d’envergure pourrait faire reculer cette parodie de justice.
Dans Le JDD du 25 octobre 2020, ce dernier écrivait : « Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre modèle républicain qui, lui, postule l’égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d’origine, de sexe, de religion. C’est le terreau d’une fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. Cette réalité a gangrené notamment une partie non négligeable des sciences sociales françaises. » À lire cette phrase, on peut se demander si elle n’a pas été écrite par un ministre turc, tant elle disqualifie le doctorat de Pınar Selek. La réponse ne se fait pas attendre.
Bénéficiaire du programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause), Pınar Selek écrit, le 21 février 2021, cette lettre bien envoyée : « Depuis vos dernières déclarations sur “l’islamo-gauchisme”, je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre, sous l’islamo-fascisme. Je pense que tout·es les scientifiques exilé·es qui sont aujourd’hui accueilli·es par le programme Pause sont entré·es dans le même cauchemar, car elles·ils savent aussi très bien comment les libertés académiques se rétrécissent quand les pouvoirs politiques interviennent dans le champ scientifique avec la justification de la lutte contre le terrorisme. En général, c’est comme ça que ça se passe. En Turquie, en Chine, en Iran. Et aujourd’hui en France. »
Face à ce lancinant cauchemar, seule une mobilisation internationale d’envergure pourrait faire reculer cette parodie de justice.
par Rose-Marie Lagrave