
Enseignante à Nice, la sociologue franco turque est accusée depuis 1998 d’avoir commis un attentat en Turquie. Malgré quatre acquittements, la justice ne la lâche pas, un énième procès a lieu ce vendredi. Elle risque la prison à vie.
Elle se sent « forte », mais reconnaît vivre « une vraie torture » de devoir répéter l’histoire encore et encore… Depuis vingt-sept, et son arrestation dans laquelle elle a subi des tortures, Pinar Selek, aujourd’hui réfugiée en France, est poursuivie par la Turquie. Malgré quatre acquittements, la justice turque persiste et rouvre à chaque fois une nouvelle procédure. Un énième procès s’ouvre contre elle à Istanbul ce vendredi. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, elle risque la prison à perpétuité.
Pourquoi ? Elle est accusée d’avoir organisé un attentat au marché aux épices, le 11 juillet 1998, qui a fait sept morts. Pourtant, depuis, plusieurs expertises indépendantes ont démontré que cette explosion était accidentelle, provenant d’une bouteille de gaz et non d’une bombe. Mais rien ne semble pouvoir arrêter l’acharnement de la justice turque qui a demandé son extradition en 2023 et qui, selon les soutiens de Pinar Selek, ont « monté toute cette affaire pour bâillonner son travail ».
Un procès sans fin « symbolique » pour « les questions de paix »
À 53 ans, la sociologue est désormais maîtresse de conférences à Nice. Elle a été naturalisée française en 2017, après s’être réfugiée dans le pays en 2010. Pour cette militante qui continue à lutter pour les droits des femmes, des minorités, pour l’écologie sociale, son procès est « est politique », souffle-t-elle. Avant de reprendre : « Mon cas fait partie du grand tableau. Je sais que les appareils de justice sont utilisés pour des fins politiques. Il y a beaucoup de personnes en prison aujourd’hui, et comme mon procès dure depuis vingt-sept ans, il est aussi un miroir de ce qu’il se passe aujourd’hui. »
La chercheuse fait référence au « processus de paix kurde » après une déclaration d’Abdullah Öcalan, le leader du PKK emprisonné depuis vingt-cinq ans. Malgré ces négociations avec Ankara, plus de 2.000 manifestants accusés d’être des « membres présumés d’organisation terroristes » ont été arrêtés. Ce qui marque toujours « une volonté manifeste de réprimer toute velléité d’opposition dans ce pays ».
Le calvaire de Pinar Selek a effectivement commencé après ses recherches sur la question kurde. En 1998, quand elle est arrêtée, elle est torturée pendant une semaine. Coups, électrochocs, menaces avec un revolver sur la tempe… Les autorités voulaient qu’elle dévoile le nom des personnes kurdes rencontrées pour ses enquêtes. Ce qu’elle n’a jamais fait. Elle a ensuite été accusée par un autre détenu d’avoir agi pour le PKK, et est jetée en prison, avant d’être libérée deux ans plus tard sous caution. Faute de preuve.
Pour elle, son procès est alors « très symbolique pour la paix », notamment parce que le gouvernement turc « a enterré [ses] réflexions sociologiques » sur les questions kurdes.
Des soutiens du monde entier pour réclamer son acquittement « définitif »
C’est la quatrième fois en moins de deux ans que le tribunal criminel ouvre et ajourne presque instantanément l’audience, arguant vouloir « des éléments supplémentaires ». La dernière fois, c’était en février. Pinar Selek avait alors assuré : « Le but, c’est de nous fatiguer, moi, les soutiens, les médias. »
Pour cette nouvelle audience, comme depuis vingt-sept ans, l’enseignante-chercheuse n’est pas seule. Elle est soutenue dans ses combats par de grandes voix comme Angela Davis, Annie Ernaux ou encore Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix. Le 30 janvier dernier, un collectif de 517 universitaires de 27 pays a exigé, dans cinq quotidiens publiés dans cinq pays différents, son acquittement définitif pour qu’elle « retrouve son honneur bafoué et puisse exercer ses libertés fondamentales de chercheuse ».
Ce vendredi, la sociologue suivra son procès à Paris avec son comité de soutien. De nombreuses personnes sont également mobilisées un peu partout en France. Et une centaine de personnes, élues et représentantes du monde juridique, se sont déplacées à Istanbul pour « réaffirmer une solidarité sans faille avec Pinar Selek, et pour exiger le respect du droit. »
« Ça fait énormément de bien de voir tous ces soutiens », lâche-t-elle, fatiguée de cet acharnement judiciaire. Elle espère simplement que son « cauchemar prenne fin » et être « libérée définitivement des accusations fausses et sans fondements » qui « entravent sa vie depuis tant d’années ». « Peut-être qu’il peut y avoir une surprise, on ne sait jamais », conclut-elle, sans vouloir « trop y penser ».
Elise Martin
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