Turquie – Après les Kurdes, les féministes

Le 11 juillet 1998, Pınar Selek, socio­logue, mili­tante anti­mi­li­ta­riste et fon­da­trice de l’association fémi­niste Amar­gi, est arrê­tée par la police : elle a eu la mau­vaise idée de mener des recherches socio­lo­giques sur le conflit armé au Kur­dis­tan. En pri­son, elle est d’abord tor­tu­rée afin de lui arra­cher les noms des per­sonnes qu’elle avait ren­con­trées au cours de ses recherches. Mais elle tient bon. Alors, elle apprend qu’en prime elle est accu­sée d’avoir posé une bombe au mar­ché aux épices d’Istanbul, le 9 juillet. Aucune preuve n’est four­nie. Seul élé­ment à charge : le témoi­gnage d’un « com­plice », recueilli — comme il se doit, sous la tor­ture — le 15 août. Soit plus d’un mois après l’arrestation de Pınar Selek. Et, sur­tout, après que les rap­ports de police et du labo­ra­toire cri­mi­nel ont conclu sans l’ombre d’une ambi­guï­té que l’explosion au mar­ché aux épices, qui avait fait sept morts, n’était pas le fait d’un atten­tat, mais d’un acci­dent, dû à une fuite de gaz.

Bref, Pınar Selek aurait dû être libé­rée.  A la place, après avoir pas­sé deux ans et demi en pri­son, elle a dû affron­ter deux pro­cès, au cours des­quels experts, scien­ti­fiques et uni­ver­si­taires ont défi­lé, réfu­tant una­ni­me­ment la thèse de l’attentat. Deux acquit­te­ments et deux pro­cé­dures d’appel du pro­cu­reur de la Répu­blique plus tard, Pınar Selek, aujourd’hui exi­lée à Ber­lin, n’est tou­jours pas tirée de ce tra­que­nard. Le 9 février, la dou­zième cour d’assises d’Istanbul doit exa­mi­ner à nou­veau l’affaire, sur insis­tance — c’est un euphé­misme — du par­quet. L’Etat turc veut sa peau. Et, comme elle est fémi­niste, les isla­mistes « modé­rés » au pou­voir devraient, pour une fois, être d’accord avec les mili­taires.

G. Biard

Char­lie Heb­do du 9 février 2011





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