En visite en Turquie, François Hollande interviendra-t-il auprès des autorités du pays ?
François Hollande est en visite officielle en Turquie. L’honorerait d’obtenir que cesse l’acharnement dont Pinar Selek fait l’objet de la part de l’État turc. Revenons sur cette chronologie judiciaire proprement kafkaïenne.
C’est en juillet 1998, à la sortie d’un atelier artistique qu’elle anime pour les enfants des rues d’Istanbul, que Pinar Selek est arrêtée. Elle a vingt-sept ans, elle est sociologue, féministe, militante de toutes les minorités et contre toutes les exclusions. La police veut les noms des personnes qu’elle a interviewées dans le cadre d’une recherche qu’elle mène sur le mouvement kurde. Des noms, contre sa libération.
Pinar Selek refuse ce chantage, en militante, en sociologue. C’est alors l’enchaînement : torture, prison… et inculpation monstrueuse. Le 9 juillet 1998, une explosion avait fait sept morts au marché aux épices : elle est accusée d’y avoir placé une bombe sur la foi d’aveux, obtenus sous la torture, de son soi-disant complice. Il se rétractera un peu plus tard et les expertises montreront très vite que l’explosion est accidentelle (une bouteille de gaz) : elle restera pourtant en prison deux ans et demi avant d’être renvoyée devant le tribunal l’année suivante.
En 2006, c’est l’acquittement, au terme de huit années d’épreuves : torture, prison, accusation de crime et verdict… après cinq ans de procès. Huit longues années d’épreuves dont nul ne peut sortir indemne. Le calvaire ne fait pourtant que commencer. Le procureur, au nom de l’État, fait appel de la décision d’acquittement. Nouveau procès d’assises en 2008 : nouvel acquittement, immédiatement remis en cause par la Cour de cassation.
Pinar Selek quitte alors la Turquie, répondant à l’invitation du Pen Club allemand. Le tribunal devant lequel l’affaire est renvoyée en 2011 l’acquitte à nouveau mais ce verdict d’acquittement est de nouveau cassé. Le quatrième procès, devant le même tribunal (dont la composition a été opportunément remaniée), sans autres éléments que les accusations infondées de crime terroriste, permettra à l’État turc d’obtenir enfin la condamnation de Pinar Selek. Une condamnation à perpétuité !
La France a accordé dans la foulée l’asile politique à Pinar Selek, qui y vit depuis 2011 et y termine sa thèse. Une protection juridique qui ne met pas fin à l’épreuve. Épreuve de l’innocence déniée. Épreuve de l’exil. Épreuve de l’impossibilité du retour en Turquie mais désormais aussi de l’impossibilité de sortie du territoire français.
Les autorités turques n’en ont pourtant pas fini avec Pinar Selek, elles qui ont engagé, fin décembre 2013, une procédure pour obtenir son extradition. Une procédure qui n’a, heureusement, pas de chance d’aboutir mais qui permet au chef de gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan, empêtré dans des affaires de corruption qui touchent ses ministres et ses proches, de détourner l’attention et de tenter de remobiliser l’opinion en dénonçant à la fois le complot extérieur et l’ennemi intérieur.
Pinar Selek est la figure honnie à la fois des ultranationalistes, présents dans l’appareil d’État, et des islamistes (que l’on ne peut plus qualifier de modérés) au pouvoir : c’est là l’explication de l’acharnement judiciaire et politique dont elle est victime depuis 1998.
Elle sera toujours pour eux coupable. Coupable d’être turque et de soutenir la revendication kurde. Coupable d’être une femme et une féministe. Coupable d’être hétérosexuelle et de se mobiliser pour la défense des droits des minorités sexuelles, gays, lesbiennes, travestis, transsexuels. Coupable d’être une sociologue, analyste des conservatismes de la société turque (son travail sur l’armée est remarquable), et une militante, engagée dans ces luttes sociales et environnementales qui se développent en Turquie, comme l’a montré la mobilisation, en juin dernier, de la place Taksim à Istanbul. Un mouvement large et pluriel, qui s’est étendu à toute la Turquie et a fait vaciller les forces conservatrices turques. Les autorités y ont répondu par la répression.
Cette répression-là et l’acharnement dont fait l’objet Pinar Selek sont bien intrinsèquement liés.