Féministe, infatigable défenseure des droits humains et des minorités, Pinar Selek suivra l’audience depuis le siège de la Ligue des droits de l’Homme à Paris.
Interrogée dans La Matinale à quelques heures du début du procès, Pinar Selek dit s’être mise en « pilotage automatique ». « J’essaie de ne rien ressentir, de ne pas réfléchir sur les sentiments et d’être positive. Je paie pour mes engagements, mais ceux-là me permettent de mieux résister », déclare-t-elle.
Des acquittements annulés
La chercheuse de 51 ans, arrêtée et torturée en 1998 pour ses travaux sur la communauté kurde, a été ensuite accusée de liens avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (le PKK, qui est considéré comme une organisation terroriste par Ankara) puis d’avoir participé à un « attentat », en réalité une explosion accidentelle qui avait fait sept morts en 1998 sur le marché aux épices d’Istanbul.
Elle a passé deux ans et demi de prison et a été maintes fois condamnée et acquittée, en 2006, 2008, 2011 et 2014. Et elle ne s’attendait pas à ce que son cas revienne une fois de plus devant la justice.
Mais en juin de l’année dernière, la Cour suprême a annulé la totalité des acquittements puis un nouveau mandat d’arrêt international a été lancé en janvier, assorti d’un mandat d’emprisonnement immédiat. Ce qui l’a convaincue de ne pas assister à cette énième audience.
« Une grande solidarité internationale »
C’est son père, avocat âgé de 93 ans, et sa soeur, devenue avocate pour la défendre, qui la représenteront en présence d’un imposant comité de soutien.
Une centaine de personnes venues de toute l’Europe, et notamment de Suisse – parlementaires, élus, avocats, représentants d’organisations de défense des droits humains, universitaires – espèrent pouvoir entrer dans la salle du tribunal à Istanbul.
« Il y a une grande solidarité internationale. Il y a une grande mobilisation en Turquie aussi, malgré le fait que cela dure depuis 25 ans. Tout le monde va être devant le tribunal (..). Maintenant, je me sens très forte », indique Pinar Selek dans La Matinale, soulignant encore le rapport de force « qui n’est pas évident entre une chercheuse et un état répressif ».
« Le gouvernement a besoin de chaos »
« Ce procès, qui a commencé avant (l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip) Erdogan et dure depuis 25 ans montre à la fois la continuité du régime répressif et les nouveaux dispositifs de ce régime », a estimé Pinar Selek dans un récent entretien à l’AFP à Nice, dans le sud de la France, où elle enseigne la sociologie depuis 2016.
Pour elle, cela ne fait aucun doute: ce procès est instrumentalisé par le gouvernement turc et utilisé comme une diversion. « Ce n’est qu’une parade dans ce nouveau scénario. Il est très affaibli et a besoin de chaos, d’un climat nationaliste, pour continuer à gouverner », déclare-t-elle à La Matinale.
A moins de 50 jours de l’élection présidentielle, à laquelle le président Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, sera de nouveau candidat, la sociologue veut gagner ce procès sans fin, « pour la justice d’abord » et « pour les prisonniers en Turquie ».