La sociologue et auteure turque Pinar Selek est accusée d’avoir commis un attentat il y a 25 ans à Istanbul. Depuis, elle clame son innocence. Son cinquième et dernier procès doit avoir lieu ce vendredi. Pinar Selek est l’invitée de 9H10.
La sociologue et auteure turque Pinar Selek est accusée d’avoir commis un attentat il y a 25 ans à Istanbul. Depuis, elle clame son innocence. Son cinquième et dernier procès doit avoir lieu ce vendredi. Pinar Selek est l’invitée de 9h10.
Pinar Selek est turque. Elle enseigne la sociologie et les sciences politiques à l’université de Nice. Elle est réfugiée en France, sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Vendredi, aura lieu à Istanbul son 5e procès. Victime d’un acharnement judiciaire sans précédent en Turquie. Rencontre avec une femme qui a fraternisé avec les prostituées, les Kurdes, les enfants des rues et les poètes.
Son histoire et ses combats
Pinar Selek raconte au micro de Sonia Devillers ce qui lui est arrivé en 1998 : « Je suis chercheuse, et à l’époque, je faisais une recherche, une enquête sociologique sur le mouvement kurde et j’ai été arrêtée pour cette raison-là. Et on m’a demandé les noms de mes interlocutrices et interlocuteurs, et j’ai résisté. À l’époque, il y avait des disquettes, ils ont confisqué toutes les disquettes. Si je donnais les noms, je pouvais partir. J’ai dit non. Et à cause de cette résistance, j’ai été torturée, ce qui m’a empêchée de bouger pendant des mois. »
Deux mois après, ils l’ont accusée d’avoir perpétré un attentat. C’est un dossier judiciaire monté de toute pièces. Elle est sans cesse condamnée et acquittée. Elle a dû fuir le pays. Elle explique en quoi son cas est emblématique : « Mon procès montre la continuité du régime répressif parce que ça a commencé avant ce gouvernement. Avant Erdogan. Je parlais du génocide des Arméniens, de toutes les répressions contre les Kurdes, contre les Grecs, contre d’autres personnes et j’essayais de comprendre la lutte des Kurdes.«
Elle a été se frotter à toutes les marges de la société turque, à toutes les minorités de la société turque, à tous les brimés de la société turque. Elle a aussi écrit des contes pour enfants, car elle a travaillé auprès des enfants des rues en Turquie. Et puis elle a aussi fraternisé avec des prostituées, qu’elle a aidées. Elle s’est même demandée si ce n’était pas la raison de son arrestation au départ.
Beaucoup de combats et beaucoup de soutiens
Pinar Selek va être jugée vendredi à Istanbul, mais ne va pas s’y rendre. Beaucoup de gens vont y aller à sa place, des universitaires en pagaille, des étudiants, ses maisons d’édition, des élus de Paris, de Marseille, etc.
Son père, qui a 93 ans et qui est avocat, continue de défendre sa fille. Sa sœur a également quitté son travail pour devenir avocate et la défendre.
Autour d’elle, il y a des convergences importantes. Elle est aussi soutenue par des militantes et militants féministes, écologistes, antimilitaristes. Pinar Selek s’associe à la militante féministe noir américaine bell hooks pour dire : « Le mouvement des femmes, nous n’avons pas de priorités parce qu’il y a différentes personnes, il y a des Noirs, il y a des pauvres, etc. Elle disait que tous les problèmes, il ne faut pas les hiérarchiser. »
Féminisme
Concernant la déchirure liée à l’exil, elle ne se dit plus vraiment concernée, de par son parcours et ses convictions : « J’avais de la chance parce que j’étais féministe. J’ai grandi et je me suis construite dans le mouvement féministe en Turquie. J’étais très antimilitariste parce que c’est un féminisme très antimilitariste et qui ne croit pas aux frontières. Donc moi, je ne croyais pas aux frontières parce que j’étais aussi très proche des Kurdes, des Arméniens, et je savais que ces frontières ont fait couler beaucoup de sang. Donc cette histoire, cette connaissance m’a permis aussi de ne pas me sentir loin de mon pays. »
À Nice, elle a rassemblé des milliers de personnes pour soutenir un événement qui s’intitule Toutes aux frontières pour dénoncer les violences dont sont victimes les femmes migrantes. Elle explique : « pour nous, c’était très important parce que les femmes exilées et surtout sans-papiers sont les plus invisibles de l’Europe. Elles sont très très nombreuses et elles endossent, comme les autres sans-papiers, beaucoup de travaux de services. Je peux même vous dire que l’économie européenne respire grâce à ces personnes. Les fragilités administratives les rendent plus dociles au niveau économique. Donc nous avons voulu faire une action. »