Trente-six ans de prison pour réduire au silence la voix de Pinar Selek

Née à Istan­bul en 1971, Pinar Selek est une jeune socio­logue, écri­vaine anti­mi­li­ta­riste et fémi­niste. Mili­tante, elle écrit et parle ouver­te­ment, agit selon sa conscience. Donc elle dérange.

Un jour de juillet 1998, elle apprend par le jour­nal de 20 heures qu’elle est accu­sée d’a­voir posé une bombe dans le mar­ché aux épices d’Is­tan­bul, aus­si connu sous le nom de bazar égyp­tien (« misir car­si­si »). Acquit­tée en 2006, elle com­pa­raît à nou­veau le 9 février.

Tor­tu­rée et empri­son­née deux ans et demi

Le 9 juillet 1998, une explo­sion fait sept morts et 127 bles­sés au bazar égyp­tien. La police arrête des sus­pects et l’un deux dénonce Pinar Selek comme sa com­plice. Elle est arrê­tée, accu­sée de ter­ro­risme et d’ap­par­te­nance au PKK (orga­ni­sa­tion armée).

Au fil des mois, les rap­ports d’ex­perts mettent en évi­dence l’ab­sence de toute trace d’ex­plo­sifs et pri­vi­lé­gient la thèse d’une fuite de gaz. Le pré­su­mé com­plice se rétracte. Mais rien n’y fait : la jeune femme est tor­tu­rée et pla­cée en déten­tion pro­vi­soire pen­dant deux ans et demi.

Libé­rée en 2001, elle est pla­cée sous contrôle judi­ciaire, condam­née à per­pé­tui­té en décembre 2005 et fina­le­ment acquit­tée le 8 juin 2006, après une intense cam­pagne de sou­tien menée par plus de 2 000 intel­lec­tuels dont Yasar Kemal ou Orhan Pamuk, prix Nobel de lit­té­ra­ture, ou encore des acti­vistes des droits de l’homme qui se suc­cèdent pour assis­ter aux audi­tions de la cour.

Tou­te­fois, le pro­cu­reur qui a ins­truit son pro­cès ne renonce pas à obte­nir sa condam­na­tion. Uti­li­sant l’ar­se­nal judi­ciaire, il réus­sit à faire appel de la déci­sion et obtient l’an­nu­la­tion de l’ac­quit­te­ment. Le 9 février, Pinar Selek sera à nou­veau convo­quée par les juges et encourt 36 ans de pri­son pour un crime qu’elle n’a pas com­mis.

Qui est Pinar Selek ? Socio­logue, écri­vain anti­mi­li­ta­riste, fémi­niste… Pinar Selek est une jeune femme qui dérange :

  • Socio­logue : elle s’in­té­resse aux groupes mar­gi­na­li­sés comme les tran­sexuels, les tra­ves­tis ou les enfants des rues, aux mino­ri­tés comme les Kurdes, aux ori­gines de la guerre civile qui ensan­glante l’est de la Tur­quie depuis main­te­nant plus de trente ans.Elle ne fait pas que ren­con­trer et inter­vie­wer les pro­ta­go­nistes pour ali­men­ter ses recherches. Comme Bour­dieu ou Deleuze aux­quels elle se réfère, elle veut prendre part à leur vie. Ain­si en 1996, alors que le centre-ville d’Is­tan­bul est « net­toyé » pour accueillir la confé­rence de l’O­NU, Habi­tat II, elle crée un centre d’ac­cueil, un « Ate­lier des artistes des rues » ouvert à tous et qui fait l’ob­jet de sa thèse de doc­to­rat « La Tue Ülker », publiée en 2001.
  • Ecri­vaine : outre sa thèse, elle publie en 2004 « Nous n’a­vons pas pu faire la paix » (Bari­sa­ma­dik) sur les com­bats en faveur de la paix en Tur­quie. Puis, en 2008, « Etre un homme, une vie de chien » (« Sürüne sürüne erkek olmak ») sur les atteintes du ser­vice mili­taire à l’in­té­gri­té masculine.Accueillie en Alle­magne par l’as­so­cia­tion inter­na­tio­nale d’é­cri­vains PEN, elle a écrit son pre­mier roman qui sera publié cou­rant 2011.
  • Fémi­niste : elle est par­mi les membres fon­da­trices de la dyna­mique asso­cia­tion fémi­niste Amar­gi qui met en réseau des femmes d’Is­tan­bul à Diyar­ba­kir, de Bat­man à Izmir et est connue pour avoir créé en 2008 la pre­mière librai­rie fémi­niste de Tur­quie.

 

  • Sou­tien pour la liber­té d’ex­pres­sion.

Aujourd’­hui, Pinar Selek n’est pas bri­sée, loin de là. Mais elle est fati­guée d’a­voir une vie mise entre paren­thèses. Dans sa plai­doi­rie devant la Haute cour de cas­sa­tion du 17 mai 2006 et publiée sur le site de son comi­té de sou­tien, elle explique com­ment le fait d’a­voir été accu­sée de ter­ro­risme l’a enfer­mée dans une logique de per­ma­nentes jus­ti­fi­ca­tions depuis douze ans et « com­ment devoir se jus­ti­fier a détruit [sa] liber­té, [son] authen­ti­ci­té et [son] rap­port à la véri­té ».

Son pro­cès sera rou­vert le 9 février à Istan­bul. En Tur­quie, en Alle­magne et en France, de nom­breuses asso­cia­tions mènent cam­pagne pour faire entendre les voix de la socié­té civile qui sou­tiennent Pinar Selek face au risque d’une condam­na­tion inique et qui luttent aus­si pour la liber­té d’ex­pres­sion en Tur­quie.

Marie Antide

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