Turquie : long cauchemar judiciaire pour Pinar Selek

Exi­lée en France, la socio­logue turque Pinar Selek, 42 ans, a été condam­née en jan­vier 2013 à la pri­son à vie par un tri­bu­nal d’Istanbul pour ter­ro­risme. Des faits qui remontent à 1998 et pour les­quels elle avait pour­tant été acquit­tée trois fois. Anka­ra vient de lan­cer une pro­cé­dure pour obte­nir son extra­di­tion. Mais pour­quoi un tel achar­ne­ment après quinze années de pro­cé­dure judi­ciaire ? En appre­nant par les médias turcs que les auto­ri­tés de son pays récla­maient son extra­di­tion, Pinar Selek s’est dite « peu sur­prise »« Ce pro­cès est poli­tique, la lutte conti­nue », a‑t-elle réagi, le 30 décembre 2013, en exil à Stras­bourg où elle pour­suit une thèse de socio­lo­gie avec le sou­tien des élus de la Ville et de l’U­ni­ver­si­té.

Acquit­tée trois fois
La socio­logue est accu­sée à tort d’a­voir par­ti­ci­pé à un atten­tat à l’explosif contre un site tou­ris­tique de la méga­pole turque, le mar­ché des épices, qui a fait 7 morts, le 9 juillet 1998. Consi­dé­rée comme prin­ci­pale sus­pecte à l’é­poque pour avoir refu­sé de don­ner à la police les noms de rebelles kurdes qu’elle avait ren­con­trés dans le cadre de ses recherches, Pinar Selek a été incar­cé­rée et tor­tu­rée. Elle sera libé­rée en 2000 après la publi­ca­tion de dif­fé­rents rap­ports impu­tant l’explosion à une fuite de gaz.

Bien qu’elle l’ait acquit­tée par trois fois, en 2006, en 2008 et en 2011, la jus­tice turque a condam­né Pinar Selek à per­pé­tui­té, le 24 jan­vier 2013. Ce qua­trième pro­cès a été ren­du pos­sible par l’a­char­ne­ment d’un pro­cu­reur de la 12e cour pénale d’Is­tan­bul qui a pro­fi­té d’un congé mala­die du juge en charge du sos­sier, pour se sub­sti­tuer en toute illé­ga­li­té à la Cour suprême, explique le site Rue 89.

Cher­cheuse enga­gée, mili­tante fémi­niste et paci­fiste, Mme Selek s’est beau­coup inves­tie en Tur­quie pour la recon­nais­sance et les droits de mino­ri­tés : les enfants des rues, les trans­genres, les femmes, les Kurdes. Elle a notam­ment par­ti­ci­pé à la créa­tion d’a­te­liers de rue pour enfants et a été l’une des fon­da­trices de la revue fémi­niste Amar­gi, selon Cour­rier Inter­na­tio­nal. Elle est éga­le­ment l’au­teur d’ou­vrages scien­ti­fiques ain­si que de contes pour enfants et d’un roman.

Elle doit sans doute son par­cours à ses ori­gi­nines fami­liales : son grand-père, Cemal Hak­ki Selek, est l’un des fon­da­teurs du Par­ti ouvrier turc (très actif dans les années 60) et son père, Alp Selek, un célèbre avo­cat de gauche, empri­son­né pen­dant cinq ans après le coup d’E­tat mili­taire de 1980. Ce der­nier, âgé de 83 ans, conti­nue à la défendre.

Son extra­di­tion « impos­sible »
L’a­sile poli­tique ne consti­tue pas une « pro­tec­tion abso­lue » contre l’ex­tra­di­tion, a admis l’a­vo­cat de Pinar Selek. Cepen­dant, dans le cas pré­sent, la demande turque s’ap­puie sur la condam­na­tion pro­non­cée à Istan­bul, qui avait jus­te­ment moti­vé l’oc­troi de l’a­sile poli­tique à la socio­logue, a sou­li­gné Me Mar­tin Pra­del. Une extra­di­tion est de ce fait « impos­sible », selon lui.

Mais le cas de Pinar Selek n’est pas iso­lé. D’autres ont payé très cher leur inté­rêt pour les « mino­ri­tés » au sein de la socié­té turque, qu’ils soitent cher­cheurs, jour­na­listes, avo­cats, ou écri­vains. Plu­sieurs dizaines d’entre eux, pour­sui­vis pour des faits simi­laires, crou­pissent aujourd’­hui en pri­son, selon Le Monde.

Cette « amou­reuse d’is­tan­bul », qui ne déses­père pas de retour­ner dans son pays, n’a­vait que 27 ans à l’é­poque de ses pre­miers ennuis judi­ciaires. Un cau­che­mar, dont elle n’est tou­jours pas sor­tie à 42 ans.

http://geopolis.francetvinfo.fr/turquie-long-cauchemar-judiciaire-pour-pinar-selek-28425





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